Afrique de l’Ouest

Produire du sel solaire sur bâche pour ne pas détruire les mangroves

 

Espaces naturels n°37 - janvier 2012

Vu ailleurs

Fatima Sow
Charte Mangroves en Afrique Wetlands International Africa

 

La production du sel solaire sur bâche a été diffusée au Bénin et en Guinée comme alternative à la technique de production du sel cuit, très consommatrice de bois de mangrove.

Outre l’effet des changements climatiques, l’exploitation intensive des ressources de la mangrove par les populations a atteint aujourd’hui un seuil critique. On estime à 16 % la perte de leur superficie en Afrique de l’Ouest et du Centre entre 1980 et 20051. Or, sans mangroves, la qualité de l’eau est remise en question, la lutte contre la pauvreté et l’autosuffisance alimentaire restent des vœux pieux.
Sur l’initiative de Wetlands International en partenariat avec l’UICN, un projet Mangrove est mené en Afrique de l’Ouest (IMAO). Il couvre la Mauritanie, la Gambie, la Guinée-Bissau, la Guinée, la Sierra Leone, le Sénégal. Il a permis de mettre en place une charte régionale de gestion durable de la mangrove ainsi que des plans d’actions nationaux. Une des initiatives du projet a été la vulgarisation de la technique de production de sel solaire sur bâche.
En effet en Guinée, Guinée-Bissau et Sierra Leone, la production traditionnelle du sel provoque une déforestation croissante. L’eau de mer est piégée dans des bassins d’évaporation. Après cristallisation, les blocs sont lavés abondamment puis séchés par brûlage. Ce sel cuit est très consommateur de bois de mangrove : la production d’1 kg de sel nécessite 3,1 kg de bois.
La partie sahélienne de la Gambie et du Sénégal utilise certes une autre technique basée sur la cristallisation solaire mais celle-ci s’avère peu productive.

La technique du sel sur bâche.
En Gambie, en avril 2009, des actions de vulgarisation de la technique de production de sel solaire ont été initiées avec les habitants du village de Bali Mandinka (50 km de Banjul). Pendant six jours, les communautés locales (Mandinka, Bali, Jassobo et Buram) se sont mobilisées pour préparer une saumure saturée de chlorure de sodium destinée à être cristallisée sur des bâches en plastique. Une bâche peut cristalliser jusqu’à 80 litres de saumure par jour.
La saumure est obtenue par lessivage de la terre salée dans des entonnoirs d’environ 50 cm de diamètre. L‘entonnoir est fait par un assemblage de bois d’environ 1 cm de diamètre dont l’étanchéité est assurée par des sacs de récupération et de la paille recouverte d’argile. Il repose sur un support en bois de 5 cm de diamètre.
Chaque communauté s’est également attelée à la confection de ses propres bâches. Ce qui a permis de comparer les techniques de production.

Rendement et qualité. L’expérience s’est révélée productive tant au niveau du rendement que de la pénibilité du travail.
La technique permet de multiplier par 7,5 environ la production annuelle2. Elle permet d’étaler la campagne de production de cinq à sept mois, de novembre à mai (la technique traditionnelle dure de janvier à mai).
Mieux, la qualité du produit est nettement supérieure : la texture est plus fine ; le sel, plus propre, est commercialement plus compétitif. Une enquête sur les marchés locaux montre que le sel produit traditionnellement se négocie à 57 dollars US la tonne contre 76 dollars US pour un produit (importé du Sénégal) de qualité équivalente à celle du sel sur bâche.
En termes de pénibilité : la technique traditionnelle exige une présence permanente pour la récolte et le stockage. A contrario, la production solaire permet à l’exploitant, une fois la saumure obtenue et versée sur la bâche le matin, de vaquer à d’autres occupations.

Et pour la mangrove ? Le rapport d’évaluation des activités de Univers-Sel en Guinée (2008) estime que 1 000 tonnes de sel solaire permettent d’éviter le défrichement de 125 ha de mangroves. Ce sel s’avère être une bonne alternative au sel traditionnel cuit, pas seulement en Guinée mais aussi en Sierra Leone et en Guinée-Bissau, pays producteurs.
Dans la zone du projet IMAO, il est possible d’envisager la diffusion de cette technique aussi bien pour préserver le bois de mangrove que pour améliorer les revenus des communautés.
Sa généralisation en Sierra Leone, en Guinée Conakry, en Guinée-Bissau et en Casamance (au sud du Sénégal) permettra la réduction de la coupe du bois de mangrove.
Reste à convaincre les consommateurs. En effet, l’expérience guinéenne montre que sur le marché, la compétition avec le sel cuit n’est souvent pas en sa faveur. C’est pourquoi une étude de la filière et une sensibilisation sont indispensables pour changer cette tendance.
Cependant, le choix des sites de diffusion doit se porter sur les secteurs où l’interférence de l’érosion éolienne ne risque pas de répandre du sable sur les bâches de cristallisation. •

1. Atlas mondial 2010. • 2. 11 sacs de 50 kg de sel ont été produits. • En savoir plus :
http://afrique.wetlands.org