Fédérer autour d'une espèce : comment faire et quelles sont les limites ?
La sensibilisation à la conservation peut passer par l'animation du territoire autour d'une espèce emblématique et symbolique. À quelles conditions peut-elle être source d'échanges entre acteur locaux ? Exemple de la Grue cendrée dans le PNR des Landes de Gascogne.
La première clé de réussite d’une mobilisation autour d'une espèce, réside sans doute dans l'image de l'espèce elle-même. Concernant la Grue cendrée, nous sommes en présence d’une espèce majestueuse qu’il est possible d’aborder sans passion, si ce n’est celle de mieux la connaître et l’observer. L’espèce est strictement protégée, elle n’occasionne aucun dégât à ce jour sur les cultures de la région, l’occupation des dortoirs n’entrave pas les activités civiles et militaires en place. Pour autant, les enjeux de conservation sont réels. L’espèce reste exigeante, l’action de l’homme déterminante : maintien de vastes zones humides ouvertes sans dérangement, gagnage de résidus de récolte en toute quiétude.
La seconde clé de réussite est donc de fédérer les acteurs concernés par l'espèce. Elle garantit un engagement de tous. Par un système d’adoption formelle d’une charte, le groupe Grus Gascogna rassemble collectivités, associations, fédération des chasseurs, réserve naturelle, chambre d’agriculture, ONF. Le territoire de la grue et les acteurs de sa préservation sont réunis. La charte valide le schéma chronologique des actions dans lequel la connaissance et la préservation précèdent la valorisation et le développement. Le partage d’information et la concertation sur les projets sont aussi de mise.
Les éléments sont réunis pour envisager une valorisation touristique autour de l’oiseau. En corollaire, cette valorisation participe de la préservation de l’espèce sur le territoire en se fondant sur l’implication responsable des acteurs locaux.
DÉVELOPPER LE TOURISME AUTOUR DE LA GRUE
La présence spectaculaire des grues chaque hiver dans les Landes de Gascogne a très vite généré des observations spontanées, plus ou moins respectueuses de la quiétude des oiseaux. L'objectif a alors été de trouver un juste milieu entre encourager cette pratique et la canaliser.
Aux premiers coups de clairons, les habitants, les ornithologues amateurs, les photographes, les touristes hivernaux ont progressivement pris le chemin des champs, stationnant en bordure de routes étroites, pénétrant des exploitations agricoles ou, plus sagement (rarement), se camouflant au creux d’un fossé humide ou à l’abri d’un bosquet de pins.
En alternative à l’observation autonome, qui pouvait s’avérer décevante sur le plan de la découverte et prédatrice en cas de maladresses, des sorties accompagnées furent organisées. Leur plus-value réside toujours dans l’approche exclusive qu’elles proposent, le propos passionné et expert de l’ornithologue ou du guide nature, l’esprit convivial qui règne dans les petits matins frileux, autour du thé chaud ou de la carte des migrations maintenue à grand peine sous le vent du plateau. Car, comme aiment à le signaler les accompagnants, le « plateau landais en hiver, ça se mérite ». Cette alternative à la fréquentation anarchique des zones de gagnage est donc également la garantie d’une valorisation pérenne, qui donne à voir le meilleur sans nier la réalité d’un environnement d’une « âpre beauté ». Or, proposer une observation de qualité, c'est contribuer à faire adhérer le public à une meilleure sauvegarde non seulement de l'espèce elle-même mais aussi des milieux et des paysages.
Progressivement, hors saison, une fréquentation touristique se développe. Les premiers curieux ont peu à peu été rejoints par un public motivé, amateurs de séjours tout compris, de sorties encadrées ou de spots sûrs pour l’observation et la photographie.
La grue fait corps avec la vastitude des landes de Gascogne. Devenue un symbôle de l’hiver sur ce territoire, elle fédère des acteurs touristiques profondément attachés à leurs landes et engagés dans une démarche d’écotourisme. Grâce au vecteur de la grue, les professionnels sensibilisés peuvent devenir les relais volontaires d’une observation responsable auprès de leurs clientèles. Connaître l’oiseau, savoir orienter ses hôtes sur le terrain, s’approprier les bons comportements, comprendre les motivations et les attentes des publics « ornitho », donnent matière à rassembler, former, échanger pour les prestataires touristiques, les offices de tourisme et les collectivités de ce territoire.
Ce vivier d’acteurs travaille ainsi à une offre touristique autour de la grue : organisation de week-ends thématiques, sorties accompagnées, aménagement de sites d’observation... Dans le cadre d’une coopération régionale Sud-Ouest aquitain, un livret, Grus Gascogna, la dame grise de Gascogne, a été édité et un inventaire qualifié de sites propices à différents types d’observation réalisé. Il reste à le partager avec les collectivités, puis avec les propriétaires concernés en souhaitant leur intérêt et leur adhésion tant ce maillon, dans le dispositif de mise en valeur, semble aujourd’hui indispensable.
MÉNAGER PROMOTION ET PROTECTION
La question de la présence pérenne de la grue sur le massif gascon demeure une constante des réflexions et travaux de Grus Gascogna (suivis de gagnage, gestion de dortoir, formations, sensibilisation). Il ne faudrait pas que son succès lui rende la vie trop dure. Aujourd’hui, un suivi régional de l’espèce est partagé au sein du réseau, anticipant les questions relatives à la préservation de l’espèce dans les landes de Gascogne.
Comment évolueront les ressources alimentaires de la grue en lien avec les pratiques agricoles sur la zone d’hivernage ? Quelles conditions et quels sites d’observation responsables proposer à des publics autonomes et de plus en plus nombreux ? Ces questions sont toujours à l'ordre du jour, et sans attendre, bien avant l’automne, les acteurs seront réunis pour dresser le bilan et préparer le retour de l’invitée de l’hiver dans les landes de Gascogne.