Méthode

Établir des priorités de conservation chez les espèces végétales

 

Espaces naturels n°29 - janvier 2010

Études - Recherches

Perrine Gauthier
Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive - Cefe CNRS

L’enjeu : Hiérarchiser les enjeux concernant la protection et le suivi des espèces rares. La solution : Une méthode qui définit trois critères ayant trait à la rareté : la responsabilité patrimoniale, la rareté locale, la vulnérabilité de l’habitat.

L’établissement de listes rouges représente un élément clé des stratégies visant à attirer l’attention sur les espèces les plus menacées. Pour ce faire, l’UICN a proposé une méthode devenue incontournable. Elle permet de quantifier le risque d’extinction sur la base de critères objectifs et autorise une hiérarchie en cinq catégories. Mais la mise en œuvre de cette méthode rencontre des écueils : certains groupes, comme les plantes, sont très riches en espèces et les données concernant leurs tendances évolutives ne sont documentées que pour quelques-unes d’entre elles. Il devient alors délicat de renseigner les critères de la méthode UICN. Ceci d’autant que le risque d’extinction ne saurait constituer l’unique élément pour établir des priorités de conservation. Un outil alternatif simple, fondé sur les connaissances existantes et adaptable à des échelles contrastées, nécessite donc d’être développé.

Qu’est-ce que la rareté ? Cette première question est fondatrice de la méthode proposée qui reconnaît plusieurs façons d’être rare (cf. encadré). Ainsi, une espèce peut être rare 1) si sa distribution est très limitée : elle est endémique d’une aire très restreinte (rareté biogéographique), 2) si ses populations sont largement distribuées mais sont localement de taille restreinte et en petit nombre, 3) si elle est inféodée à un milieu naturellement rare.
C’est dans la combinaison de ces trois grandes classes que s’expriment les différentes formes de la rareté.
Actuellement, les conservatoires botaniques, conservatoires d’espaces naturels, conseils scientifiques régionaux du patrimoine naturel s’interrogent sur l’approche à suivre et les critères pertinents. Un point clé concerne les notions d’espèce rare et d’espèce menacée, qui sont parfois confondues.
En fait, seule la menace est associée à la disparition de populations. Les espèces en cours de raréfaction du fait de la disparition de leur milieu doivent être distinguées des espèces qui sont naturellement rares. Les premières courent un risque d’extinction accru par rapport aux secondes. C’est pourquoi la méthode proposée intègre trois critères qui traduisent la rareté et la vulnérabilité.
• La responsabilité patrimoniale concerne la biogéographie. Une espèce endémique du territoire d’étude décroche une note maximale alors qu’une espèce largement distribuée en dehors de ce même territoire obtient une note plus faible.
• La rareté locale a trait à la démographie. Plus les effectifs (nombre de populations, individus…) ou la présence (nombre de communes) sont réduits, plus la note est élevée. Pour des raisons de faibles effectifs, même une espèce largement distribuée peut être rare dans une ou plusieurs régions. Les espèces présentes dans une région où elles sont en limite d’aire sont souvent rares localement.
• La vulnérabilité de l’habitat décrit les modifications qu’il subit. Les conditions écologiques d’une espèce peuvent être modifiées naturellement, en raison de la dynamique successionnelle de l’habitat ou artificiellement en fonction d’impacts humains (urbanisation ou intensification agricole, déprise et fermeture du milieu).

Objectivité. Pour que la méthode soit objective, il faut pouvoir renseigner les critères avec des données disponibles et adaptées. La faisabilité de la méthode a été testée à deux échelles spatiales avec objectifs
divergents.
• À l’échelle régionale, en l’occurrence le Languedoc-Roussillon (27 376 km2 et 3 200 espèces répertoriées dans la base de données du Conservatoire botanique nationale méditerranéen de Porquerolles), il s’agissait de proposer une liste régionale d’espèces protégées.
• À l’échelle territoriale, en l’occurrence le causse Méjean (350 km² et 800 espèces répertoriées) dans le Parc national des Cévennes, le but visait la sélection d’espèces prioritaires pour des suivis à long terme et l’élaboration de plans de gestion.
L’application de la méthode comporte quatre étapes.
Étape 1. Élaborer une liste préliminaire à partir de la flore globale d’un territoire. Dans les cas présentés, nous avons utilisé une liste simplifiée des espèces déterminantes des Znieff à l’échelle régionale et une liste de 118 espèces élaborée pour le causse Méjean par un groupe d’experts (botanistes locaux, chercheurs, conservatoire botanique…).
Étape 2. Collecter des données visant à renseigner les trois critères pour chaque espèce des deux listes. Chaque critère est divisé en classes (cinq pour chaque critère de la région et quatre pour le territoire) qui correspondent chacune à une note (voir tableau 1). Chaque espèce reçoit alors une note par critère (soit trois notes en tout) en fonction de la classe à laquelle elle appartient.
Étape 3. Combiner les notes obtenues pour les trois critères avec deux possibilités :
• Si l’on considère que les trois critères ont la même importance, il suffit de faire la somme des trois notes.
• Pour souligner le poids des différents critères les uns par rapport aux autres, on peut les hiérarchiser par emboîtement. Par exemple (tableau 2), si la priorité est donnée à l’importance d’un territoire, le critère de responsabilité patrimoniale constitue le premier niveau de la hiérarchisation, vient ensuite le critère de vulnérabilité de l’habitat si l’on souhaite mettre en avant l’impact des disparitions actuelles de certains habitats et enfin la rareté. L’ordre de hiérarchisation est flexible, il dépend des priorités du gestionnaire.
Étape 4. La dernière étape est un « retour aux sources » avec une discussion sur le contenu de la liste avec des experts (voir étape 1) pour vérifier qu’elle ne recèle pas d’erreurs flagrantes (espèces supposées prioritaires mais absentes de la liste, ou l’inverse…). Il s’agit aussi de délimiter la taille de la liste en fonction de considérations politiques, sociales et pratiques (moyens).

Priorité. Définir une liste de priorités de conservation n’est pas une mince affaire, notamment pour les plantes compte tenu du nombre d’espèces qui peut dépasser 3 000 dans certaines régions ou atteindre les 1 000 sur le territoire d’un parc national. Cette méthode simple, applicable à différentes échelles spatiales et basée sur un petit nombre de critères faciles à renseigner pour la majorité des espèces, devrait permettre aux gestionnaires d’adopter une vision objective des différents enjeux impactant une flore locale. C’est ainsi un point de départ en vue d’une discussion avec la Fédération des conservatoires botaniques sur la révision des listes régionales ainsi qu’avec les gestionnaires des espaces naturels pour identifier les espèces prioritaires pour des programmes de suivis et des plans de gestion des habitats.