Pour ou Contre un fonds de compensation carbone ?
Espaces naturels n°22 - avril 2008
Jean-Michel Salles
Chercheur au CNRS-UMR Lameta
Sophie Thoyer
Professeur à SupAgro Montpellier
Philippe Girardin
Président du Parc naturel régional Ballons des Vosges
Contre un fonds de compensation carbone alibi
Jean-Michel Salles - Chercheur au CNRS-UMR
Lameta Sophie Thoyer - Professeur à SupAgro Montpellier
Les fonds de compensation ont désormais acquis une notoriété indiscutable. Puisque nos choix et nos comportements ne peuvent éviter, dans le contexte socio-technique actuel, de contribuer aux émissions de gaz à effet de serre, on peut, en finançant des actions visant à fixer le CO2 ou à réduire les émissions par d’autres, obtenir un bilan neutre en carbone. L’idée de pouvoir racheter sa virginité environnementale est évidemment tentante : serait-il possible de réussir, par des engagements volontaires, là où les États n’avancent qu’à pas comptés ? Le tableau semble harmonieux, mais on doit s’interroger sur l’enthousiasme que manifestent tant d’organisations à compenser (pour une somme variant de 8 à 27 euros la tonne) leur absence de stratégie pour modifier leurs pratiques ; seule façon pourtant de préserver les climats à long terme. On ne peut, en effet, mettre sur un pied d’égalité le fait de brûler des énergies fossiles (forme de stockage stable à une échelle géologique) et celui de planter des arbres (stockant momentanément le carbone). En l’absence de politique globale, on peut penser que lorsqu’un arbre est planté avec le financement de l’un de ces opérateurs, un autre arbre sera abattu un peu plus loin ; la surface boisée s’équilibrant avec le besoin de terres agricoles. L’impact positif à long terme de ces actions n’est donc pas garanti. Le principal atout revendiqué par ces opérateurs est qu’ils agissent concrètement et rapidement. Cependant, ils peuvent, aussi, contribuer à retarder les changements techniques qui s’imposent, en offrant une conscience environnementale à bon prix. Ces ambiguïtés viennent d’ailleurs de conduire l’Ademe à produire un code de bonne conduite. Il précise en particulier que les vendeurs de compensation devront démontrer que les projets contribuent de façon réelle et durable à limiter les émissions. Il demande, pour chaque projet, une certification par un organisme indépendant des émissions effectivement évitées. Cet effort de clarification et ce contrôle renforceront la crédibilité de ces initiatives. Quelles que soient leurs motivations, il serait en effet regrettable qu’elles s’essoufflent. La mise en place d’une comptabilité carbone au sein des établissements et l’obligation de rendre des comptes constituent certainement un réel facteur d’évolution de nos comportements quotidiens.
« Pour un fonds appliqué aux parcs naturels régionaux »
Philippe Girardin - Président du Parc naturel régional Ballons des Vosges
En octobre dernier, les rencontres nationales des parcs régionaux ont conduit à s’interroger sur le bilan carbone d’une telle manifestation annuelle. Outre les multiples déplacements des intervenants et participants, c’est toute la gestion du colloque qu’il convient de considérer. Le transport, l’hébergement, la restauration, sont à requestionner comme d’ailleurs l’ensemble de nos activités professionnelles. Mais ces pensées se sont heurtées au « comment aboutir à un bilan carbone équilibré ? ». Pour ma part, j’ai suggéré que les parcs naturels régionaux réfléchissent à la mise en place d’un fonds de compensation carbone : les parcs volontaires cotiseraient en fonction de leur production de CO2 afin de financer des actions compensatrices. Le bilan carbone annuel des parcs pourrait s’inspirer de la méthodologie mise en place par l’Ademe et le ministère de l’Environnement. L’idée n’est pas nouvelle. Une douzaine de fonds de compensation CO2 dans le monde permettent déjà de financer la création de forêts, ou encore de soutenir la mise en place d’énergies renouvelables ici ou dans des pays défavorisés. Les opposants soutiennent que l’on se donne ainsi « bonne conscience pour pas cher ». Leur position est défendable. Les sommes en jeu restent, en effet, dérisoires (1 000 à 2 500 euros par an et par parc). Rétorquons que les parcs génèrent une production CO2 importante, du fait, notamment, des nombreux déplacements qu’effectuent leurs agents. Mais il y a aussi d’autres arguments à considérer. L’aspect pédagogique tout d’abord. Cette initiative ne manquera pas d’engendrer une prise de conscience du personnel, des partenaires et des financeurs. Elle contribuera à faire en sorte que cette préoccupation rentre dans l’ordre du « normal ». À condition, bien sûr, que le coût supplémentaire de cette compensation apparaisse clairement dans les budgets et qu’elle soit identifiée comme un surcoût modulable au gré des choix et des décisions. On peut alors parier que l’on aboutira à un « réflexe » de calcul des émissions et à une réflexion « automatique » sur les possibles solutions alternatives. De quoi changer véritablement nos comportements ! À commencer par la mise en place de plans de déplacement d’entreprise, ou de visioconférences qui peuvent souvent remplacer des rencontres physiques. Certes, il conviendra de se mettre d’accord sur un tarif de compensation par tonne de CO2 émis. Peut-être en s’inspirant des barèmes qui s’appliquent déjà aux grandes entreprises ou de ceux appliqués par certaines fondations (entre 9 et 27 euros la tonne de CO2 produite). Ainsi, si chacun des quarante-cinq parcs versait 2 000 euros annuels, la fondation disposerait de 90 000 euros à réinvestir. L’idée s’inscrit pleinement dans l’éthique des parcs. Reste à la mettre en pratique pour montrer l’exemple. Nous y travaillons dans le cadre du Comité d’orientation, de recherche et de prospective de la Fédération.