Pelouses calcicoles

Expériences de gestion

 
Gestion patrimoniale

Le Parc naturel régional des Caps et Marais d’Opale a entrepris des actions de gestion des pelouses calcicoles depuis plus de 20 ans. Retours d’expériences et pistes d’enseignements.

Le Damier de la succise (Euphydryas aurinia), que l'on croyait disparu, a été retrouvé en 2012 sur les coteaux du Boulonnais.

Le Damier de la succise (Euphydryas aurinia), que l'on croyait disparu, a été retrouvé en 2012 sur les coteaux du Boulonnais.

Les pelouses calcicoles correspondent aux espaces ouverts des coteaux calcaires ayant la végétation la plus rase. Elles sont aussi appelées « pelouses sèches sur calcaires » en termes scientifiques, et appelées localement « rietz » ou « monts ». Les milieux non boisés sur les coteaux du territoire du Parc naturel régional des Caps et Marais d'Opale (PNR), situé dans le Pas-de-Calais représentent environ 2 000 ha (pelouses, prairies, friches) dont 600 à 800 ha de pelouses calcicoles. Actuellement, plus de la moitié des pelouses calcicoles sont entretenues mais cela reste insuffisant au regard de l’enjeu.

Considérées comme « habitats naturels remarquables » dans la charte du Parc, les pelouses calcicoles du Boulonnais sont des milieux semi naturels issus de pratiques agropastorales alliant pâturage ovin itinérant et techniques de brûlis. Le déclin de ces habitats d’intérêt communautaire découle de l'évolution des techniques agricoles vers l'agriculture intensive. D'une part, l'abandon progressif du pâturage provoque une colonisation et une fermeture du milieu par les ligneux, principalement par la dynamique végétale et parfois par des plantations. D'autre part, bien que parfois limité par le manque d’accessibilité des coteaux calcaires pour les engins agricoles, l'usage intensif d’intrants (engrais et pesticides) est défavorable au caractère oligotrophe des pelouses. La combinaison de ces deux phénomènes a conduit à la disparition ou la dégradation de surfaces importantes de pelouses calcicoles et à une fragmentation des pelouses résiduelles, entraînant par conséquent la disparition ou la raréfaction des espèces inféodées à ces habitats.

Pour les préserver, de nombreuses actions ont été entreprises depuis plus de 20 ans par le PNR et ses partenaires comme Eden 62, le Conservatoire d’espaces naturels, mais aussi l’État, le centre régional des ressources génétiques, l’établissement public foncier ou encore la fédération départementale des chasseurs du Pas-de-Calais. Un « plan d’action coteaux calcaires » a été mis en place pour mieux cibler les interventions. De nombreux sites sont classés en Natura 2000.

Les mesures de restauration des habitats et de la flore caractéristiques des milieux s’appuient le plus souvent sur le retour du pâturage extensif tournant avec des troupeaux de moutons boulonnais, race domestique locale qui a été sauvée de justesse grâce notamment à ces actions. La diversité des espèces cibles, la diversité structurale des pelouses, et la diversité des gestionnaires sur le territoire induisent d'elles-mêmes une diversité de résultats. Il ne s'agit pas ici de comparer exhaustivement les modes de gestion en fonction des résultats recherchés mais bien de livrer des expériences pratiquées par le PNR.

Impacts de la gestion sur la faune, les habitats et la fonge

L’entomofaune est aujourd’hui de plus en plus prise en compte en tant qu’indicateur de l’état de conservation des pelouses calcicoles. Cette évolution est positive car certaines pelouses abritent des espèces rares et menacées pour lesquelles la gestion pratiquée jusqu’alors ne semble pas la plus pertinente, voire peut constituer une menace pour certaines populations présentes. C’est le cas du Damier de la succise (Euphydryas aurinia), espèce d'intérêt communautaire que l’on croyait disparue et qui a été retrouvée en 2012 sur les coteaux calcaires du Boulonnais.

