Prélever des espèces dans les espaces protégés
Espaces naturels n°37 - janvier 2012
Louis Espinassous
Biologiste, conteur, ethnologue, animateur nature
Nombre d’agents et d’animateurs se sentent psychologiquement et culturellement ligotés par la règle du non-prélèvement absolu dans les espaces protégés. On ne peut, en effet, éduquer sans expérience sensorielle. Le changement ne peut passer que par du vécu, de préférence intense et joyeux. Un appel au corps, à l’affect, à l’intelligence.
Protection et éducation seraient-elles alors contradictoires ? Magnifique question dont la réponse oblige à un bouleversement du regard.
Au lieu de nous cantonner dans le cadre des interdits réglementaires, nous pourrions en effet inverser le point de vue pour chercher, non plus ce qu’il faut interdire ou exclure, mais plutôt ce que nous, gestionnaires ou éducateurs, nous pouvons permettre. Que pouvons-nous proposer de vivre aux groupes que nous encadrons, sans compromettre irrémédiablement le capital écologique d’un lieu et sa transmission aux générations futures ?
Dans cette démarche, il serait loisible d’autoriser le prélèvement d’échantillonnages pédagogiques sur le modèle du droit au prélèvement scientifique des chercheurs sur les plantes et animaux.
Enfants et adultes pourraient ainsi, dans la zone cœur d’un parc, goûter la réglisse et les framboises, croquer un abdomen de fourmi rousse, chasser quelques larves dans le torrent. L’animateur pourrait fabriquer un sifflet d’écorce en sorbier, tandis que le groupe serait autorisé à ramasser quelques orties pour la soupe du soir et à cueillir un peu de serpolet menthe blanche pour la tisane. Le tout avec… politesse.
Politesse ! Car tel est le terme clé. Au même titre qu’invité chez un ami, on ne vide pas le réfrigérateur ni ne renverse la pile de CD, dans les espaces naturels on se pose deux interrogations : mes actes sont-ils supportables pour les autres et pour le milieu ? Dans une semaine ou dans longtemps, les autres pourront-ils avoir les mêmes bonheurs que moi aujourd’hui ?
Ainsi, le prélèvement pédagogique se limite à un échantillonnage et ne touche que les plantes banales et abondantes, mais cette vision est plus dynamique que le seul arrêt sur image et la mise à l’écart des usages.
Il y a bien longtemps, nous avions, au Parc national des Pyrénées, publié un modeste guide de la politesse en montagne. Il a eu un succès tout à fait inattendu. Suggestions et conseils techniques, nous y proposions tout ce que l’on pouvait vivre, faire, découvrir en montagne, avec politesse.
Au lieu d’une attitude soumise et passive de seule réception des messages et savoirs, nous ouvrions les possibles, avec une incitation à vivre et à faire. •