Archipel des tuamotu

Pirogue à voile : transmettre et innover

 
Gestion patrimoniale
Julien Girardot
vice-pésident de Va'a Motu

Alors que le moteur est roi dans les lagons polynésiens, le projet Va'a Motu veut redonner sa place aux pirogues à voile. Un projet complet qui touche à la transmission des savoir-faire, au développement économique durable et à la gestion des milieux de façon écologique.

Deux enfants de Fakarava jouent avec la maquette construite par les anciens. © Objectif mer - Julien Girardot

Avec une pirogue à voile, on peut faire beaucoup de choses : du transport écologique, de l'éducation à l'environnement, de la gestion de milieu, et même de la recherche scientifique. Le tout de façon durable, en faisant revivre un savoir-faire ancestral. Va’a Motu espère sensibiliser les habitants à l’utilisation d’embarcations à voile parfaitement adaptées à l’environnement de ses atolls. De plus, et c’est vraiment le coeur du projet, naviguer à la voile sans émission carbone, c'est une façon d'être en accord parfait avec l’éthique de la Réserve de biosphère. C’est aussi un énorme pari, car de nos jours, le moteur est roi sur les lagons de Polynésie française.

L'objet de l’Association pour le renouveau du Va’a Motu des Tuamotu, créée en février 2012 : faire revivre cette tradition au coeur même du village de Fakarava et voir des pirogues à voile naviguer de nouveau dans ce lagon pour permettre à toute une communauté de renouer avec ses racines maritimes. Une fois les financements obtenus pour démarrer, l’idée des deux porteurs du projet, Julien Girardot et Ato Lissant (voir repère ci-contre), évolue, pour devenir un projet communautaire, de transmission entre les générations. Le budget est aujourd’hui bouclé, après trois ans de recherches, et la construction de la première pirogue débute en avril prochain. Il n’est pas aisé de trouver des fonds pour construire une pirogue à voile sur un atoll aux allures de paradis...

PREMIÈRE ÉTAPE, LA CONSTRUCTION DE LA PIROGUE 

Pour mener à bien la première partie du projet, la construction de la pirogue, il faut acheminer les matériaux, essentiellement du bois, et l’outillage depuis Tahiti vers Fakarava (2 à 3 jours de navigation).
Va’a Motu s’est rapproché d’un autre projet de réintroduction de pirogue à voile. Té Rangi, qui navigue au large, est une réplique moderne des grands va’a océaniques millénaires qui ont permis le peuplement des îles du Pacifique. Leur projet consiste à faire du fret à la voile entre l’île de Tahiti et l’archipel des Tuamotu, et créer une économie circulaire locale non polluante et efficace. Un partenariat est engagé et Té Rangi transporte les matériaux de construction de la première pirogue à voile de Va’a Motu fin mars. Le symbole est fort pour les deux projets. C’est efficace et ça permet de faire revivre les grandes heures de la marine à voile polynésienne.

LA TRADITION, MAIS DES TECHNIQUES MODERNES

Té Rangi ayant livré les matériaux et l’outillage nécessaire, deux jeunes locaux seront embauchés pour travailler sur le chantier et recevront une formation professionnelle. Le chef de chantier, Alexandre Genton, bien connu à Tahiti pour ses magnifiques réalisations en bois et son sérieux pour la construction navale, sera le professeur de ces jeunes Paumotu.

Ils apprendront ainsi le métier de constructeur de bateau, car des techniques modernes seront utilisées pour réaliser la pirogue et ces techniques s’appliquent de nos jours à tout type d’embarcation. Les jeunes seront par la suite, s’ils le souhaitent, formés aux techniques de navigation à la voile à bord de la pirogue qu’ils auront construit. Va’a Motu permet de créer un peu d’activité à Fakarava qui de plus, s’inscrit dans la renaissance d’une tradition. L’association Va’a Motu a souhaité réaliser son embarcation avec un maximum de bois (contre plaqué marine, kaori, sapin) mais l’utilisation de composite (fibre de verre / résine epoxy) est inévitable pour des questions de coût, de fiabilité et de durée de vie. Les fibres végétales présentes en Polynésie française qui pourraient remplacer la fibre de verre, (polluante et énergivore) ne sont pour l’heure hélas pas fiable pour cause de recherche non aboutie dans ce domaine. À défaut de disposer d’éco-matériaux locaux, du kere sera utilisé à titre expérimental et esthétique. Il s’agit de la fibre de cocotier naturellement tressée que l’on trouve au sommet de cet arbre. Expérimental, car avant d’en faire éventuellement, un jour, une utilisation structurelle, on pourra voir comment réagit le matériau aux éléments (soleil, chaleur, air salin, humidité) sur la durée.

Aujourd’hui, dans certains endroits de la planète, on construit des bateaux en fibre de lin et même en fibre de jute ! Va’a Motu fait parti d’un pool de projets dont certains travaillent sur ces questions d’eco-matériaux. Ce pool de projet est soutenu par le Fonds de dotation explore, initié par Roland Jourdain, célèbre navigateur (www.explore-jourdain.com). « EXPLORE identifie et soutient les explorateurs du XXIe siècle, celles et ceux qui apporteront connaissances scientifiques et innovations durables pour répondre aux défis socio-environnementaux actuels. »

APPRENDRE À RESPECTER LE LAGON 

Cette pirogue de 10 mètres qui pourra emmener 6 personnes à son bord, touchera enfin l’eau du lagon en juillet prochain. À la suite d'une phase de test et de validation, et après accord des affaires maritimes de Polynésie française, l'embarcation pourra débuter toutes ses missions, à commencer par le programme pédagogique. L’école de Rotoava est partenaire du projet Va’a Motu. Les professeurs ont établi un programme pour chaque classe en fonction de l’âge et les navigations à bord de la pirogue pourront être inclues comme activité « découverte » de plein air.

