Littoral

Mais qu’entendez-vous par gérer la fréquentation ?

 

Espaces naturels n°17 - janvier 2007

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Laurent Mermet
Membre du Conseil scientifique du Conservatoire du littoral – extrait des conclusions proposées à l’atelier « Littoral convoité : entre accès et excès »

 

« Littoral convoité entre accès et excès… » les forts enjeux patrimoniaux et économiques liés à l’aménagement et à la fréquentation de ces territoires ont amené le Conservatoire du littoral à organiser un congrès. Cela se déroulait à Rochefort en mai dernier…

Parlons d’abord du sens des mots. En effet, gérer traduit des choses bien différentes et très contradictoires. Gérer signifie tout d’abord « subir et se débrouiller ». Ainsi, ce n’est pas le Conservatoire du littoral qui décide que les gens vont se ruer sur les plages et les espaces naturels, « il gère » la situation. Une deuxième signification est contradictoire avec la précédente, puisque gérer c’est maîtriser : « Je maîtrise, j’organise. » Et puis, troisième dimension, gérer sous-tend une délégation : gérer, c’est régir sur mandat, pour le compte de quelqu’un, donc pour un tiers.
Mais quel que soit le sens choisi, il semble bien que chercheurs et gestionnaires s’entendent aujourd’hui sur le rejet d’un modèle où la conservation de la nature relèverait de gens extérieurs au contexte local. Des personnes qui réglementent, répriment, sur des critères scientifiques, au nom d’intérêts étrangers à ceux des populations et de la société. Le modèle proposé consiste à discuter « tous ensemble » pour construire les règles :
- au lieu de la répression, il faut de la sensibilisation ;
- au lieu d’avoir un gestionnaire, il faut un collectif de gestion ;
- au lieu de connaissances savantes, il faut des connaissances locales et populaires ;
- au lieu d’avoir des technocrates environnementalistes, il faut des acteurs locaux ;
- au lieu de se poser la question de
« jusqu’où pouvons-nous aller dans les usages, les prélèvements ? », il faut
faire confiance aux acteurs pour se débrouiller et ne pas intervenir, etc.
Une opposition entre modèles donc. Mais à y regarder de plus près, à la lumière de cas concrets, la réflexion nous porte à observer que cette opposition n’est que façade. Elle explose littéralement pour faire place à une autre logique : celle de la protection comme projet. Cette autre manière de penser est caractérisée par trois éléments principaux.
1. Un projet de protection d’espace naturel est actif. En effet, si le projet fonctionne, c’est parce que, sur le terrain, il est porté par un acteur ou une équipe, dont la protection est la mission spécifique et dont le leadership permet une dynamique de projet et une démarche active.
2. Un projet consiste à mobiliser. Mobiliser, c’est informer activement sur ce que l’on fait, pour donner envie et diminuer les résistances à l’action, c’est investir de l’énergie pour susciter de l’adhésion, à la fois de la part du public, de la part des professionnels, des partenaires institutionnels. L’effort pour mobiliser et pour amoindrir les résistances est précisément une des caractéristiques de l’action et de la gestion par projet, en matière de gestion des espaces naturels comme ailleurs.
3. Gérer un projet, c’est assumer les différentes dimensions du problème et la manière dont elles peuvent se combiner : les données scientifiques, les crédits, les cadres réglementaires et des moyens organisationnels, la professionnalisation des acteurs, etc.
Nous sommes bien dans une approche par projet (dont la mission principale est la protection et la gestion des espaces naturels) quand nous avons la capacité de nouer ensemble toutes ces dimensions. Dès lors,
on ne peut plus opposer les connaissances savantes et les connaissances populaires, ni opposer les acteurs mobilisés et le gestionnaire. Voilà trente ans, le Conservatoire du littoral achetait les espaces vides entre les centres d’urbanisation : trente ans plus tard, ces terrains sont devenus les plaques tournantes d’espace public, dans une zone touristique et dans un cadre de vie. Cette dimension de projet nous amène dans un autre registre : que fait-on quand des sites naturels deviennent les pivots organisateurs d’un espace public ? Dans ce nouveau contexte, le Conservatoire doit répondre à la question du leadership, qui lui est posée. La solution catastrophique serait l’arrogance sur la base des succès acquis ; la solution la plus intéressante, c’est de lancer la discussion entre ces lieux où la réalisation concrète de la protection/gestion d’espaces naturels comme projet est déjà très avancée et d’autres lieux où elle
est combattue par un mouvement
de résistance anti-environnementale, aujourd’hui encore très fort.
Parallèlement, si l’essaimage de ces nouvelles approches de projet dans
l’ensemble des réseaux de gestionnaires d’espaces naturels devient effectif, il
doit conduire les sciences sociales à modifier leur regard sur l’objet de leur recherche : après le modèle du « gestionnaire expert » et celui du « gestionnaire médiateur », c’est le moment d’approfondir le modèle du « gestionnaire porteur de projet ». n

18 mai 2006, Rochefort
>>> Mél : mermet@engref.fr