La réapparition de cette espèce et ses exigences particulières vis-à-vis de son habitat ont ouvert le débat au PNR des Caps et Marais d’Opale concernant la gestion à développer en faveur de cette espèce. En effet, le pâturage ovin semble incompatible avec la conservation du papillon. Ces résultats, présentés dans la littérature scientifique anglo-saxonne, sont corroborés par les suivis réalisés par l’équipe du Parc. La compatibilité du pâturage et de la conservation d’espèce patrimoniale peut se poser aussi pour la Vipère péliade (Vipera berus)...

Concernant les habitats, de nombreux sites font l'objet d'une gestion par fauche exportatrice, débroussaillage avec ou non mise en pâturage pour pérenniser les actions. Un exemple récent et significatif est celui du coteau de Journy, site appartenant à un propriétaire privé qui fait l'objet d'un partenariat technique remarquable entre le propriétaire privé et le Parc naturel régional. Ce site, dans le périmètre Natura 2000, présente des habitats pelousaires très originaux : les opérations de débroussaillage et de fauche exportatrice ont conforté des espèces emblématiques comme la Gentianelle d’Allemagne (Gentianella germanica), la Parnassie des marais (Parnassia palustris) ou encore l’Orchis musc (Herminium monorchis). Sur ce site, le pâturage caprin donne des résultats intéressants en compléments du pâturage ovin.

Concernant la fonge, de nombreuses données ont été amassées sur les pelouses calcicoles du territoire, en particulier grâce au travail incessant de scientifiques comme Didier Huart, vice-président de la Société mycologique du nord de la France (SMNF) pour le Pas-de-Calais, et dont certaines des conclusions sont résumées ici. Il montre que malgré l'apparente homogénéité des pelouses calcicoles, il y a en réalité une mosaïque de milieux différents au sein d'une même pelouse calcicole. Les variations à échelle plus fine sur le plan édaphique (pH, bilan hydrique) liées à la pente et l’exposition, en sont un des facteurs d’explication. Sinon il faut en rechercher les raisons dans les modes de gestion : apport ou non d’engrais, type de bétail utilisé, etc. Plusieurs sites sur le territoire dont les Monts d'Audrehem sont de niveau national voire international en termes de richesse fongique (deux espèces nouvelles pour l’ex--région Nord-Pas-de-Calais, Hygrocybe calyptriformis, bel hygrophore rose et Hygrocybe nitrata à odeur chlorée, y ont été découvertes).

Sur le Mont d'Audrehem, également classé en Natura 2000, un lien a pu être établi avec le différentiel d’amendements. Le secteur ouest pentu, aujourd’hui pâturé par les ovins et surtout le secteur sud en MAE (gagnant d’un concours des prairies fleuries) pâturé par cinq génisses depuis plusieurs dizaines d’années, sont de loin les plus riches. Indigence fongique à l’inverse sur le plateau situé à l’est recevant des apports de fumier.

Les recherches de Didier Huart tendent à montrer que la richesse fongique n'est pas forcement corrélée à la richesse botanique sur les coteaux. En effet, sur le plan floristique, la richesse patrimoniale se rencontre sur les secteurs pentus à sol mince, correspondant à des formations davantage oligotrophes, or ces secteurs présentent une moindre richesse fongique surtout sur le plan de l’abondance (déficit hydrique, absence des plantes liées à la fonge, spécialisation trophique ?). Ces observations rejoignent celles des mycologues britanniques spécialistes des hygrocybes comme Shelley Evans, Gareth Griffith et Maurice Rotheroe.

Diversité des modes de gestion

En somme, la diversité des groupes faunistiques, floristiques et fongiques conditionnera la finesse de la gestion. Lorsque les surfaces de milieux sont importantes, on pourra jouer sur une diversité de modes de gestion.

Le critère de patrimonialité préside souvent aux choix du gestionnaire. C’est lui qui agence la hiérarchisation des opérations de gestion. Cependant, sur les sites les plus précieux les enjeux se percutent, parfois de manière contradictoire. Ces contradictions sont parfois relayées par les spécialistes qui défendent leurs domaines de prédilection. Le gestionnaire revêt alors ce rôle de médiateur : car au final, la nature n’a pas attendu d’être gérée pour que les gestionnaires contemporains héritent de sa quintessence.