Les enfants suivront de près le chantier qui aura lieu juste en face de leur école pendant trois mois car des visites seront organisées chaque semaine avec les explications des travailleurs. Les professeurs mettront en place des ateliers ludiques sur des thèmes comme la culture, l’environnement, la construction et la navigation, qui permettront aux enfants de comprendre les différents objectifs du projet. Une fois la pirogue à l’eau, ils embarqueront régulièrement, et ils pourront apprendre en conditions réelles comment naviguaient leurs anciens sur le lagon. C’est un retour aux racines pour eux qui n’ont pas connu ces bateaux de travail typiques de leurs îles. Deux artistes dessinateurs, Benjamin Flao et Troub’s, contribuent au programme pédagogique du projet Va’a Motu. Ils ont tout d’abord publié un livre après 3 mois sur place : « Va’a » qui parle de pirogue et de la vie de l’atoll de Fakarava. Aujourd’hui, ils viennent d’achever un livre éducatif qui raconte l’histoire des pirogues à voile aux enfants. Cet ouvrage sera bientôt dans les mains des des jeunes écoliers de Rotoava et, Va’a Motu l’espère, d’autres enfants du Fenua ! (Tahiti)

LA PREMIÈRE CARTOGRAPHIE 3D À BORD D'UNE PIROGUE

En août prochain, une équipe de scientifiques se réunira à Fakarava pour travailler à bord de la pirogue. En effet, pour la première fois au monde, une embarcation traditionnelle qui ne consomme pas d’énergie fossile sera utilisée pour effectuer une cartographie en 3D d’un récif. Ce programme est né de la rencontre avec un groupe de scientifiques navigants et travaillant à bord de Tara. Emmnanuel Reynaud, docteur en biologie intégrative à l’Université de Dublin, s'est intéressé à Va'a Motu et a proposé de monter un programme de science citoyenne. Outre l'expérience de réaliser une belle cartographie 3D d’un récif corallien, l'intérêt est de partager les résultats avec la population. Ceux-ci seront traduit en 3 langues, le paumotu, le tahitien et le français.

L’idée, c’est que la science peut être faite par tout le monde et pour cela, les scientifiques mettront à disposition du matériel et formeront des locaux qui utilisent des bateaux chaque jour pour travailler. La science doit servir à tous, pas seulement aux scientifiques qui la font, mais aussi et surtout aux populations qui doivent être les premiers bénéficiaires de ces études et ainsi mieux appréhender les problèmes potentiels. Un véritable suivi des zones du lagon empruntées par l’homme pourra être effectué de façon régulière. Quant à la pirogue à voile, elle continuera, même sans la présence de scientifiques à effectuer des images qui serviront à cartographier.
La cartographie sera accessible gratuitement sur internet via un site dédié et toutes les futures expéditions de recherche à Fakarava pourront utiliser ces données récoltées par l’équipe scientifique du projet Va’a Motu. Des photographies incroyables de plancton et d’organismes vivants seront réalisées (sans prélèvement) par des scientifiques spécialisés dans ce type de prise de vue (www.kahikai.org). Ces visuels seront également utiles au programme pédagogique. C’est tout ça la science citoyenne !

DÉVELOPPER LE TOURISME RESPONSABLE

Le dernier programme cher aux yeux de Va’a Motu, c’est le programme eco-touristique.
Les atolls de la commune de Fakarava (Aratika, Fakarava, Kauehi, Niau, Raraka, Taiaro, et Toau) constituent une Réserve de biosphère reconnue par l’Unesco, c’est un des plus beaux sites de plongée au monde. Il attire chaque année, quelques milliers de touristes qui font vivre la population.
À Fakarava, il n’y a plus aucun établissement hôtelier de standing. Seulement des pensions de familles. Les touristes viennent ici chercher le calme, l’hospitalité et la joie de vivre polynésienne, bref, de l’authenticité. Va’a Motu s’inscrit dans cette authenticité avec un support nautique 100% polynésien. Une expérience unique pour le visiteur qui se verra sensibilisé aux enjeux de la Réserve de biosphère de la commune de Fakarava et aux actions du projet Va’a Motu.

Les navigants profiteront de ce temps partagé à bord pour faire passer des messages de nature environnementale et culturelle, la barrière du folklore est ainsi franchie, c’est un échange plus intimiste, plus efficace qui se fait dans le calme et le naturel de la navigation à voile.

Voici la première partie du projet Va’a Motu dans son ensemble. Première partie car l’association Va’a Motu espère pouvoir prochainement revisiter un autre type de bateau, l’Optimist, pour en faire une version polynésienne. Un petit centre nautique traditionnel verrait le jour à Fakarava et profiterait aux enfants de l’atoll, mais aussi aux enfants des touristes. Parce que les membres de l’association Va’a Motu sont convaincus que c’est en intéressant les plus jeunes et en leur créant cette activité saine et sportive qu’un jour on pourra revoir des voiles sur les lagons des Tuamotu, pour le plaisir, la pêche ou même le transport de passagers et de marchandises.