Végétation

Se baser sur les compartiments pour cartographier à grande échelle

 

Espaces naturels n°61 - janvier 2018

Méthodes - Techniques

Denis Maréchal, chargé d’étude, denis.marechal@gmail.com,
Marie Le Roux, consultante en environnement, contact@mlr-environnement.fr et
Thomas Sanz, botaniste-phytosociologue au Conservatoire botanique national alpin, t.sanz@cbn-alpin.fr

La cartographie à grande échelle des végétations est un outil essentiel pour les gestionnaires des espaces naturels afin d’orienter les décisions concernant l’utilisation et l’aménagement de ces territoires. Dans le cadre du programme CarHab, l'IRSTEA et le Conservatoire botanique national alpin (CBNA) ont développé une méthode d'aide à la cartographie des milieux ouverts d’altitude à grande échelle.

Cartographie de localisation des modules représentatifs des compartiments écologiques structurants sur site d'étude (zoom sur un secteur du massif de Belledonne).

Cartographie de localisation des modules représentatifs des compartiments écologiques structurants sur site d'étude (zoom sur un secteur du massif de Belledonne).

L’objectif était, à partir de relevés, de proposer une cartographie probabiliste des grands ensembles de végétation d'un massif. Contrairement à de nombreuses études existantes et réalisées à l’échelle d’une espèce, les cartographies sont réalisées à l’échelle des compartiments écologiques stables dans le temps et définis par la présence de communautés végétales caractéristiques. Ils délimitent les grandes successions écologiques des territoires étudiés définies par l'ensemble des stades de végétation pouvant apparaître dans chacun des compartiments suite à l'évolution spontanée de la végétation (pelouses, landes, forêts…).

Dans les milieux ouverts d’altitude, c’est surtout l’étage subalpin qui est concerné par ces dynamiques de succession. Les images satellites étant aujourd’hui disponibles presque en continu, les cartographies peuvent être mises à jour régulièrement et peuvent suivre les changements de physionomie des végétations. De plus, cette méthode peut être utilisée dans divers contextes écologiques (littoral, plaine, montagne, etc.) en fonction de la disponibilité et de la qualité des données (relevés floristiques et phytosociologiques, variables écologiques). Elle nécessite néanmoins une approche pluridisciplinaire permettant d'associer des compétences spécifiques en phytosociologie, modélisation spatiale et segmentation d’images satellites.

Dans le travail qui a permis la mise au point de la méthode, il s'agissait de partir des relevés de végétations effectués par le CBNA depuis les années 1980, pour réaliser la cartographie des massifs de Belledonne-Grande Rousse-Écrins. Ces relevés contiennent tous une liste d’espèces identifiées dans un milieu aux conditions écologiques homogènes. Au-delà de la localisation précise de chacune des espèces végétales, la volonté est de fournir aux gestionnaires une cartographie stable dans le temps et reproductible, représentative de la zone d’étude et pouvant rendre compte des patrons de distribution de végétations rencontrés sur ces massifs. Contrairement aux modèles de distribution utilisés classiquement au niveau espèce et qui fournissent une information ponctuelle et momentanée, l’objectif de cette étude est de localiser les compartiments écologiques dans lesquels les communautés végétales sont distribuées et mettre en évidence les successions auxquelles elles participent.

Pour cela, la méthodologie présente trois phases : sélection des objets à modéliser et des variables écologiques structurantes, calibration des modèles, projection des modèles sur le site d’étude.

La première étape consiste à mettre en évidence des combinaisons d’espèces, appelés modules. Sur les massifs étudiés, cinq modules ont été retenus comme représentatifs des compartiments écologiques les plus structurant dans le paysage. Ils ont été obtenus en analysant les cooccurrences d’espèces dans les relevés de végétation du CBNA et sont donc spécifiques de la zone d’étude. Il convient ensuite de décrire les variables écologiques du territoire qui déterminent la distribution des modules sélectionnés. En montagne, les espèces végétales des milieux ouverts sont particulièrement influencées par les durées d’enneigement, le couvert neigeux conditionnant les températures au niveau du sol pendant l’hiver et la durée de la saison de végétation. Comme ces gradients sont dépendants de l'altitude et de la topographie, ils peuvent être construits à partir du modèle numérique de terrain de l’IGN. 

L'étape de calibration des modèles doit être réalisée par un expert ayant une bonne maîtrise des statistiques appliquées à l'écologie. Les modèles linéaires sont souvent bien adaptés à l'étude de la végétation. Mais d'autres types de modèles permettent de traiter divers contextes. Par exemple, lorsqu'il est nécessaire de caractériser les conditions écologiques d'un site à partir de gradients structurés en catégories (comme la géologie), par opposition aux gradients continus (comme l'altitude). De même, selon les espèces ou communautés d'espèces, d'autres types de modèles seront aussi plus adaptés, d'où l'intérêt d'en tester et comparer plusieurs types.

La dernière étape consiste à projeter les compartiments écologiques sur l’ensemble du territoire d’étude afin d’établir une cartographie probabiliste des modules. Les sorties des modèles pour chacun des modules ont été évaluées grâce à un indice classiquement utilisé, l'AUC1 qui détermine le pouvoir de discrimination des modèles statistiques. Les indices résultants, compris entre 0,8 et 0,9, indiquent une très bonne performance des modèles, résultats qui ont par ailleurs été validés par les experts du CBNA.

VERS UNE CARTOGRAPHIE DES ASSOCIATIONS VÉGÉTALES : APPORT DE LA TÉLÉDÉTECTION

La télédétection permet la caractérisation de la structure de la végétation en place au moment de la prise de vue satellitale. La disponibilité des images étant aujourd'hui pratiquement journalière, les cartographies peuvent être mises à jour régulièrement.

Ainsi, en segmentant les images satellites, les compartiments écologiques sont subdivisés en fonction de la physionomie des végétations (parois, éboulis, fourrés, pelouses, landes, forêts…). En croisant avec les compartiments écologiques, il est possible d’approcher une cartographie phytosociologique (au niveau des associations ou des alliances) ou une cartographie des habitats naturels suivant les typologies européennes (EUNIS, Corine Biotopes, Manuel EUR27…).

En fonction de la typologie choisie et de son niveau de finesse, les résultats du croisement nécessitent une interprétation à dire d’expert car il ne sont pas toujours univoques. Néanmoins, une phase de terrain peut permettre de réduire le champ des possibles.

RÉDUIRE LES EFFORTS DE PROSPECTION

Les résultats issus de modélisations peuvent constituer un outil opérationnel pour concentrer la prospection sur les habitats patrimoniaux ou sur les habitats très ponctuels qu’elle ne peut faire ressortir. Grâce à la cartographie probabiliste continue, cette méthodologie permet de récolter des informations y compris dans des lieux inaccessibles en montagne ou qui n’ont simplement pas été visités.

(1) L'AUC est l'aire sous la courbe ROC. Elle correspond à une fonction de performance qui traduit la capacité du modèle à prédire la présence/absence des observations.