Services Écosystémiques

Évaluer pour mieux aménager

 

Espaces naturels n°67 - juillet 2019

Aménagement - Gouvernance

Carole Sylvie Campagne, Irstea et Institut de géographie et d'écologie du paysage de l'université Leibniz de Hanovre (Allemagne), sylviecampagne@gmail.com, Philip K. Roche, UR RECOVER, équipe EMR, Irstea, Aix-en-Provence, philippe.roche@irstea.fr, et Franck Spinelli, Écosphère agence nord-ouest, franck.spinelli@ecosphere.fr

Alors qu’ils font l’objet de nombreux travaux de recherche, les services écosystémiques n’étaient jusqu’alors pas évalués lors des études d’impact en amont d’aménagements. Un vide désormais comblé par un travail multi-partenarial mené sur trois territoires (Scarpe-Escaut, Alpilles et Baronnies provençales et Hauts-de-France). Focus sur les Hauts-de-France.

Il n'existe pas encore de méthode standard pour intégrer les services écosystémiques dans les études d'impact. © Arnaud Bouissou - Terra

Il n'existe pas encore de méthode standard pour intégrer les services écosystémiques dans les études d'impact. © Arnaud Bouissou - Terra

L’aménagement du territoire et la construction d’infrastructures ont des impacts sur les services écosystémiques (SE) en supprimant et/ou altérant les écosystèmes ainsi que les espèces qui leur sont inféodées. Les mesures compensatoires s’appuient actuellement essentiellement sur les destructions d’espèces ou d’écosystèmes, protégés ou non. Or ces mesures doivent également considérer des équivalences fonctionnelles et les connectivités écologiques traduites en pertes de services écosystémiques.
Il n’existe pas encore de méthode standard pour intégrer l’évaluation des services écosystémiques dans les études d’impact ou dans les autres dossiers de portée réglementaire.
C’est pourquoi, en s’appuyant sur l’évaluation des SE dans plusieurs Parcs naturels régionaux (PNR) et sur la Région Hauts-de-France, l'Irstea, en collaboration avec la Dreal Hautsde- France et le bureau d’études Écosphère, travaille sur l'intégration des SE dans les outils de gestion et de planification ainsi qu’à la définition d’une méthode de prise en compte des SE dans les études d’impacts.

L’APPROCHE À DIRE D’EXPERTS

Pour évaluer les services, une méthode flexible et rapide a été utilisée et adaptée. Elle se base sur une approche à dire d’experts pour estimer la capacité des différents écosystèmes d’un territoire à produire un ensemble de SE. Les experts sont des acteurs du territoire et des gestionnaires des écosystèmes régionaux. Ils possèdent des connaissances liées à ces écosystèmes et leurs capacités à produire des services. Le panel des experts doit recouvrir à la fois l'ensemble des spécificités écologiques et l'ensemble des acteurs du territoire. Pour la Région Hauts-de-France, le panel comprenait, entre autres, des gestionnaires de milieux naturels, des experts locaux et des associations de protection de la nature. La méthode utilisée, dite « des matrices », passe par la création d’une table croisant les écosystèmes et les services écosystémiques et qui est remplie individuellement par les experts avec un score de 0 à 5. Cette note correspond, pour chaque écosystème, à la capacité de production du SE. Le score final est issu de la moyenne des scores donnés par les experts. Les analyses statistiques ont montré qu'il fallait un minimum de 15 experts pour avoir un score final robuste.

UNE MÉTHODE COMBINÉE DES PLUS FIABLES

Les diverses méthodes pour évaluer les services se concentrent essentiellement sur un nombre restreint de services et sont confrontées, entre autres, au manque de données disponibles ou accessibles. La comparaison des scores issus du dire d'experts et de données quantitatives issues de données disponibles pour sept services montre une forte relation entre les deux sources de données, ce qui démontre la fiabilité du dire d'experts dans l’approche. Cette méthode est de plus en plus utilisée, car elle offre de nombreux avantages notamment la crédibilité des résultats par la validation des experts du territoire et une rapidité d’application qui combine la prise en compte d’un nombre important de SE. Un atelier présentant la méthode permet d’homogénéiser la compréhension par l’ensemble des acteurs de l’évaluation et surtout de disposer d’une base méthodologique consensuelle et commune. La contribution de l'ensemble des experts d'un territoire légitime la démarche et favorise l’acceptation, l’intégration et l’appropriation des résultats pour les politiques territoriales.

La prise en compte des services écosystémiques permet d’intégrer la nature « ordinaire » qui est peu abordée actuellement dans les évaluations environnementales et de renforcer les aspects fonctionnels.

C’est à partir de cette approche que sont développées des méthodes pour intégrer les SE dans les études d’impact. Par exemple, dans le cadre de l’étude de plusieurs variantes de route nationale, la méthode a permis de définir quelle variante allait impacter le moins de SE. Pour cela nous avons utilisé la matrice des capacités des écosystèmes de la région Hauts-de- France et l'occupation du sol impactée par les variantes étudiées. Ainsi la variante « centre » a le moins d’impacts sur les SE (voir figure). Ces résultats coïncident avec les résultats des autres données environnementales de l'étude d’impact et ainsi, dans cet exemple, appuie le choix de la variante « centre » pour la construction de la route. L’évaluation des SE dans le cadre des études d’impact ou dans les autres dossiers à portée réglementaire doit s’inscrire dans la séquence « Éviter, réduire, compenser » (ERC) en lien et de manière complémentaire avec la prise en compte de la biodiversité. La considération de ces services dans la séquence ERC engendre de nombreuses questions telles que la hiérarchisation entre services, l’échelle d’étude, des réflexions sur des facteurs de pondération ou encore la prise en compte des espèces, l’état de conservation, l'accessibilité, etc. De plus, la priorisation en fonction des enjeux territoriaux est importante. Ces éléments sont à l’étude à travers l’analyse de cas concrets dans la région Hauts-de-France.

AFFINER L’ANALYSE

De manière générale, les différents projets et aménagements peuvent avoir des impacts différents sur les SE. Connaître ces différences permet d’orienter certains choix de manière conjuguée avec les autres études, au regard de l’ensemble des impacts. De plus, la prise en compte des SE permet d’intégrer la nature « ordinaire » qui est peu abordée actuellement dans les évaluations environnementales et de renforcer les aspects fonctionnels. En mettant en avant des incidences non étudiées par les études actuelles, la cartographie des SE permet d’affiner l’analyse des impacts en lien avec l’ensemble des autres thématiques environnementales. Prévoir les effets des projets, plans et programmes d’aménagement sur les SE est un besoin et une obligation réglementaire pour évoluer vers un aménagement durable du territoire.