Enjeux

Passer au renouvelable, penser biodiversité

 

Espaces naturels n°67 - juillet 2019

Le Dossier

Propos recueillis par MMB

Les professionnels de la nature sont les premiers témoins du changement climatique. Ils ont conscience de la nécessité de changer de modèle énergétique. La production et le transport des énergies renouvelables entrent-ils toujours en contradiction avec les objectifs de préservation de la biodiversité ? Jean-Michel Parrouffe, chef du service Réseaux et énergies renouvelables de l'Ademe1 fait le point sur les enjeux de biodiversité dans la transition énergétique.

Objectif France 2020 : 18 % d'énergies renouvelables dans la consommation finale d'énergie.

Objectif France 2020 : 18 % d'énergies renouvelables dans la consommation finale d'énergie.

À votre avis, où en sommes-nous de la convergence de ces deux objectifs ?

Aujourd’hui, la production et le transport des énergies renouvelables, qui représentent moins de 15 % de la production d’énergie primaire au niveau mondial (environ 11 % en France), ne sont pas responsables de la sixième extinction des espèces à laquelle nous assistons. À l’échelle mondiale, selon le Panel international des ressources2, l’extraction, la production et la transformation des matériaux, des combustibles et des aliments sont responsables de plus de la moitié des émissions mondiales de Gaz à effet de serre (GES)3, et de plus de 90 % des pertes de biodiversité. Sachant que 5 % des pertes de biodiversité sont directement attribuables aux combustibles fossiles, leur remplacement à terme par les énergies renouvelables devrait conduire à un gain net pour la biodiversité. Pour confirmer ce gain potentiel, l’Ademe travaille avec le BRGM et le CNRS sur le projet SURFER dans l’objectif de vérifier que les ressources mobilisées par les énergies renouvelables ne sont pas plus importantes que celles qui le sont actuellement par les énergies conventionnelles. Dans ce contexte, il y aurait bien globalement convergence des objectifs de développement des énergies renouvelables et de protection de la biodiversité. Il n’en reste pas moins qu’il peut exister des divergences, lorsque l’on passe à l’échelle locale des projets (lire pages 35 à 37).

Où en est globalement la France dans sa transition énergétique ? Est-ce que les freins liés à la protection de la biodiversité sont importants ?

Globalement, la part des énergies renouvelables dans la consommation finale brute d’énergie atteignait 16 %, en deçà des 18 % prévus par la trajectoire définie par la France pour atteindre l’objectif 2020 et présentée dans le Plan national d’action en faveur des énergies renouvelables (PNA ENR). Seules les filières des ENR électriques5 et des biocarburants ont atteint leurs objectifs en 2018. À ce stade, la protection de la biodiversité ne constitue pas un frein majeur à l’implantation des projets. Cependant, la multiplication des projets nécessaires à la réalisation des objectifs de la PPE 2023-2028 doit nous conduire à privilégier les installations sur des sites à faibles enjeux écologiques et déjà très fortement impactés. Dans ce contexte, l’Ademe souhaite travailler avec les parties prenantes pour définir les sites à privilégier pour des installations à faibles impacts. Malgré les obligations légales de suivis des impacts environnementaux des projets d’énergies renouvelables qui doivent permettre de constituer une base de données sur la biodiversité très importante, le premier obstacle est que nous manquons encore collectivement de connaissances sur la biodiversité qui permettraient d’anticiper tous les impacts des projets. Cela vaut autant pour les énergies renouvelables que pour les sources d’énergies conventionnelles, et concerne aussi les difficultés pour prévoir les impacts cumulatifs. Le deuxième obstacle découle du fait que l’essentiel des installations d’énergies renouvelables sont implantées sur le territoire national, contrairement aux énergies fossiles, et donc les impacts sur la biodiversité sont plus locaux, et moins « externalisés ». Dans le cas des centrales éoliennes, certains sites n'ont pas trouvé de solution pour cohabiter avec des espèces protégées emblématiques. Des tests et travaux de recherche sont encore en cours pour évaluer des dispositifs de réduction de la mortalité (lire p. 27).

Le processus d’évaluation environnementale, en amont et en aval des projets, est très exigeant en matière de biodiversité.

