« En Bourgogne, les services de l’État ont choisi de financer des projets hors zone Natura 2000 »
Espaces naturels n°44 - octobre 2013
Isabelle Civette
Chargée de mission Espaces naturels remarquables. PNR du Morvan
Depuis 2007, en partenariat avec les chambres d’agriculture bourguignonnes, le Parc naturel régional du Morvan engage sept mille hectares de prairies remarquables dans un projet agri-environnemental. Celui-ci mobilise des mesures à obligations de moyens sur les parcelles humides et le bocage ; ainsi que des mesures à obligations de résultats sur les prairies sèches.
Comment le Parc naturel régional du Morvan a-t-il pu mobiliser des mesures agri-environnementales (MAET) ailleurs que sur les zones Natura 2000 de son territoire ?
En Bourgogne, la direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt a souhaité élargir les secteurs d’affectation des fonds pour accompagner des projets territorialisés. La décision a été prise à l’issue d’un processus de concertation. La politique de développement rural s’est alors vue largement dotée de crédits structurels européens Feader.
Vous dites largement… Pourriez-vous préciser des ordres de grandeur ?
Trois cent trente-huit millions d’euros ont été majoritairement affectés à la gestion de l’espace et l’amélioration de l’environnement pour la période 2007-2013. Et, afin de pouvoir accompagner des projets territoriaux en dehors des sites Natura 2000, sur les thématiques Érosion, paysage et biodiversité, la ligne « autres enjeux » de l’axe 2 du Feader (1) a été pourvue à hauteur de 6 160 000 euros.
Il a aussi été convenu que, si les crédits n’étaient pas consommés, ils seraient basculés vers l’axe 3 : Amélioration de la qualité de vie dans les zones rurales et encouragement de la diversification des activités économiques. C’est ce qui se produit actuellement.
Le parc a donc saisi cette chance ?
Il convenait de ne pas abandonner des secteurs agricoles à enjeu, sur lesquels des efforts ont été faits depuis 1995. Profitant de dotation exceptionnelle de la ligne « autres enjeux », le parc a donc mobilisé les MAET au-delà des sites Natura 2000.
Nous avons également mobilisé des moyens humains, au-delà des animateurs des sites Natura 2000, pour permettre la contractualisation sur plus de 2 600 parcelles (îlots ou sous-îlots de la politique agricole commune) après expertise de terrain. Ainsi, 43 % des parcelles engagées depuis 2007 sur le Morvan sont situées en dehors des sites Natura 2000.
C’est une « chance » financière que n’ont pas tous les territoires ?
Effectivement. Le parc du Morvan, qui travaille en réseau avec les autres parcs naturels régionaux, a pu constater que cette possibilité n’avait pas été offerte à tous, loin de là.
Cette « chance » donnée au Morvan a-t-elle permis de répondre aux enjeux du territoire auxquels l’outil MAET pouvait prétendre ? Dans la limite des moyens financiers et humains…
Utilisées de cette façon, les MAET ont permis de mieux faire accepter le dispositif Natura 2000 sans en dénaturer le fond.
En effet, des cahiers des charges plus exigeants, mais aussi mieux rémunérés, ont pu être mobilisés pour les sites Natura 2000 plus remarquables.
Le parc a-t-il gagné en efficience ?
Disons qu’il a gagné en reconnaissance. Les agriculteurs ont apprécié son rôle dans cette opération. Ils ont également apprécié l’investissement humain, qui a pris la forme d’une animation de terrain. Un accompagnement personnalisé des agriculteurs a été mis en place, y compris sur les aspects administratifs du dossier. Le parc a été conforté dans ses missions agri-environnementales. Par ailleurs, un réseau très humanisé s’est constitué autour du dispositif. Les agriculteurs ont perçu le parc comme un allié.
Que retenez-vous de cette expérience ?
Elle nous montre que l’approche territoriale est indispensable mais qu’elle ne suffit pas. Si l’on veut mener à bien des projets cohérents et solides, il faut savoir faire du « sur mesure » et travailler à l’échelle d’une exploitation ; même si cette dernière a peu de parcelles remarquables.
En effet, la parcelle visée est forcément en interrelations avec les autres. Il semble donc plus « durable » d’adapter les pratiques sur les parcelles visées plutôt que de financer des engagements sur quelques parcelles, sans cohérence avec le reste.
Et plus globalement, quelle analyse critique faites-vous d’une telle programmation ?
Le danger serait de devenir des « chasseurs de financements ». En répondant uniquement à des enjeux identifiés dans la politique agricole commune, nous risquons de devenir des opportunistes financiers. Les financements trop fléchés peuvent compromettre les dynamiques et, au final, l’acceptation locale des projets.
Il nous semble plus important d’agir dans le cadre d’une stratégie territorialisée globale. Et de ne pas perdre de vue ses objectifs premiers.
Ce qu’il faudrait également, c’est sortir de la rigidité. Accompagner un projet émergent, c’est pouvoir répondre présent au moment où un besoin est exprimé et faire remonter les actions du territoire.
Cela s’avère plus efficace que d’imposer des cadres de dépenses descendants avec des calendriers contraints, souvent peu appropriés pour l’émergence de dynamiques locales. Il faut laisser du temps au territoire pour préparer et animer un dispositif. •
Recueillis par Moune Poli
1. Depuis le 1er janvier 2007, la politique de développement rural, 2e pilier de la politique agricole commune, est financée par un fonds unique : le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader). Avec cet outil, l’Union européenne contribue à la réalisation des 3 objectifs suivants : Amélioration de la compétitivité de l’agriculture et de la sylviculture (axe 1) • Gestion de l’espace et amélioration de l’environnement (axe 2) • Amélioration de la qualité de vie dans les zones rurales et encouragement de la diversification des activités économiques (axe 3).