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Impacts des pollutions diffuses (1) Écosystèmes littoraux

 

Espaces naturels n°56 - octobre 2016

Le Dossier

Dominique Munaron,
Ifremer 

Le cas des lagunes littorales est particulièrement sensible car leur confinement accentue l'impact potentiel des polluants.

Écosystèmes littoraux

Faune et flore de ces milieux sont quasi-continuellement soumis à la présence de « cocktails » de micropolluants extrêmement variés. © Daniel Joseph-Reinette

Les écosystèmes lagunaires, situés à l'interface entre milieux continental et marin, sur des linéaires côtiers de plus en plus anthropisés, constituent des sites sensibles, particulièrement sujets aux pollutions chimiques, qu'elles soient diffuses ou ponctuelles. Leur confinement accentue en effet le risque d'impact de polluants chimiques sur leurs écosystèmes. Dans ce contexte, la question des contaminants, et de leurs effets sur les écosystèmes littoraux, doit être placée au centre des préoccupations autant politiques que scientifiques. 

L'Observatoire des lagunes (Obslag) ainsi que les suivis réalisés dans le cadre de la Directive cadre sur l'eau (DCE) par l'Ifremer et financés par l'Agence de l'eau Rhône Méditerranée Corse, ont mis en évidence la présence de macro et micropolluants dans les eaux des lagunes méditerranéennes. Les macropolluants sont constitués par des produits chimiques présents à de « fortes » teneurs (de l'ordre du micro au milligramme par litre), facilement quantifiables par simple prélèvement d'eau (c'est le cas par exemple de l'azote – nitrates notamment – ou du phosphore – ortho-phosphates –, apportés respectivement par les engrais et les rejets domestiques, et responsables du phénomène d'eutrophisation). 

Les micropolluants sont à l'inverse présents à l'état de traces (de l'ordre du nano au microgramme par litre), et leur quantification nécessite des techniques de concentration, de purification et d'analyse très pointues. Ces travaux ont mis en lumière l'une des caractéristiques actuelles des écosystèmes littoraux : faune et flore de ces milieux sont quasi-continuellement soumis à la présence de « cocktails » de micropolluants extrêmement variés (où pollutions diffuses et ponctuelles s'entremêlent en un mélange d'herbicides, de fongicides, d'insecticides, de métaux lourds, de dérivés d'hydrocarbures, de plastiques, de produits pharmaceutiques, de tensio-actifs, de retardateurs de flamme, de stéroïdes...).

Ces mélanges à faibles teneurs compliquent considérablement les travaux qui tentent de mettre en évidence d'éventuels effets sur les écosystèmes. C'est pourquoi de nombreuses études se focalisent encore sur des tests écotoxicologiques monospécifiques, ciblés sur un seul contaminant (voire plusieurs de la même famille chimique), et souvent sur un seul organisme. Ces recherches récentes en écotoxicologie ont néanmoins montré que ce n'est pas toujours la dose qui fait le poison, notamment dans le cas des substances ayant des effets de perturbation endocrinienne. Les faibles doses entraînent généralement peu, voire pas, d'effet létaux mais, en revanche, elles pourraient entraîner des effets sub-létaux sur les populations aquatiques...

Des travaux de plus en plus nombreux montrent que les polluants chimiques contribuent à affaiblir, à différents niveaux physiologiques et biologiques, des organismes variés situés pourtant à différents niveaux trophiques. Aguirre-Martinez et ses collègues (2016) ont ainsi exposé des palourdes à des concentrations environnementales en produits pharmaceutiques. Grâce à une batterie de biomarqueurs, ces auteurs ont montré que si ces dernières sont loin de mourir lorsqu'elles sont exposées à un antibiotique, un antidépresseur, un stimulant comme la caféine ou un anti-inflammatoire,  elles sont bien impactées au niveau neurotoxique, et se défendent en mettant en oeuvre des mécanismes de dégradation de ces substances. Ces mécanismes induisent un stress pour l'animal, et une dépense énergétique pouvant provoquer un affaiblissement général du coquillage. Les exemples sont multiples, Di Poi et ses collègues ont mis en évidence en 2013 qu'une exposition périnatale à des concentrations environnementales en fluoxetine (un antidépresseur), conduit à une diminution importante de la mémoire des seiches adultes et modifient leur capacité d'apprentissage. 

Outre les produits pharmaceutiques, les herbicides peuvent aussi porter atteinte aux écosystèmes côtiers, à différents niveaux. Ils peuvent inhiber la photosynthèse des plantes aquatiques. Cet impact direct a été mis en évidence à plusieurs reprises sur des microalgues de la famille des diatomées (espèces « fourrages », nourriture privilégiée des coquillages en élevage) à des niveaux d'exposition environnementaux, mais à de tels niveaux, l'impact sur les herbiers n'a pas été mis en évidence jusqu'à présent. Des effets indirects, à l'échelle des communautés phytoplanctoniques, sont également décrits (Arzul & Quiniou, 2004) : en pénalisant certaines espèces, d'autres espèces plus résistantes aux herbicides sont ainsi favorisées dans la compétition inter-spécifique. C'est le cas de certaines espèces de phytoplancton, dont les blooms s'accompagnent de la production de toxines qui peuvent ensuite porter atteinte aux productions conchylicole ou piscicole, voire indirectement à l'homme. À l'échelle des populations, Barranger et ses collègues ont montré en 2014 que l'herbicide diuron entraîne des dommages génétiques aux huîtres adultes exposées à des teneurs environnementales, et surtout ces dommages se transmettent aux générations suivantes, elles-mêmes exposées... On ne sait pas, à l'heure actuelle, si ces dommages sur l'ADN peuvent impacter leur viabilité à long terme.

 

Si les effets directs (un polluant sur un organisme donné) sont encore trop partiellement décrits dans la littérature « marine » (le faible nombre de contaminants disposant de Normes de Qualité Environnementale en atteste), les effets combinés des contaminants ne le sont pas du tout, en raison du nombre d'interactions possibles (contaminants – contaminants, contaminants – cibles, contaminants - environnement). 

Le développement d'outils et de marqueurs biologiques plus intégrateurs est donc indispensable pour, à l'avenir, pouvoir apporter des réponses scientifiques à cette question relayée par l'ensemble de la société civile. Les récents progrès de la métabolomique, science qui étudie le métabolome, c'est-à-dire l'ensemble des molécules excrétées par un organisme donné, comme un indicateur de sa santé générale, constituent une piste prometteuse pour l'écotoxicologie, pour tenter d'évaluer l'effet global des mélanges de contaminants.