En matière de nouvelles technologies, le développement de l’éolien en mer pourrait soulever plusieurs enjeux de biodiversité, bien que l’expérience internationale en la matière incite plutôt à l’optimisme puisque les impacts générés et mesurés ont généralement été qualifiés de globalement faibles. De plus, l’existence d’un effet de type « récif artificiel » associé aux fondations des éoliennes a été très nettement observée au sein des parcs déjà construits. En effet, l’implantation de parcs éoliens en mer semble favoriser l’augmentation locale de biomasse et de biodiversité marine, ce qui pourrait avoir un effet positif sur les communautés de poissons (lire p. 25-26).

La collaboration des deux mondes professionnels s’améliore-t-elle ? Grâce à quoi ?

La collaboration est maintenant en place depuis de très nombreuses années. Tout d’abord parce que les professionnels des énergies renouvelables ont gagné en expertise sur les enjeux liés à biodiversité. Ensuite, parce que le processus d’évaluation environnementale, en amont et en aval des projets, est très exigeant en matière de biodiversité. Finalement, parce que l’Ademe a perçu depuis plus de 20 ans que les enjeux de biodiversité étaient cruciaux, et qu‘ils devaient faire l’objet d’une prise en compte et d’une animation avec le ministère de la Transition écologique et solidaire, ainsi que les acteurs associatifs tels que la LPO, l’UICN ou FNE, tout en privilégiant le dialogue et la co-construction avec les associations professionnelles telles que le SER, la FEE, et ENERPLAN6. Aujourd’hui, l’Ademe travaille sur une feuille de route dont l’objectif est de réduire les impacts environnementaux des énergies renouvelables sur les sols, les paysages et la biodiversité. L’Ademe souhaite travailler en partenariat avec l’AFB sur les actions de cette feuille de route.

Les politiques et les programmes de ces deux domaines sont-ils coordonnés ?

Oui, les politiques et les programmes semblent bien coordonnés. En effet, selon l’Évaluation environnementale stratégique (EES) de la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC) dont l’horizon est 2050, la SNBC devrait avoir des incidences probables positives sur la préservation et la restauration de la biodiversité et des services écosystémiques. Dans le cadre de la SNBC, un dispositif a été conçu pour contribuer au suivi et à l’amélioration continue de la stratégie et lors de son renouvellement. Pour ce faire, plusieurs indicateurs portant sur la préservation de la biodiversité, la gestion de l’espace et la préservation des sols et des eaux ont été définis, qui permettront de s'assurer le respect des objectifs de préservation de la biodiversité. Au final, selon le Code de l’environnement, aussi bien le Plan biodiversité que la Stratégie nationale biodiversité ont tenu compte de la SNBC qui inclut les énergies renouvelables comme l’une des priorités en matière de production d’énergie.

Aujourd’hui, quels sont les principaux enjeux et défis associés à la transition énergétique ?

Deux enjeux et défis sont à retenir. Le premier enjeu est de baisser fortement les consommations d’énergie en accélérant la dynamique de rénovation énergétique des bâtiments existants, en renforçant les exigences de la nouvelle réglementation environnementale des bâtiments neufs, en accélérant dans le secteur des transports la diffusion des mobilités douces et des véhicules basse consommation, électriques ou utilisant des carburants alternatifs (GNV, biocarburants, hydrogène), en accélérant dans le secteur industriel la diffusion des technologies propres et efficaces, et en s’appuyant sur les opportunités offertes par le secteur agricole en matière de production d’énergies renouvelables. Le deuxième enjeu est de massifier le déploiement des énergies renouvelables dans tous les secteurs d’activités. En matière de défis à relever, il faudra minimiser l’utilisation des ressources durant la transition, et s’assurer d’une bonne acceptabilité économique et environnementale ainsi que d’une appropriation sociale forte.

(1) L’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) est un établissement public sous la tutelle conjointe du ministère de la Transition écologique et solidaire et du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation. L’Ademe met ses capacités d’expertise et de conseil à disposition des entreprises, des collectivités locales, des pouvoirs publics et du grand public, afin de leur permettre de progresser dans leur démarche environnementale.
(2) http://www.resourcepanel.org/reports/global-resources- outlook
(3) Ce qui n’inclut pas les émissions dues à l’utilisation des terres pour les diverses activités humaines.
(4) https://www.statistiques.developpement-durable. gouv.fr/sites/default/files/2018-10/datalab- 35-cc-des-energies-renouvelables-edition- 2018-mai2018-c.pdf
(5) À l’exception notable du photovoltaïque encore en retard de 18 % par rapport à l’objectif à réaliser en 2018.
(6) Syndicats des énergies renouvelables, France énergie éolienne, ENERPLAN : Syndicat des professionnels de l'énergie solaire.