Gypaète barbu
Avec 130 couples en Europe, le gypaète barbu est menacé. Pour assurer sa survie, la France conduit trois programmes : de réintroduction dans les Alpes, de protection et de sauvegarde en Corse et dans les Pyrénées. Mais l’efficacité de l’action passe prioritairement par un transfert de savoirs sur la protection de l’espèce. Depuis cinq ans, une formation a concerné 140 stagiaires. Les enseignements d’une expérience…
Qu’il faille former les personnels, tout le monde s’en accorde. Mais une fois cette évidence établie, tout reste à définir : quel contenu met-on à la formation et qui forme-t-on ? Les cadres ou les agents de terrain ? Pour qu’ils acquièrent un certain niveau de connaissances techniques ou pour qu’ils sachent sensibiliser le public ?
Savoir qui former
et pourquoi
Philippe Serre, qui a épaulé les premiers pas du programme pyrénéen de conservation du gypaète barbu, explique que « tous les programmes ont une dimension de suivi scientifique, or, les personnes sur lesquelles repose ce suivi n’y sont pas forcément préparées. Elles ne sont, par exemple, à même ni d’identifier les différents plumages ni de connaître les techniques de nourrissage ». Dès lors la « mise à niveau technique » de tous les intervenants constitue la première phase des sessions de formations. Élisabeth Berlioz, chargée de communication au Parc national de la Vanoise, insiste sur l’importance de toucher toutes les catégories professionnelles. Car chacun a sa place dans l’efficacité d’un tel programme, du scientifique, à l’agent de terrain. Ainsi, « dans la vallée de la Maurienne, la gardienne du refuge de Termignon a un rôle important, c’est elle qui sensibilise et informe les randonneurs sur le couple de gypaètes qui niche dans les environs. Elle s’est formée sur le tas, au contact des agents du parc ». Une manière de souligner que la protection du gypaète est l’affaire de tous, chasseurs, pêcheurs, randonneurs, et que les agents de terrain participent activement à la chaîne de sensibilisation.
Faire de la formation
un lieu d’échange
De fait, la formation « suivi et restauration de populations installées de gypaètes barbus » a réuni des participants d’horizons très divers : agents des parcs nationaux et régionaux, naturalistes, techniciens, scientifiques, gestionnaires de forêts ou techniciens de l’éducation à l’environnement. Certains passent le plus clair de leur temps les jumelles à la main à observer des espèces, d’autres gèrent des forêts ou contrôlent l’application de la réglementation. Pour Antoine Rouillon, chargé de mission Asters (réseau Alpin), c’est là un point fort de cette formation. En apportant ses compétences, chacun alterne les rôles de formateur et de formé : « Ce stage bouscule la relation maître/apprenant ». Mais c’est également un point de convergence d’expériences qui n’ont pas d’autres lieux pour se rencontrer, développe Philippe Serre qui insiste sur l’importance de la collaboration entre massifs pyrénéen, corse et alpin. Avec réalisme, le formateur constate cependant que cette collaboration se limite au temps de formation : « Ensuite, chacun rentre chez soi ». Même l’outil internet mis à disposition par l’Aten pour prolonger l’échange et la mise en réseau ne fonctionne pas. Philippe Serre évoque alors l’importance de voir naître une mission nationale inter-massifs qui donnerait une cohérence et une plus grande efficacité à l’ensemble des programmes.
Transformer le stagiaire
en acteur
de sa propre formation
La formation est scindée en deux temps : après un tronc commun, trois ateliers sont dédiés soit au suivi de l’espèce, soit à sa conservation ou encore à l’approche communication et sensibilisation. Mais toujours, les formateurs ont un souci constant : faire en sorte que le stagiaire soit acteur de sa propre formation. Pour ne prendre qu’un exemple, l’atelier communication a permis aux stagiaires d’identifier leurs besoins, ils ont alors créé, eux-mêmes, l’outil qui leur était nécessaire. C’est ainsi qu’une mallette pédagogique connue sous le nom de CAP-gypaète (CAP pour Corse, Alpes, Pyrénées) est le fruit d’un travail collectif capitalisé de stage en stage.
Les onze pièces du kit furent élaborées et testées en temps réel. Le kit bénéficia directement des connaissances théoriques et pratiques des participants. On y trouve par exemple, une approche du régime alimentaire du gypaète (avec un os en résine cassable et remontable) ou encore un jeu de dix silhouettes au 1/6e, destinées à l’apprentissage de la reconnaissance du rapace. L’outil CAP-gypaète a donné lieu à une réflexion sur le public visé. Et si les stagiaires ont ciblé le milieu scolaire et périscolaire, ils ont également défini que le kit devait trouver son utilisation auprès d’adultes tels les accompagnateurs en montagne, les chasseurs, les organisations agricoles ou les acteurs du tourisme et du développement local.
Prendre en compte le problème dans sa globalité
Cette réflexion sur l’utilisation du kit est significative de l’approche globale qui a caractérisé la formation. Pour Philippe Serre, « il n’y a pas de baguette magique. Le gypaète est situé au bout de la chaîne alimentaire. Pour le protéger, il faut résoudre les problèmes qui sont tout au long du chemin. Il faut travailler sur l’ensemble de son biotope et lutter contre les causes de mortalité directe. Pour cela, le praticien se fait médiateur et œuvre à conjuguer les intérêts d’acteurs locaux (entreprises, sportifs, chasseurs) souvent peu préoccupés de biodiversité ». Prendre le problème dans sa globalité, c’est travailler sur tous les registres du développement durable, qu’ils soient économique, social, culturel ou environnemental. Une vision qui a conduit, par exemple, à concentrer l’utilisation de la mallette CAP-gypaète dans les écoles de montagne, directement concernées par la présence du gypaète. Et non pas à répondre à la curiosité des milieux scolaires de tous horizons.
Se battre
pour que ça marche
Depuis cinq ans, 140 stagiaires directement impliqués sur le terrain ont suivi ces sessions. La formation a sans aucun doute contribué à l’efficacité de la mise en œuvre opérationnelle des actions de réintroduction et de protection. Et même si Philippe Serre souligne « qu’il faut demeurer modeste », le constat est bien que, sur la même période, la population de gypaètes barbus a augmenté.
Mais paradoxe, alors que la satisfaction et l’efficacité sont au rendez-vous, les gestionnaires hésitent à consacrer cinq jours du travail de leurs collaborateurs à une seule espèce. La faute à qui ? Aux stagiaires qui oublient de faire remonter leurs impressions auprès de leur hiérarchie. Mais aussi aux responsables des formations, qui devraient certainement mieux communiquer sur des retombées qui vont bien au-delà de l’espèce.
Car c’est bien là l’enjeu : si le rapace constitue l’élément motivant pour les personnels qui s’inscrivent en formation, à travers lui, ce sont toutes les problématiques d’aménagement du milieu montagnard qui sont abordées.