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Le suivi des dispositifs de reconnaissance internationaux

 

Espaces naturels n°67 - juillet 2019

Vu ailleurs

Catherine Cibien, MAB France, catherine.cibien@mab-france.org

Si les dispositifs de reconnaissance internationaux de sites naturels se multiplient, leur suivi dans le temps et l’évolution des sites labellisés posent question. Catherine Cibien, du MAB France, revient ici sur la problématique concernant plus spécifiquement les réserves de biosphère de l’Unesco, riches de plus de quarante ans d’expérience.

En Polynésie française, la réserve de biosphère de l'Unesco de première génération « atoll de Taiaro » est devenue réserve de biosphère « de la commune de Fakarava » suite à l'adoption, en 1995, d'un cadre statutaire pour le Réseau mondial des réserves de biosphère. © Catherine Cibien

En Polynésie française, la réserve de biosphère de l'Unesco de première génération « atoll de Taiaro » est devenue réserve de biosphère « de la commune de Fakarava » suite à l'adoption, en 1995, d'un cadre statutaire pour le Réseau mondial des réserves de biosphère. © Catherine Cibien

Le suivi des dispositifs de reconnaissance internationaux Si les dispositifs de reconnaissance internationaux de sites naturels se multiplient, leur suivi dans le temps et l’évolution des sites labellisés posent question. Catherine Cibien, du MAB France, revient ici sur la problématique concernant plus spécifiquement les réserves de biosphère de l’Unesco, riches de plus de quarante ans d’expérience. Les reconnaissances et labels internationaux ont le vent en poupe. Les collectivités et les aires protégées cherchent là la reconnaissance de leur patrimoine, de leur travail de conservation ou de bonne gestion, une visibilité et une notoriété accrues et souvent aussi un moyen d’attirer des visiteurs. Les labels sont délivrés par de grandes organisations mondiales (la liste verte de l’UICN), des organisations intergouvernementales (Patrimoine mondial, réserve de biosphère et Géoparcs de l’Unesco), ou des associations (réserves internationales de ciel étoilé - RICE - par la Dark Sky Association). Dans la durée, la question des mécanismes de suivi des sites désignés se pose : comment contrôle-t-on la pérennité des valeurs (patrimoniale ou de bonne gestion) qui ont permis l’acquisition de la reconnaissance ? Suivant quels critères ? Qui en assure le contrôle ? Qui sanctionne en cas de manquement ou de défaillance, et à quel rythme ? Car si l’obtention d’un label international est positive, le retrait de sites des listes ne se fait pas sans difficulté. L’histoire des réserves de biosphère de l’Unesco est à ce titre riche d’enseignements, avec un recul de plus de 40 ans. Lorsque les réserves ont été créées, en 1976, leurs initiateurs étaient loin d’imaginer que 40 ans après, elles existeraient encore. Ils ne pouvaient pas non plus imaginer combien le contexte changerait, quels efforts seraient nécessaires à leur maintien et à leur évolution, ni les conséquences éminemment politiques d’un déclassement pour un pays… Autant de constats qui, aujourd’hui, peuvent éclairer l’émergence plurielle de nouveaux labels internationaux, et leur éviter certains écueils.

DES ÉVALUATIONS DÉCENNALES

Les réserves de biosphère font partie des désignations internationales les plus anciennes, les premières datant de 1976, dans le cadre du Programme scientifique sur l’homme et la biosphère (MAB) de l’Unesco. C’est en 1995, avec l’adoption d’un cadre statutaire pour le Réseau mondial des réserves de biosphère que des critères de désignation ont été précisés1, et qu’un examen pério- Labels dique décennal a été prévu pour vérifier que les sites remplissaient bien ces critères. L’examen périodique ne consiste pas à évaluer périodiquement le patrimoine de la réserve. Il s’agit plutôt de vérifier la mise en application équilibrée des trois fonctions demandées à toute réserve de biosphère : conservation de la biodiversité, développement durable et aménagement du territoire, et appui par la recherche, l’éducation, la formation et la sensibilisation. Les critères de 1995, précisés à l’article 4 du cadre statutaire, modifient de façon conséquente les pré-requis pour qu’une aire soit désignée « réserve de biosphère », notamment concernant la taille de l’aire, qui doit être appropriée pour « permettre d’étudier et démontrer des approches du développement durable au niveau régional ».

Depuis 1995, les réserves de biosphère doivent, tous les dix ans, adresser à l'Unesco leurs dossiers d'examen périodique via les États membres.

