Prospective

De l'intérêt d'influencer les prototypes

 

Espaces naturels n°67 - juillet 2019

Le Dossier

Propos recueillis par MMB

Alors que de nouveaux moyens de produire de l'électricité sont testés, en particulier en mer, comment les professionnels de la nature peuvent-ils influencer l'avenir ? Sont-ils consultés ? Comment leur avis est-il pris en compte ? Grégory Agin, du PNM Golfe du Lion et Philippe Le Niliot, du PNM Iroise, témoignent.

Ferme pilote d'éoliennes flottantes dans le périmètre du Parc naturel marin (PNM) du golfe du Lion. © Engie

Ferme pilote d'éoliennes flottantes dans le périmètre du Parc naturel marin (PNM) du golfe du Lion. © Engie

Quand est-il prévu que les gestionnaires d'aires protégées soient consultés lors de projets d'implantation de générateurs ?

Grégory Agin : Les parcs marins sont très sollicités par les énergéticiens qui souhaitent mettre en place des générateurs en mer, pour lesquels ils peuvent penser qu'ils rencontreront moins d'obstacles que sur terre. Le conseil de gestion a vocation à émettre des avis sur tout nouveau projet dans son périmètre, avis simple ou conforme selon qu’il y a un effet notable sur l’environnement marin ou pas (cf. Espaces naturels n°56). Dans le cas du projet de ferme pilote d'éoliennes flottantes qui prévoit l'implantation et le raccordement de quatre machines dans le périmètre du PNM du golfe du Lion (PNMGL), le conseil de gestion s'est prononcé sur un avis conforme, en juin 2018.

Philippe Le Niliot : Le développement des EMR nécessite même plusieurs avis à différentes étapes de maturation ou réalisation du projet. Un projet hydrolien (de récupération de l’énergie des courants de marée) a ainsi été présenté quatre fois au conseil de gestion du Parc naturel marin d’Iroise. La première sur l’opportunité (appel à manifestation d’intérêt), la seconde pour l'obtention de l'autorisation d'utiliser le Domaine public maritime (DPM) et enfin pour l’autorisation de travaux. La dernière correspond à la prolongation de l’autorisation d’occuper le DPM, qui est toujours temporaire. À chacun des avis, c’est l’occasion pour les membres du conseil d'échanger avec le porteur de projet, souvent présent, et de faire des propositions.

C'est l'intérêt des démonstrateurs ?

Philippe Le Niliot : Pour ce qui nous concerne, nous avons formalisé dans nos avis, une liste de prescriptions relatives à l’effet du projet sur l’environnement. Nous avons ensuite vérifié sur le terrain le respect de ces prescriptions. Nous avons donc des échanges avec le porteur de projet, mais pas au point d’influencer le cahier des charges du projet. L’intérêt porté par le conseil de gestion du Parc naturel marin d’Iroise pour la mise en place d’une hydrolienne est précisément lié au fait qu’il s’agit d’un démonstrateur. En effet, l’impact de l’immersion de ces dispositifs (niveau de bruit des rotors, risques de pollutions directes ou connexes, dérangement de la faune) relève à ce jour essentiellement de la conjecture, car bien peu d’engins de ce genre sont opérationnels. De ce point de vue, il est d’autant plus intéressant de pouvoir étudier les impacts potentiels à partir d’engins implantés dans les conditions normales d’utilisation par les producteurs. L’enjeu est donc de collecter, à partir du démonstrateur, les éléments qui vont permettre de modéliser l’effet sur l’environnement du déploiement de machines à une plus grande échelle.

Quel rôle peut jouer le gestionnaire ? Que peut-il réussir à faire bouger ?

