"Donner une valeur au vivant doit s’appréhender comme un outil d’aide à la décision publique."
Le Premier ministre a chargé le Centre d’analyse stratégique « d’estimer les premières valeurs de référence pour la prise en compte de la biodiversité, lesquelles pourront être utilisées dans les études socioéconomiques relatives aux projets d’infrastructures ». Vous étiez président du groupe de travail, a-t-il rencontré des difficultés ?
La première difficulté à résoudre était liée à la complexité de la notion de biodiversité : il était utopique pour la mesurer d’espérer définir des « unités de biodiversité », comme on a défini des tonnes d’équivalent CO2 pour le changement climatique.
Le groupe de travail a proposé de distinguer deux composantes.
L’une, qualifiée de remarquable, correspondant à des entités (des gènes, des espèces, des habitats, des paysages) que la société a identifiées comme ayant une valeur propre (un peu comme pour les monuments historiques ou les œuvres d’art), cette valeur étant fondée principalement sur d’autres considérations qu’économiques (culturelles, patrimoniales, éthiques, etc.). L’autre, qualifiée de générale (ou ordinaire), constituée d’entités n’ayant pas de valeur identifiée comme remarquable mais qui, par leur abondance et leurs multiples interactions, contribuent au fonctionnement des écosystèmes et à la production des services qu’y trouvent nos sociétés.
Le rapport propose une évaluation à partir des services rendus…
Le rapport propose, en effet, de se limiter à l’évaluation économique de cette biodiversité générale. Nous n’avons pas cherché à l’évaluer directement, notamment parce qu’elle est constituée de très nombreuses entités dont la nature et le rôle ne sont que très partiellement connus. C’est ainsi que nous avons conclu à une évaluation possible à partir des services des écosystèmes qui abritent cette biodiversité et dont profite la société…
Comment cela se décline-t-il ?
Pour évaluer la valeur économique de ces services, le rapport a combiné trois types d’estimation du prix que les consommateurs leur accordent : prix observés lorsqu’il existe des échanges marchands (par exemple pour la production de ressources alimentaires) ; prix révélés pour des biens apparemment gratuits (comme une visite en forêt ou la fixation du gaz carbonique par la végétation) mais pour lesquels les consommateurs engagent ou devront engager de fait des dépenses pour les obtenir, les conserver ou les remplacer ; prix déclarés enfin lorsque les deux approches précédentes ne peuvent être utilisées. Ces prix mesurent donc la valeur économique à un instant donné qui, comme pour les biens marchands, pourra fluctuer dans l’espace et dans le temps.
Le groupe a abouti à quelques valeurs de référence, lesquelles ?
En particulier celle de la valeur moyenne à accorder aux écosystèmes forestiers métropolitains, à savoir 970 euros par hectare et par an avec une fourchette pouvant varier de 500 à 2 000 euros selon, notamment, la fréquentation récréative et le mode de gestion de l’écosystème.
Surtout, ces évaluations économiques sont à considérer comme des outils d’aide à la décision publique qui, jusqu’à maintenant, ne prenait pas en compte la biodiversité. Elles ne doivent pas être considérées comme une « marchandisation » de la biodiversité, qui autoriserait librement à échanger ou à détruire contre paiement des éléments de biodiversité.
Ce mode de pensée a-t-il des limites ?
Ces évaluations instantanées seront à compléter par une analyse des besoins que nous pourrions avoir à moyen terme : par exemple, en France, on n’utilise qu’environ 3 % de l’eau stockée par les forêts pour nos besoins en eau potable. De plus, pour la biodiversité, il existe bien d’autres valeurs à considérer que les seules valeurs économiques.
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