Biodiversité et (bonne) santé

 

Espaces naturels n°52 - octobre 2015

Autrement dit

Le point de vue du vétérinaire François Moutou
épidémiologiste à l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Anses)

Le point de vue du vétérinaire François Moutou épidémiologiste à l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Anses)

Définir la biodiversité est à la fois un exercice complexe et très contemporain. La notion d’interrelations est certainement à bien mettre en avant comme cela a été montré par de nombreuses études autour des réseaux trophiques, d’herbivores à carnivores et jusqu’à nécrophages. Inversement, le positionnement des micro-organismes dont ceux potentiellement pathogènes, se discute peut-être un peu plus. Sans le dire, inconsciemment, nous avons peut-être plus peur d’un virus que d’un grand prédateur ! Même si cela ne change pas complètement le regard officiel vis-à-vis des grands prédateurs, les recherches qui leur ont été consacrées donnent quand même beaucoup d’éléments objectifs, biologiques et écologiques, pour nous rassurer et les remettre à leur vraie place. Qu’en est-il alors de l’évolution des connaissances sur les « microbes » ?

UNE MICRODIVERSITÉ INDISPENSABLE POUR SURVIVRE

Les études de terrain ont permis de considérablement modifier le regard porté initialement sur les relations proies-prédateurs. De la même façon, les études épidémiologiques, en regardant non plus seulement les individus, mais surtout les populations, associées aux nouveaux outils de la génomique, ont bouleversé les notions de maladie et de santé. L’application de ces outils en dehors de l’espèce humaine et des quelques animaux d’élevage a représenté un véritable enrichissement de ces concepts. Le séquençage haut débit et la métagénomique, au-delà des retombées diagnostiques, ont surtout permis de prendre conscience de l’extraordinaire diversité microbienne naturelle et normale associée à chaque individu de chaque espèce.

Autrefois, seuls les macroparasites, ceux vus à l’oeil nu, étaient pris en compte. Aujourd’hui, on peut et on doit y ajouter microparasites, champignons, bactéries et virus pour compléter la description d’un individu voire d’une espèce. On a vite réalisé que la plupart de cette microdiversité était absolument indispensable à chaque individu pour survivre.

Chacun d’entre nous héberge plus de bactéries dans son tube digestif qu’il ne porte de cellules humaines (environ 1013 contre 1012). Ces bactéries sont indispensables, dans les nombreux processus associés à la digestion, entre autres. Côté virus, les découvertes ne manquent pas de surprendre. Au moins 10 % de notre génôme correspondrait à des virus rencontrés lors de notre histoire, primate, mammifère voire reptile et qui se seraient peu à peu intégrés à notre ADN, ultime étape de fusion. Il n’est pas dit que ces associations se sont faites sans heurts mais aujourd’hui, ces séquences virales, on dit endovirales, non seulement sont portées sans coût mais en plus participent à diverses fonctions vitales. Si on y ajoute toutes les mitochondries de toutes les cellules et tous les chloroplastes de tous les végétaux, anciennes bactéries libres devenues symbiotiques, on élargit d’autant les interrelations évoquées pour présenter la biodiversité. Chaque individu est lui-même une symbiose et ne fonctionnerait sans doute pas bien « tout seul » !

Si la santé des individus, des populations et des écosystèmes correspond à cet ensemble riche et complexe, que deviennent les maladies dans ce contexte et quels remèdes y apporter ? De la même façon que certains herbivores ou certains carnivores sont très spécialisés alors que d’autres sont de vrais généralistes dans le choix de leur nourriture ou de leurs habitats, certains micro-organismes, certains parasites sont extrêmement spécifiques ou au contraire beaucoup plus éclectiques dans le choix de leurs hôtes. D’un point de vue très humain et très égoïste, l’espèce humaine appelle agent zoonotique un microorganisme capable d’infecter plusieurs espèces dont l’espèce humaine, et la maladie associée une zoonose.

Une maladie infectieuse peut correspondre à deux schémas différents : l’envahissement d’une espèce par un microbe habituellement porté par une autre ou simple changement de relations entre les espèces microbiennes d’un seul et même individu ou de quelques-uns au sein d’une espèce, sans aucun apport extérieur. La question pratique et associée qui en découle devient la suivante : dans ce contexte, est-il pertinent de chercher à éliminer certains micro-organismes supposés ou même qualifiés de pathogènes, au moins dans certains contextes ?

La question est très vaste car dès les années 1970, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a annoncé la lutte contre et l’éradication de nombreuses maladies microbiennes et parasitaires, avec le premier succès de l’élimination de la variole. Or depuis 1979, les autres succès se sont fait attendre alors que dans le même temps c’est le Sida, Ebola, la vache folle, la grippe aviaire, le SRAS et quelques autres qui ont émergé et empli l’espace, « notre » espace.

Cela renvoie à toutes les questions de « gestion » des espèces animales et végétales et des espaces dédiés en ce début de XXIe siècle avec une population humaine qui ne cesse de croître, des espaces non perturbés en diminution rapide et une érosion importante et non réversible de la biodiversité. En épidémiologie, la notion de seuil est classique. Certains phénomènes ne peuvent apparaître qu’au-delà d’une certaine taille de population ou d’une certaine densité d’individus ou d’échanges. D’un côté, la population humaine va atteindre des niveaux réellement extraordinaires quand on pense à diverses mégalopoles. À l'inverse, un grand nombre d'espèces animales verront leur population passer sous leur seuil de survie.

3 MILLIARDS DE VOYAGEURS PAR AN QUI PERMETTENT AUX VIRUS DE TENTER LEUR CHANCE AILLEURS

Une question non encore résolue est celle du devenir de la diversité microbienne dans ce contexte. Probablement de nombreux micro-organismes disparaîtront avec leurs hôtes habituels, ceux avec lesquels ils ont évolué. Dans le même temps, l’accroissement et l’extension des peuplements humains à la surface de la planète ainsi que la densité des échanges liés à la mondialisation, vont permettre à un grand nombre de microbes de tenter leur chance ailleurs. Les avions transportent 3 milliards de voyageurs chaque année sur 7 milliards d’humains contemporains. Nous ouvrons pas mal de portes à pas mal de virus, bactéries et parasites. Le moustique tigre est maintenant installé dans le sud méditerranéen de la France métropolitaine et les premiers cas autochtones de fièvre Chikungunya ont eu lieu durant l’été 2014. Des touristes continuent à rapporter des chiots non contrôlés de zones où la rage est toujours présente et cela se traduit régulièrement par des foyers rabiques. La mode des animaux de compagnie exotiques et la facilité des achats via le commerce électronique appauvrissent la macrobiodiversité mais enrichissent notre microbiodiversité.

Certaines études, encore discutées, suggèrent que des écosystèmes peu perturbés, peu diminués, sont plus résilients aux bouleversements y compris de type épidémiques, que les écosystèmes très dégradés. D’autres études ne le démontrent pas, voire proposent le contraire. Il pourait ne pas y avoir de règle générale à ce niveau, cela peut dépendre du système en question et des espèces présentes.