De la myrtille au Grand tétras, une approche intégrée
Espaces naturels n°57 - janvier 2017
Marc Lutz et Richard Bonin,
Parc naturel régional des monts d’Ardèche, mlutz@parc-monts-ardeche.fr, rbonin@ parc-monts-ardeche.fr
Le Parc naturel régional des monts d'Ardèche voulait à la fois soutenir la production emblématique de la myrtille et préserver le milieu fragile associé de landes. La solution ? Une approche intégrée autour de l'espèce emblématique du Grand tétras.
LA MYRTILLE, UNE PRODUCTION EMBLÉMATIQUE… LONGTEMPS EN QUÊTE DE RECONNAISSANCE
La mise en valeur des productions emblématiques du territoire constitue un enjeu important dans les monts d’Ardèche, et, dans ce sens, la filière myrtille sauvage d’Ardèche a bénéficié d’un véritable plan de relance opéré par le Parc naturel régional des monts d’Ardèche. Les zones de production correspondent à des landes naturelles ayant par ailleurs une forte valeur patrimoniale, mais souvent délaissées ou mal considérées d’un point de vue agricole. La démarche de développement initiée par le PNR a donc fait converger les objectifs de relance d’une production identitaire et la conservation d’habitats naturels.
Malgré des qualités largement reconnues, cette production a en effet souffert d’un réel manque d’organisation de la filière, qui a contribué à un essoufflement et un manque d’intérêt de la part des consommateurs et de l’industrie de transformation. Pour pallier ces carences, le PNR a travaillé à la fois sur l’appui à la structuration des producteurs à travers la création d’une association, sur la promotion du produit et ce notamment via des actions de communication et l’organisation d’un marché annuel de producteurs, ainsi qu’un marquage des produits frais ou transformés pour les producteurs qui le souhaitaient.
DES RÉSULTATS ÉCONOMIQUES PROBANTS
Ces efforts ont apporté des résultats éloquents : les prix de la myrtille vendue au détail ont augmenté de 40 % en euros constants entre 2000 et 2010 pour atteindre environ 8 € le kg en 2015- 2016, et la demande reste actuellement bien supérieure à l’offre. La production est d’environ 400 tonnes de myrtilles par an, la saison s’étalant surtout l’été. La valeur ajoutée brute de la production est variable, allant de 2 000 à 3 900 € par hectare, et la myrtille peut désormais représenter une part significative dans les systèmes agricoles locaux, complétant ainsi les revenus issus de la production de châtaignes ou de l’élevage ovin. Elle constitue une réelle plus-value pour les agriculteurs, qui de ce fait vont porter une attention plus grande au maintien et à l’entretien des landes à myrtille : la production reste apparentée à une cueillette, les seules opérations d’amélioration ou de gestion des milieux consistent à limiter le développement des ligneux.
LA CONSERVATION DES LANDES : UN ENJEU À LA CROISÉE DES APPROCHES
Les landes sont les supports naturels de la production de myrtille. Celles-ci se développent naturellement sur des sols acides sous châtaignier, sous hêtraie sapinière, ou encore sur des parties sommitales. Certaines landes sont inclues dans des sites Natura 2000 car d’intérêt communautaire, et bénéficient, à ce titre, d'une attention particulière en termes de conservation. Ce classement a ainsi donné le cadre à la mise en place de contrats Natura 2000 sur le massif du Tanargue, ayant permis des travaux de restauration des habitats de landes sèches (réparties entre landes montagnardes à Vaccinium et Calluna et landes subatlantiques à Calluna et Genista, ainsi que landes subalpines). Ces milieux ont en effet connu une dynamique de fermeture à la suite de l’arrêt des pratiques pastorales ou à des plantations de résineux. Des travaux ont ainsi été réalisés par les producteurs-cueilleurs sur plusieurs dizaines d’hectares dans le cadre d’un véritable projet partenarial (LIFE Nature et territoire) engageant le PNR sur les aspects conservatoires, ainsi que l’ONF pour la mise à disposition du foncier domanial. Plus de 30 ha ont ainsi été restaurés, majoritairement sur des terrains domaniaux.
L’élimination des jeunes semis et arbustes ainsi que l’élagage à 2 m de hauteur de la strate arborée et les travaux de débroussaillage au sol ont permis de rouvrir des zones de landes, d’augmenter la production naturelle et de faciliter la cueillette.
Ces opérations à visée naturaliste ont eu de fait un véritable intérêt pour les cueilleurs-exploitants, ceux-ci ayant par ailleurs été sécurisés quant au foncier à travers des conventions pluriannuelles de récolte sur les terrains domaniaux. Cette démarche, menée principalement sur des terrains publics, a néanmoins eu un effet levier important sur les zones à myrtille situées sur des terrains privés, où, malgré un important morcellement foncier susceptible de freiner les efforts de coopération, 6 ha de landes ont pu être restaurés et remis en valeur par les exploitants agricoles. L’expérience a également eu valeur d’exemple, d'autres zones de landes du PNR ont ainsi été restaurées.
LE GRAND TÉTRAS, NOUVEL ÉTENDARD DE LA LANDE À MYRTILLE ?
La réhabilitation des landes à myrtille est une étape importante dans la patrimonialisation de ces espaces encore souvent délaissés ou dévalorisés. C’est dans cette logique que le PNR a poursuivi ses efforts en identifiant le Grand tétras (présent historiquement en Ardèche) comme un élément emblématique de la faune qu’il serait intéressant de réhabiliter, en parallèle aux actions de gestion des milieux semi-ouverts. Une étude d’opportunité et de faisabilité a pour cela été menée en 2014-2015, avec des conclusions positives quant à la qualité des milieux naturels, au dérangement ou aux infrastructures.
La cartographie des habitats réalisée dans ce cadre met notamment en relief la part importante d’habitats favorables au Grand tétras sur la montagne ardéchoise, et notamment de landes à myrtille, zones de pré-bois et autres habitats semi ouverts.
Un projet d’envergure a ainsi vu le jour, en partenariat avec le Parc national des Cévennes, l’ONF, l’ONCFS, la communauté naturaliste et le monde de la chasse, en vue d’une réintroduction et d’une restauration des populations de Grand tétras dans le sud du Massif central. Celui-ci vise à renforcer, établir et connecter des populations viables entre les noyaux de populations toujours présents du mont Lozère et les zones favorables des monts d’Ardèche, et s’appuiera – outre les réintroductions en elles-mêmes – sur la mise en place de pratiques de gestion forestière et pastorale adaptées, ainsi que sur la valorisation économique des landes à myrtille.
L’utilisation de tels outils théoriques est cependant restée le fait des techniciens uniquement, et on peut regretter de n’avoir pas davantage co-construit l’ensemble des projets et actions avec les parties prenantes, ce qui aurait vraisemblablement donné plus de poids à la démarche et en aurait facilité l’appropriation.