Port-Cros

Jason, un outil acoustique de veille du territoire

 
Études - Recherches

Hervé Glotin
Université Sud Toulon
Guillaume Sellers
Université Sud Toulon
Laura Hauc
Université Sud Toulon

La bioacoustique est pour un gestionnaire d'espaces naturels un instrument formidable d'écoute du vivant. Sans remplacer l'analyse de terrain toujours indispensable, cette méthode entraîne un changement d'échelle à plusieurs dimensions dans notre connaissance dans le déplacement des organismes.

« Le système d'enregistrement JASON fournit aux gestionnaires des données de types bioacoustiques particulièrement  originales » © PNPC - F. Rivron

Suivre les espèces, c’est souvent les écouter. Mais comment faire si on ne peut les entendre de nos propres oreilles ? Le projet JASON (pour « Joint acoustic survey for online biodiversity ») initié par l'Université de Toulon en collaboration avec le Parc national de Port-Cros, introduit un outil pour la surveillance à long terme d’un écosystème. JASON est un « observatoire bioacoustique » qui permet de suivre des populations animales au sein d’un écosystème via les sons qu’elles émettent. Enregistrant de manière continue et autonome, sur quatre canaux ultrasoniques, JASON a été mis en service en deux points sur Port- Cros en juillet dernier. Il fonctionne depuis sur panneau solaire. Plusieurs tera-octets de sons ont donc été enregistrés. Les fichiers audio représentent de véritables paysages acoustiques, desquels l’équipe de recherche peut extraire de nombreuses informations.
 
Lors de sa première mise en service, JASON s’est focalisé sur l’étude des chiroptères insulaires. Plusieurs individus ont été captés avec succès. Les données recueillies peuvent donner de nombreuses informations sur ces chauves-souris telles que leur espèce, leur activité (sociale, chasse) ou la trajectoire empruntée par l’individu. JASON surveille également d’autres espèces animales (oiseaux, insectes, reptiles, amphibiens) qu'il permet de détecter et classifier sur de longues séquences temporelles. Les résultats de JASON permettent de montrer aussi une corrélation entre la variation de l'activité acoustique de la faune et la pression anthropique. À terme, il s’agirait de fournir au parc national un outil supplémentaire dans la gestion et la veille du territoire dont il a la charge. JASON pourra aussi être mis à disposition d’autres parcs nationaux ou gestionnaires, en particulier dans des zones de repos migratoire, ou pour toute étude d'impact (éolienne, infrastructure de transport).
 
Ce nouvel outil permet un changement radical d’échelle temporelle : avec les algorithmes puissants de traitement de l'information, on peut désormais procéder à une analyse d'un territoire en continu et sur des durées longues. En effet, jusqu'à présent, il fallait se contenter de données réduites, par soucis de discrétion, mais aussi pour des questions de moyens. Imaginez le coût humain d'une observation en continu sur six mois !
 

Ce sera aussi, par la suite, un changement d'échelle spatiale. En utilisant des hydrophones, il sera possible de scruter de vastes parties d'un espace marin. On devait jusqu'à présent procéder par échantillonnage, sur des points représentatifs. On va pouvoir suivre désormais des espèces dans les espaces inaccessibles aux oreilles et aux yeux humains, comme les grandes profondeurs. Intéressant, quand on sait que les cachalots, par exemple, y passent une grande partie de leur vie. En effet, un couplage avec de l'instrumentation bioacoustique sous marine a permis de détecter en juillet 2014 la présence d’un cachalot à une distance estimée à 5 km. Le système d'enregistrement JASON, dont le fonctionnement est validé sur plus de six mois maintenant, fournit alors aux gestionnaires des données de types bioacoustiques particulièrement originales. Ces enregistrements s'avèrent précieux pour l'étude des chiroptères : pour analyser, par exemple, leur direction de vol selon les heures. Bien sûr, d'autres contextes seront également très instructifs, comme les chants d'oiseaux ou d'amphibiens. Dans la pratique, il reste à déterminer les lieux où il sera nécessaire ou pertinent de réaliser les écoutes. L'utilisation sur certains territoires est à discuter. Par exemple, grâce à une batterie, il serait possible de faire, sur l'île de Bagaud, un suivi en continu de la biodiversité animale. L'avantage : étudier, sans intrusion, cette réserve intégrale suite à sa restauration écologique. Il suffirait d’être en contact avec une antenne réceptrice sur le continent : la structure sur place serait aussi légère que JASON sur Port-Cros : panneau solaire, micro et petite antenne de 30 cm de diamètre. Voilà les bases pour une demande tout à fait originale d’autorisation au conseil scientifique du Parc national.

En conclusion, l'intérêt de l'outil est double : précision de l'information et diminution du dérangement. En effet, c'est un système moins intrusif et donc susceptible de reproduire le comportement animalier de manière plus objective. Toutefois, il faut bien avoir à l'esprit le fait que la bioacoustique, tout en améliorant notre façon d'appréhender le monde du vivant, nécessitera toujours, à l'instar de l'astrophysique, de l'intelligence humaine. Pour pouvoir interpréter les informations reçues de façon pertinente, il faudra faire appel à notre capacité à observer et sentir le monde qui nous entoure.