Nature en ville

Faucher comme il faut, quand il faut

 

Espaces naturels n°52 - octobre 2015

Gestion patrimoniale

Nora Derras, INRA Paca, et Bernard Vaissière

Selon les milieux, on peut avoir une idée de ce qu'on veut obtenir comme résultat, mais pas forcément de la manière de s'y prendre pour y parvenir. On rêve d'espaces naturels en ville qui soient favorable aux pollinisateurs. Mais quelles mesures de gestion permettront de réussir ? Les chercheurs d'Urbanbees ont travaillé à y répondre.

Bombus lucorum mâle.

Les espaces interstitiels, petits bouts de nature en ville, permettent à toute une végétation spontanée de se développer.     © H. Mouret - Bombus lucorum mâle.

Le 20 mai 2015, Ségolène Royal a lancé le plan national d’actions ‘France, terre de pollinisateurs’, attestant que le déclin des insectes pollinisateurs constitue aujourd’hui une préoccupation majeure en France. Au premier rang de ces insectes figurent les abeilles. Des études démontrent presque quotidiennement l’ampleur des stress auxquels les abeilles doivent faire face et laissent imaginer leur possible disparition (Goulson et al. 2015). Ce cri d’alarme retentit jusque dans notre quotidien puisque les pollinisateurs assurent plus de 80% de la reproduction sexuée des espèces sauvages de plantes à fleurs (Klein et al. 2007 ; Ollerton et al. 2011).

UNE MÉTHODOLOGIE RODÉE

C’est dans ce contexte que nous avons mené en 2014 une étude1 sur la gestion des espaces interstitiels en lien avec les relations plantes-abeilles sauvages dans le cadre du programme URBANBEES*. En effet, les espaces interstitiels2 des milieux urbain et péri-urbain abritent une flore spontanée et pourraient constituer des zones attractives pour les abeilles sauvages. Toutefois, l’impact de la gestion de ces espaces sur la flore en lien avec les abeilles n’était jusqu’alors pas connu. Notre objectif était donc d’évaluer si une gestion appropriée pourrait permettre à ces espaces d’augmenter les ressources alimentaires pour les abeilles sauvages en ville.

DES PRATIQUES DE GESTION RESPONSABLES

Pour assurer le « couvert » des populations d’abeilles, seules quelques exigences de base sont a priori requises: des fleurs en quantité suffisante, des plantes hôtes appropriées - de préférence spontanées - avec des périodes de floraison qui s’étendent sur une grande partie de l’année, sans oublier un environnement exempt de pesticides. Afin de créer cet environnement plus hospitalier pour les abeilles sauvages, les pratiques de gestion doivent probablement être réfléchies et adaptées. Mais sur quelle bases ?

Nous avons effectués des entretiens auprès des gestionnaires d’espaces verts de la Métropole du Grand Lyon, et recueilli des informations sur les pratiques de gestion d’un échantillon de 51 espaces interstitiels situés majoritairement en zone péri-urbaine. Nous avons pu prendre en compte les interactions de 291 espèces d’abeilles sauvages butinant sur 391 espèces végétales dans le Grand Lyon.

Au vu des résultats obtenus dans l’analyse des données, quelques recommandations de gestion ont été mises en avant. Les différentes modalités de fauche agissent en faveur de la diversité spécifique et de la présence d’espèces végétales d’intérêt pour les abeilles sauvages. Parmi les différentes modalités d’intervention, c’est avant tout l’interaction entre la hauteur de fauche et l’ancienneté de gestion des sites qui apparaît importante. Lorsque la gestion est récente, il convient de faucher à une hauteur plus importante (> 10 cm) pour avoir un effet favorable. Ensuite la hauteur de coupe peut diminuer au fil du temps pour descendre entre 5 et 10 cm au minimum. Il est intéressant de favoriser la fauche en maintenant les espaces ouverts, sauf en milieux fortement urbanisés où il serait plus avantageux de limiter les interventions. De plus, nos résultats montrent qu’on peut favoriser une flore diversifiée favorable aux abeilles sauvages avec une combinaison modérée de gestion associant 2 fauches par an avec une hauteur de coupe comprise entre 5 et 10 cm.

A l’échelle d’une espèce végétale, il convient d’examiner chaque modalité de gestion au regard des exigences et caractéristiques de chaque espèce végétale pour adapter les régimes de fauche. Par exemple, la vipérine commune (Echium vulgare) et le Torilis du Japon (Torilis japonica) sont favorisés par une fréquence de coupe soutenue (entre 2 et 4 fauches par an). Or, la vipérine commune est une espèce particulièrement intéressante pour les insectes pollinisateurs car ses fleurs fournissent en abondance nectar et en pollen, et elle fleurit sur une longue période de sorte qu’elle attire beaucoup d’abeilles de nombreuses espèces (Corbet 1978).

Il est important aussi que la première fauche soit adaptée aux périodes d’activités des abeilles (une partie en avril-mai et le reste en juillet par exemple). Cela permet de conserver des ressources florales à des moments clés pour certaines espèces d’abeilles. Il faut se rappeler que ces résultats méritent d’être confirmés par des études complémentaires et qu’il n’existe pas de gestion optimale de la biodiversité.

Même si elles doivent accueillir des fortes densités de population humaine, les villes renferment parfois une biodiversité considérable par rapport à d’autres milieux anthropisés (Goddard et al. 2009). Au regard de leur nombre et de leurs surfaces cumulées, il est probable que les espaces interstitiels jouent un rôle important dans les dynamiques de population de la flore urbaine (Politi Bertoncini et al. 2012). Souvent moins traités en produits phytosanitaires, fleuris une grande partie de l’année avec une flore spontanée et légèrement plus chauds, ces espaces peuvent offrir « gîte et couvert » aux abeilles. Notre approche semble intéressante car les gestionnaires d’espaces verts interrogés ont souvent fait preuve d’une sensibilité marquée envers les thématiques en lien avec les insectes pollinisateurs. Certains la considèrent même comme une porte d’entrée privilégiée pour améliorer la gestion de leurs espaces selon une logique accessible au grand public.

En conclusion, une meilleure compréhension des liens entre méthodes de gestion des espaces verts et interstitiels d’une part, et flore spontanée et abeilles sauvages d’autre part, offre de nouvelles perspectives de gestion pour favoriser le maintien des populations d’abeilles sauvages et plus généralement de la biodiversité en ville. Une bouffée de Nature à laquelle les citadins sont de plus en plus sensibles !

1 Derras, Nora. 2014. Gestion des espaces interstitiels urbains et péri-urbains du Grand Lyon et relations plantes-abeilles sauvages. Mémoire de Master 2, Université Paris Diderot, Paris 7
2 Espace interstitiel : espace non-imperméable inséré dans la matrice urbaine où une végétation spontanée se développe.