>>> sans perturbation

Observation acoustique des chauves-souris

 

Espaces naturels n°5 - janvier 2004

Études - Recherches

Yves Tupinier
Bioacousticien, il collabore avec le Centre de recherche et d'applications en traitement de l'image et du signal (Créatis).
Michel Barataud
Groupe chiroptères
 

Les méthodes d’observation acoustique sont récentes, et pour cause ! C’est en 1939 qu’on apprend que les chauves-souris se dirigent à l’aide d’ultrasons. Observer la nature sans la perturber, voilà ce qu’autorisent ces « nouvelles » méthodes.

L’animal vit dans l’obscurité, il émet des sons inaudibles… Or, nanti de sens humains, l’observateur est mal à l’aise… Pendant longtemps, l’étude des chiroptères s’est effectuée ainsi et la méthode a permis de décrire et de définir les différentes espèces. Plus tard, dans les années cinquante et soixante, la contribution des spéléologues permet d’enrichir les acquis, même s’ils sous-estiment la faune forestière et anthropophile. Mais le véritable enrichissement des connaissances viendra d’une nouvelle technique : l’utilisation de la capture au filet. Ainsi, avec le temps, les relations entre l’observateur et l’animal ont changé. Aujourd’hui, l’animal est respecté, la déontologie du zoologiste a évolué. Et si le contact direct est accepté, il ne peut s’agir que d’une méthode ultime.
Voilà le contexte dans lequel l’observation acoustique s’est développée, faisant sienne la définition primitive du mot observation : « Action de considérer avec attention la nature… afin de mieux la connaître »
(Le Robert).