Philippe Le Niliot : Le gestionnaire va assez directement cibler les enjeux du périmètre convoité par les développeurs d’énergie renouvelable. À première vue cela peut être vécu comme un frein, mais c’est au contraire un atout. Les sites retenus pour l’implantation de dispositifs récupérateurs de l’énergie hydrolienne sont restreints géographiquement et limités en nombre. Ils correspondent aussi, bien souvent, à des zones importantes pour le fonctionnement des écosystèmes et pour le cycle d'espèces rares ou menacées. Ce sont aussi des zones importantes pour des espèces d’intérêt halieutique stratégiques pour des communautés de pêcheurs professionnels locaux qui y travaillent à l’année. L’ensemble, bien caché sous la surface, n’est pas forcément intuitif et c’est souvent après un long travail de diagnostic, nécessitant des études longues et coûteuses, qu’un porteur de projet arrive à ces conclusions.

Grégory Agin : Peu importe la réussite technique ou économique des projets, notre rôle ne se limite pas aux impacts sur la biodiversité. La concertation intègre tous les usagers de la mer. Nous avons pu mettre autour de la table les défenseurs des oiseaux et mammifères marins, les porteurs de projets, mais aussi les pêcheurs professionnels, les pêcheurs récréatifs, les services de l'État et les élus des communes ! On a par exemple réussi à faire évoluer la prise en compte du paysage dans ce projet. Les questions paysagères ne doivent pas se poser que de la terre vers la mer. On doit aussi penser à la perception depuis la mer, ou depuis l'intérieur des terres (les points hauts que représentent les Albères et le Canigou). Notre rôle n'est pas de favoriser l'implantation, ni de l'empêcher systématiquement mais bien de faire en sorte que ces projets soient compatibles avec notre plan de gestion et l'acceptabilité de tous les usagers. C'est pourquoi nous avons, pendant plus de deux ans, échangé régulièrement avec les porteurs de projets et leurs bureaux d'études au sein du groupe de travail. Nous pouvons faire émerger aussi des thématiques qui ne sont pas assez prises en compte.

Comment fonctionne votre collaboration avec les porteurs de projet ? Quel intérêt ont-il à travailler avec les professionnels des parcs naturels marins ?

Grégory Agin : Paradoxalement, les porteurs de projets sont plutôt preneurs de travailler dans des aires protégées pour les expérimentations, car ils peuvent ainsi collaborer avec des experts. Les parcs marins sont des espaces où l'effort de connaissances est important, ce qui est apprécié des opérateurs également (ils peuvent ainsi profiter d'une connaissance et d'un savoir plus important qu'ailleurs). La gouvernance des parcs naturels marins est un atout pour l'acceptabilité. Au-delà de la phase « obligatoire » de consultation, le PNMGL a été sollicité pour la planification des zones propices, en amont de la rédaction du cahier des charges pour l'appel à projet de l'Ademe. Il a constitué un groupe de travail ad hoc, qui a permis de transmettre une liste de recommandations, en partie reprises par l'appel à projet. Nous avons réussi à faire évoluer le projet sur : la non utilisation d'anti-fouling, une ligne de mouillage mixte (pas de maillons en pleine eau) pour limiter le bruit, la non utilisation d'anodes sacrificielles, l'adaptation de protocoles de suivis (avifaune, benthos, colonisation des flotteurs, herbier de cymodocées, etc.). Par la suite, dès la désignation du lauréat dans le parc, un nouveau groupe de travail s'est réuni afin de vérifier la compatibilité du projet avec le plan de gestion, d'accompagner les lauréats (enjeux, impacts et suivis) et d'éclairer la décision du conseil de gestion (préparatoire à l'avis).

Philippe Le Niliot : Le gestionnaire connaît bien son périmètre : l’environnement et son évolution font l’objet de nombreux suivis. Les différents usages qui s’y déroulent sont aussi décrits et renseignés de manière assez fine dans certains secteurs. Cette vision intégrée de l’environnement est précieuse pour un porteur de projet d’EMR et elle peut parfois lui faire gagner du temps. La possibilité de rencontrer le conseil de gestion d’un parc naturel marin lui permet d’accéder à l’ensemble des acteurs en même temps. Cette opportunité est précieuse dans les phases précédant l’installation des équipements et la production effective d’énergie.