Une nature inconfortable

 
Édito

Virginie Maris
Chargée de recherche CNRS Cefe
Membre du comité d'orientation de l'Aten

Soleil couchant sur l’étang du Vaccarès. À contre-jour, les silhouettes longilignes des flamants fendent le ciel. Plus loin dans la sansouire, le garde-bœuf veille, fier et immobile, aux pieds des taureaux. Dans cette contrée rose et noire, la nature offre un spectacle exubérant de cris, de couleurs et de parfums. Sur le bord de la route, jumelles aux yeux, deux ornithologues amateurs assistent discrètement à la représentation du soir. Cloîtrés dans leur voiture, ils se protègent d’Aedes caspius, petit diptère hématophage dont l’abondance fait le régal des libellules, hirondelles, chauves-souris, et autres habitants des marais.
Même heure, même région, quelques dizaines de kilomètres à l’ouest, la scène est fort différente. Collées les unes aux autres, des milliers de voitures transhument au ralenti. Elles crachent, toussotent, dans une odeur d’essence et d’huile solaire. Une montagne de béton se découpe dans le couchant. C’est le retour des plages à la Grande Motte. Pour distraire les vacanciers, des cabanes de gardians sont posées çà et là. Taureaux et chevaux fatigués complètent un décor qui semble fait de carton-pâte.
Deux mondes, deux Camargues, deux régimes de contraintes : ici les moustiques, là les embouteillages, et dans les deux cas un homo sapiens vulnérable qui reste coincé dans sa bagnole.
Alors que l’expérimentation d’une démoustication de confort dans le Parc naturel régional de Camargue s’apprête à être reconduite en dépit de son impact sur la biodiversité, et face à quelques Camarguais qui militent pour « un droit à une vie sans moustique », c’est l’idée même du confort qu’il convient de questionner : jusqu’où irons-nous pour profiter d’un apéro en terrasse ou pour séduire les touristes ? Lorsqu’il n’y aura plus de moustique, faudra-t-il s’attaquer au Mistral si violent, au soleil si implacable ?
La nature n’est pas là pour nous rendre service. Elle est l’Autre, indomptable, irréductible à nos désirs.
L’expérience de cette altérité n’est pas toujours confortable mais elle est le gage d’une vie authentiquement
humaine, qui fait face à un monde autonome, toujours, déjà là.