Démonstration est faite en 1939 : les chauves-souris se dirigent à l’aide d’ultrasons. Depuis, les connaissances s’enrichissent chaque jour. Ainsi, par exemple, l’essentiel de notre « expérience » actuelle était ignoré, il y a une vingtaine d’années. Si le principe de
l’observation acoustique est simple (elle a pour but de capter les émissions ultrasonores des chauves-souris et les rendre audibles) ; la réalisation est plus complexe. En effet, l’acquisition1 des ultrasons modifie la structure des sons, notamment l’échelle des temps et leurs fréquences. L’écoute des ultrasons émis par les chauves-souris nécessite donc un matériel adapté, le résultat dépendant des performances techniques de celui-ci.
L’hétérodynage, la division de fréquence, l’expansion de temps (cf. page 33) sont les trois techniques principalement utilisées pour cette observation sonore ; elles ont chacune leurs avantages et leurs inconvénients. Ce qui oblige d’ailleurs l’utilisateur à les maîtriser parfaitement pour les utiliser à bon escient.
Mais, point commun, chacune de ces méthodes donne accès aux cris sonar et aux cris sociaux, les premiers étant plutôt un reflet du comportement de l’animal tandis que les seconds déterminent une identification spécifique. En effet, les émissions sonores des chiroptères correspondent à deux fonctions indépendantes bien qu’elles utilisent les mêmes organes. La fonction de communication permet d’envoyer un message d’appel destiné à une partenaire ou, plus violent, d’écarter un concurrent de la table du festin. Dans ces deux cas, une information est émise par un individu et reçue par un autre.
La fonction de localisation acoustique, en revanche, permet une perception autonome du milieu.
Ces deux fonctions impliquent des structures de cris adaptées. Les cris de communication, souvent appelés « cris sociaux » présentent une spécificité marquée. Au contraire, les cris de localisation permettent à l’animal d’acquérir des informations. Ils dépendent de paramètres liés à l’encombrement du milieu et à la morphologie du chiroptère émetteur : les dimensions de ses organes, sa physiologie, son mode de vol. Certains de ces caractères étant spécifiques à chaque espèce, ils permettent une caractérisation.
Sans éclairage
et silencieux
L’observation acoustique se révèle être un outil d’inventaire très performant pour les chauves-souris en activité. En complément des inventaires au gîte, il permet d’établir des corrélations avec le milieu où elles chassent. En effet, un observateur neutre, sans éclairage et silencieux, ne modifie pas le comportement des animaux étudiés. Il peut donc, muni d’un matériel léger, se rendre sur leur lieu de chasse. Il est plus aisé d’écouter les chiroptères depuis une barque que de mettre un filet en travers d’un étang. Nos connaissances actuelles permettent
à un observateur bien entraîné d’identifier, sur le terrain, 27 des 36 espèces européennes (en moyenne plus de 90 % des contacts mènent à une identification spécifique).
Cette façon d’opérer permet de conserver des preuves sans faire de prélèvement et de constituer des archives. Chose très importante dans une technique jeune, comme celle-ci où l’expérience doit être confortée. Les documents ainsi archivés permettent d’affiner immédiatement la détermination, de la confronter à l’avis de collègues mais aussi de revenir sur des problèmes antérieurs que l’amélioration des connaissances permet alors de résoudre.
L’acoustique ne permet pas de déterminer le sexe
Mais l’identification de l'espèce n'est pas le seul avantage de la technique de la détection. Elle permet, en outre, d’apprécier le comportement de l'individu contacté. Chasse, transit, distance par rapport aux obstacles, degré de curiosité pour son environnement de vol… Toutes ces informations pourront nous être livrées, par l’analyse combinée de la structure des signaux, leur récurrence, leur rythme au sein d'une séquence. En comptabilisant les contacts dans différents habitats, on pourra calculer et comparer leurs ressources alimentaires selon les espèces.
Bien que séduisante, l’observation acoustique connaît cependant quelques limites. Ainsi, il est plus difficile d’identifier une chauve-souris en milieu encombré, en sous-bois, qu’en milieu dégagé. Mais, généralement, lorsqu’il y a doute, l’alternative se limite à deux espèces, plus rarement à trois ou plus. Les espèces de certains genres (Plecotus, notamment) sont très proches et n'offrent pas pour l'instant des critères fiables de diagnose1. L’acoustique ne permet pas encore de déterminer le sexe ou l’état physiologique. Pour obtenir ces informations, la capture au filet ou à la main reste nécessaire2. Notamment en période d’hibernation où les chauves-souris sont silencieuses, la visite des gîtes reste le seul moyen de suivi des populations.
Choisir son matériel
et ses points d’écoute
Les chauves-souris ont un rythme d’activité qui varie selon les espèces. Certaines sont actives dès le coucher du soleil, d’autres attendent la nuit. Les territoires de chasse sont également variables. Les unes recherchent le milieu forestier, d’autres les surfaces d’eau, certaines sont plutôt anthropophiles. Les connaissances de terrain sont donc importantes. Par ailleurs la distance qui sépare le gîte du territoire de chasse peut varier entre quelques centaines de mètres et plusieurs dizaines de kilomètres. Cette complexité, source de problèmes, peut également se révéler une mine d’informations à condition de la maîtriser. Ainsi, les choix des points d’écoute (des transects) et leur répartition au cours de l’année, sont déterminants dans la mesure où ils influent sur la qualité des résultats. Il en est de même pour la qualité du matériel d’acquisition et son niveau de technicité. Avec un simple détecteur hétérodyne
(cf. encadré) « bas de gamme », on ne peut faire que de la « présence-absence », sans identification. Cette opération est cependant suffisante pour sélectionner des zones d’activité et préparer des études ultérieures. En revanche, d’autres systèmes très performants associés à l’informatique permettent de mettre à profit les dernières connaissances.
Faire un stage
Il n’est pas de notre propos de résumer en quelques lignes une technique dans son intégralité. Pour cela, des stages de formation sont nécessaires, complétés par une expérience accompagnée sur le terrain, et plusieurs centaines d'heures de travail personnel. Cependant, nous pouvons retenir que nous disposons d’une méthode en plein développement qui offre des possibilités d’accès à la connaissance de la nature sans perturbation.

1. Opération consistant à transcrire les sons sur des supports techniques.

2. Détermination des caractéristiques d’une espèce.

3. Une autorisation de capture est nécessaire. Il est impératif de ne pas manipuler les chiroptères en hibernation.