Hydrochimie

Que disent les vases ?

 

Espaces naturels n°67 - juillet 2019

Études - Recherches

À la différence des lacs, les étangs sont peu étudiés en hydrochimie. Pourtant, ces milieux sont le fruit de dynamiques séculaires, et leur étude peut révéler bien des informations sur leurs écosystèmes, leur impact sur le climat, les émissions de gaz à effet de serre, etc.

DynEtang étudie les étangs de la Brenne (36). © Z. Renata et A. Haouchine

DynEtang étudie les étangs de la Brenne (36). © Z. Renata et A. Haouchine

La France compte plus de 500 000 étangs dont l’essentiel se regroupe sur trois pôles : Brenne, Dombes et Sologne. Espaces de récréation et de loisirs, lieux de reproduction pour de nombreuses espèces animales, les étangs constituent des écosystèmes à part entière qui contribuent au maintien de la biodiversité sous toutes ses formes. Ils portent également une dimension économique, souvent liée à l’élevage et la production de produits halieutiques. Pourtant, qu’ils soient naturels ou d’origine anthropique, ils sont peu étudiés par les scientifiques. Initié en 2017 pour trois ans, le projet DynEtang, porté par l’université d’Orléans, étudie les étangs de la Brenne, site favorable pour mesurer le degré d’interaction de ces entités avec le milieu qui les entoure. Il tente de développer une recherche scientifique à caractère limnique1 propre aux étangs, soit via l’emprunt direct de méthodes pratiquées sur les grands plans d’eau comme les lacs et les barrages, soit par des modifications conséquentes sur l’existant pour l’adapter au contexte de ces entités. Ce projet essaie en outre d’appliquer ces méthodes aux étangs afin de mieux cerner un milieu qui n’avait, jusqu’alors, trouvé qu’un faible écho dans la communauté scientifique.

APPROCHE INTÉGRÉE

DynEtang vise à répondre à la fois aux gestionnaires soucieux du fonctionnement et de l’état de leurs plans d'eau et aux scientifiques en quête de compréhension de processus physiques et chimiques. Pour cela, l’intégration des étangs dans leur contexte géographique, social et économique fait partie des fondamentaux sur lesquels se base la recherche. Les principaux axes pris en compte par le projet sont les dynamiques climatiques et hydrogéochimiques, auxquelles peuvent s’adjoindre les volets socio-économiques. L’approche qui a été adoptée considère l’échelle limnique pour la qualification de l’entité et pour la distinction des régions limniques. L'objectif est d’identifier les disparités spatiales au sein des masses d’eau et de mieux les caractériser sur les plans du fonctionnement hydrodynamique, hydro-géochimique et sédimentaire. Cette première échelle a été élargie pour couvrir le bassin versant et évaluer le degré d’interaction entre le plan d’eau et son bassin versant. Il s’est agi, dans ce cas, d’estimer les échanges liquide et solide et de comprendre les processus de transfert dans un premier temps et prédire par modélisation l’évolution future de cette dynamique. Finalement, les chercheurs ont inscrit leur approche dans un contexte élargi aux grands bassins versants (de la Claise et, plus largement, de la Loire) pour répondre aux interrogations des gestionnaires et décideurs locaux sur l’impact de ces plans d’eau sur la dynamique hydrosédimentaire régionale.

DES PREMIERS RÉSULTATS PROMETTEURS

Les premiers résultats obtenus font remonter plusieurs constats prometteurs sur le plan scientifique dans différents domaines.

• Les résultats des mesures des principaux paramètres climatiques et le recours aux données satellitaires montrent une variabilité nette des températures à l’aplomb de la zone d’étangs et pour certaines conditions climatiques. Ainsi, le degré d’évaporation se trouve augmenté pour certains types de temps, illustrant le rôle des étangs dans la dynamique climatique locale.
• On observe également une variabilité spatiale des caractéristiques physico- chimiques au sein même de l’entité limnique et entre entités limniques. Ces étangs bénéficient d’une stratification thermique qui peut être considérée comme éphémère et fragile, contrairement aux lacs, qui se distinguent par un ancrage plus marqué de ce phénomène. Cette stratification s’observe également pour l’oxygène, en particulier durant la saison estivale, avec un appauvrissement du niveau profond, ce qui aura une répercussion directe sur les échanges eaux-sédiments. Les étangs fonctionnent tantôt comme puits pour les apports potentiellement nocifs provenant des versants ou de l’atmosphère, tantôt comme source de relargage. Ces plans d’eau peuvent en effet stocker des éléments tels que le carbone et réduire les émissions de gaz à effet de serre. Mais ils peuvent aussi produire des éléments gazeux qui contribuent à l’alimentation de l’atmosphère (les premiers résultats montrent que les émissions de méthane sont relativement faibles en automne).

L'objectif est d’identifier les disparités spatiales au sein des masses d’eau et de mieux les caractériser sur les plans du fonctionnement hydrodynamique, hydrogéochimique et sédimentaire.

• La spatialisation des mesures à l’échelle des masses d’eau met en évidence les disparités fonctionnelles qui structurent la masse d’eau en régions limniques bien distinctes qu’il faut prendre en compte dans toute approche scientifique et de gestion. Ces différences sont également très nettes entre les plans d’eau selon leur dynamique hydrogéochimique, la végétalisation et les activités anthropiques environnantes. • On constate enfin une disparité assez nette du degré d’envasement en fonction des étangs. Pour une large part, ces différences obéissent aux règles de l’activité socio-économique (pratique agricole, curage, vidange, etc.). Connaître ces disparités permettra aux gestionnaires de site de procéder à des choix pertinents de gestion (curage ou non, périodicité, etc.).

VERS DES « ÉTANGS SENTINELLES »

Voici une dizaine d’années, la notion de lacs sentinelles a fait son apparition, tout d’abord dans les Alpes, le Jura, puis un peu partout en France. Des lacs sélectionnés à cette fin ont été équipés et suivis pour développer des méthodes, techniques, modèles permettant d’aider chercheurs, gestionnaires et décideurs dans le suivi et la gestion de ces écosystèmes. La notion d’étangs sentinelles fait aujourd’hui son chemin, à l’instar des lacs sentinelles. Il s’agit de développer tableaux de bord et instruments de suivi d’étangs sélectionnés, qui deviendraient de véritables observatoires pour la recherche, la gestion et la prise de décision.

1 Se dit de bassins continentaux marécageux ou lacustres et des sédiments qui y sont déposés.