Soigner et préserver
Espaces naturels n°67 - juillet 2019
Bénédicte Lefèvre, Afie, blbenedictelefevre@gmail.com
L’usage des antiparasitaires peut avoir un impact négatif sur les coprophages, ressource trophique de nombreuses espèces. Le réseau VET’EL développe une méthodologie pour former vétérinaires et éleveurs à mieux les utiliser, pour allier santé, environnement et rentabilité.
Les pâturages humides sont des zones à risque sanitaire, favorables au développement de certains parasites très pénalisants pour l’élevage des ruminants. Par conséquent, y maintenir une activité d’élevage, dans de bonnes conditions de santé et de bien-être pour les cheptels domestiques et de rentabilité pour les exploitants nécessite une surveillance et une maîtrise très efficaces du parasitisme. C’est d’autant plus important que les antiparasitaires représentent ainsi un danger pour la microfaune et la flore des écosystèmes prairiaux, les populations de coprophages qui se nourrissent et se reproduisent dans les bouses étant aussi une ressource trophique de nombreuses espèces, parfois protégées, comme le grand Rhinolophe (Rhinolophus ferrumequinum) et la Pie-grièche grise (Lanius excubitor). Maîtriser l’usage des médicaments antiparasitaires des ruminants repose sur une bonne formation des vétérinaires comme des éleveurs.
RÉDUIRE L’UTILISATION DES ANTIPARASITAIRES
Les vétérinaires qui sont sensibles à la maîtrise de l’usage des antiparasitaires le sont soit par conviction personnelle, ou à la demande de leurs clients éleveurs (notamment bio) et a fortiori dans certaines zones naturelles protégées. Dans le contexte global de réduction des intrants chimiques en agriculture, alimentée par une demande sociétale légitime de pratiques plus respectueuses de la santé et de l’environnement, les antiparasitaires sont une cible logique. Mais les justifications d’une gestion raisonnée du parasitisme (« aussi peu que possible mais aussi souvent que nécessaire ») sont plus larges : risque de résidus de médicaments dans les denrées alimentaires d’origine animale, gestion des temps d’attente pour le lait et la viande, coût souvent élevé des anthelminthiques rémanents (qui conservent tout ou partie de leurs propriétés insecticides dans les bouses), développement de résistances de certains parasites aux antiparasitaires, restriction de l’arsenal thérapeutique, etc. Dans ces conditions, VET’EL a développé à l’attention des vétérinaires un programme qui comprend six objectifs :
• réduire l’utilisation des antiparasitaires : abandon des traitements systématiques, recours à des analyses de laboratoire (sang, lait, bouse) en connaissant leur intérêt et limites d’interprétation ;
• donner la priorité à la conduite d’élevage, aux mesures agronomiques et zootechniques pour empêcher la contamination parasitaire ou limiter l’infestation ;
• développer l’immunité si elle prévient des réinfestations successives (strongles gastro intestinaux) ;
• connaître l’écotoxicité des molécules utilisées ;
• éviter les traitements à la mise à l’herbe avec antiparasitaires rémanents et impactants pour la faune non cible ;
• retenir des traitements ciblés sélectifs, sur les « maillons faibles » tout en maintenant une bonne santé des animaux et en atteignant les objectifs de production.
Anne Barbier Bourgeois, vétérinaire, référente technique des projets zones humides pour VET’EL, indique que de nombreuses cessions de formations à la parasitologie sont proposées aux vétérinaires régionaux. Il s’agit de les aider à mieux appréhender l’accompagnement raisonné des éleveurs et la lutte contre le parasitisme herbager et de stabulation des cheptels. Des formations aux techniques d’analyses et examens complémentaires sont par ailleurs réalisées en collaboration avec la Société nationale des groupements techniques vétérinaires (SNGTV), par des praticiens renommés. Un livret d’information sur les enjeux écologiques de la lutte contre le parasitisme sur les prairies humides en région est également diffusé à l'intention des vétérinaires ainsi que 20 000 plaquettes de sensibilisation pour les éleveurs. Anne Barbier Bourgeois précise que lors de chaque formation, les échanges avec les stagiaires, leurs avis et leurs retours d’expérience sont précieux pour progresser, approfondir les connaissances et lever les éventuels freins.