Autre critère, un dispositif de gouvernance associant des intérêts publics et privés et notamment les communautés locales, une politique et un mécanisme de gestion et de décision, et des programmes de recherche. Depuis 1995, les réserves de biosphère doivent, tous les 10 ans, adresser à l’Unesco leurs dossiers d’examen périodique, via les États membres. Il n’y a pas d’experts internationaux désignés pour visiter les sites, l’examen consistant en une autoévaluation via un formulaire rempli par les autorités concernées, en lien avec leurs partenaires locaux.

CONSOLIDATION DU RÉSEAU

Dès 1995, la perspective de l’examen périodique a mis des pays en mouvement. La première opération a consisté à vérifier si les réserves de biosphère créées entre 1976 et 1995 remplissaient les critères définis a posteriori. La France a ainsi examiné deux réserves de première génération inhabitées : la Camargue (alors limitée à la Réserve nationale de Camargue) et l’atoll de Taiaro, en Polynésie française, en collaboration avec les acteurs locaux. Il a été décidé, avec ces derniers, de refondre les périmètres, zonages, fonctions, et la gouvernance des réserves afin que toutes deux puissent demeurer dans le réseau mondial de l’Unesco. Elles furent renommées (« Camargue-delta du Rhône » et « commune de Fakarava »). Ce travail fut achevé et reconnu en 2006, après soumission de deux dossiers à l’Unesco, considérés comme des propositions de nouvelles réserves de biosphère. Au Royaume-Uni, après une expertise générale de son réseau national, le comité MAB a décidé de déclasser quatre sites, pour lesquels l’extension semblait impossible. L’Autriche, l’Australie et d’autres pays firent de même quelques années plus tard. Mais certains pays ne jouent pas le jeu. En 2010, le conseil international du MAB a donné la date butoir de 2013 aux pays n’ayant jamais envoyé d’examen périodique. Une stratégie de sortie a alors été établie, considérant que les sites ne répondant pas aux critères ou ne s’étant pas soumis à l’examen périodique ne feraient plus partie du réseau mondial. Deux-cent-soixantedix sites dans 75 pays, dont quatre sites transfrontaliers, étaient concernés. Le secrétariat du MAB a alors écrit à ces pays. Beaucoup se sont mis en mouvement. Des comités MAB ont été renouvelés, travaillant avec leurs réserves de biosphère et lançant de nouveaux projets. De gros efforts ont été fournis et l’Unesco a reçu de nombreux dossiers d’examens périodiques, examinés avec soin par un groupe international d'experts. Certains pays, comme l’Algérie par exemple, ont renouvelé leur comité MAB et se sont attelés à l’amélioration de leur réseau national de façon remarquable. La Bulgarie a supprimé quatre réserves de biosphère, en a intégré quatre de première génération dans une grande, et étendu trois. En 2017, les États-Unis ont déclassé dix-huit réserves de biosphère dont l’extension s’avérait impossible.

D’UNE « STRATÉGIE DE SORTIE » À UNE « STRATÉGIE D’AMÉLIORATION CONTINUE »

En 2017, cent-vingt-six sites sur les deux-cent-soixante-dix initialement concernés répondaient aux critères, parmi lesquels trois sites transfrontaliers. Plus de 80 % de ces sites avaient été désignés avant l’adoption du cadre statutaire, ce qui démontre que des extensions étaient possibles, même si elles prenaient du temps. La « stratégie de sortie » a donc indéniablement permis d’améliorer la crédibilité et la qualité du réseau mondial des réserves de biosphère. Dans certains pays, le retrait de sites du réseau mondial ne semble pas problématique, alors qu’il est politiquement difficile à assumer dans d’autres, qui négocient âprement pour l’éviter. En 2017, le conseil international du MAB a décidé que l’amélioration de la qualité du réseau restait sa priorité et que ces sites avaient encore deux ans pour fournir un dossier de mise en conformité avec les critères ou qu’ils seraient automatiquement retirés du réseau en 2020. Malgré cette décision, le bras de fer n’est sans doute pas terminé et des pressions politiques pourraient encore intervenir pour éviter les retraits du réseau. Jusqu’ici, la stratégie dite « de sortie » a permis la mise à jour des sites visà- vis des critères du cadre statutaire. Elle assure désormais une amélioration continue car les réserves prennent l’examen périodique au sérieux et des appuis, échanges techniques et autres sont mis en place pour les aider à remplir leurs fonctions et donc à améliorer leur gestion. Cet examen décennal est devenu une étape essentielle qui conduit les réserves de biosphère à s’adapter régulièrement aux évolutions du socioécosystème que chacune constitue. Le réseautage et la coopération jouent un rôle majeur pour en améliorer la qualité. Si le caractère intergouvernemental du MAB conduit à des pressions politiques de certains pays, il donne aussi une force pouvant conduire à des changements de fonds. C’est pourquoi il est important pour tous de défendre la qualité des reconnaissances internationales.

(1) bit.ly/2ZdDsQg