DES ÉTUDES DE TERRAIN POUR AMÉLIORER LA GESTION
Afin de mieux répondre aux besoin de terrain, VET’EL, aidé par le Conservatoire des espaces naturels du Nord- Pas-de-Calais a conduit, depuis 2011, un programme d’études de l’impact et de l’efficacité des mesures de gestion du parasitisme en lien avec la valorisation des zones humides en région Hauts-de- France. En étudiant au plus près différents cheptels, ces études ont permis de construire les outils d’une gestion antiparasitaire raisonnée favorable à la santé et au bien-être des troupeaux tout en étant consciente des enjeux environnementaux. Parmi d’autres préconisations, un cahier des charges d’intervention conseil en élevage a ainsi été proposé sur la base d’examens de laboratoire visant à identifier le parasitisme (coproscopie, sérologie, etc.). Une conduite d’élevage et des mesures agronomiques limitant l’infestation ont également été recommandées. Dans la très grande majorité des cas, il a été démontré que ce protocole améliore à la fois la prise en charge du risque sanitaire et la prise en compte des risques environnementaux.
FORMER LES ÉLEVEURS AU SEIN DE ZONES PROTÉGÉES, ET AU-DELÀ...
Une dynamique de formation approfondie des éleveurs sur le thème de la lutte raisonnée contre le parasitisme herbager et d’intérieur a été mise en place. Ces formations, réalisées par des vétérinaires eux-mêmes spécifiquement formés, sont organisées en partenariat avec les cabinets vétérinaires et les gestionnaires des sites. Ces derniers, comme les techniciens environnementaux, les Chambres d’agriculture ou les organismes de conseil en élevage peuvent également bénéficier de formations similaires. Le programme et les supports pédagogiques de formation, sont réalisés pour assurer la cohérence des informations délivrées aux différents publics. Les formations sont destinées en priorité à des éleveurs impliqués dans le programme, mais restent ouvertes à tous, car les efforts ne doivent pas se cantonner au moins de 1 % de zones naturelles protégées des Hautsde- France. Mais sur le terrain, qu’en est-il des relations entre vétérinaires et gestionnaires d’espaces naturels ? Elles sont bonnes, selon Anne Barbier Bourgeois. La vétérinaire témoigne : « Depuis une dizaine d’années, vétérinaires et gestionnaires apprennent à se connaître et partager les travaux des différents acteurs impliqués. Localement, les acteurs ont été réunis pour réaliser des fiches collaboratives, propres à chaque élevage donnant l’occasion d’échanges fructueux et de visions croisées sur la situation sanitaire et parasitaire, les productions fourragères, les enjeux environnementaux, les objectifs de production des élevages mais aussi des difficultés rencontrées. Chacun possède souvent une partie des solutions possibles pour maintenir l’élevage en zone humide. »
Cent-vingt élevages ont ainsi bénéficié d'un suivi parasites au cours des trois dernières années en Hauts-de-France. Selon Luc Barbier, chargé de mission principal au Parc naturel régional des caps et marais d’Opale, le programme développé avec les éleveurs sur le site de la ferme du Zuidbrouck gérée par le PNR, leur a permis d'adapter les traitements. Le site du Zuidbrouck ayant un très gros enjeu pour la préservation de la biodiversité, il est demandé aux éleveurs partenaires de ne pas utiliser d'intrants et de biocides. Chacun y trouve donc un bénéfice : les éleveurs, tout d'abord, qui peuvent faire des économies, et la biodiversité ensuite, qui bénéficie de moins d’utilisation de produits antiparasitaires. Le travail mené par VET’EL permet de rechercher des solutions alternatives qui bénéficient à la biodiversité tout en préservant les troupeaux de certains parasites. Ainsi, tout le monde est gagnant.