Aux sources d’une nouvelle approche de la conservation ?

 
Vu ailleurs

Thierry Lefebvre
Comité français de l’UICN

 

En novembre dernier à Sydney, la communauté de la conservation s'est retrouvée au Congrès mondial des parcs de l'UICN. Plus de 6000 participants de 170 pays qui ont donné le ton pour l'avenir : des aires protégées plus nombreuses, avec une gouvernance plus équitable, qui constituent des solutions efficaces aux défis du développement et des changements globaux.

Salle des pavillons du 6e Congrès mondial des parcs (Parc olympique de Sydney). © Thierry Lefebvre - UICN

La diversité des participants et des problématiques témoigne de la multifonctionnalité des aires protégées autant qu’elle traduit une évolution dans les relations entre les sociétés et la nature. En un sens, ce congrès mondial des parcs constitue une transition entre deux périodes dans l’histoire récente de la conservation. D’une part, l’approche moderne apparue dans les années 1970 avec pour principale préoccupation de renforcer la gestion des aires protégées et d’impliquer les populations locales dans leur gouvernance ; d’autre part, une vision utilitariste émergeant plus récemment, et qui cherche à promouvoir les aires protégées comme des solutions naturelles aux défis du développement et aux changements globaux. Combinant ces paradigmes, le congrès mondial des parcs a délivré trois principaux messages.

La croissance quasi-exponentielle des aires protégées est insuffisante pour enrayer à elle seule le processus continu d’érosion de la biodiversité à l’échelle mondiale. Sydney a permis de constater les progrès considérables accomplis au cours de la dernière décennie dans le développement des aires protégées, en nombre comme en superficie. Au point de parler de succès mondial puisque la base de données des Nations-Unies recense aujourd’hui plus de 177000 aires protégées, qui couvrent 3,4% des océans et 15,4% de la surface terrestre ! Cette dynamique de création s’est prolongée jusque dans les sessions plénières du Congrès, à travers les engagements volontaires, souvent spectaculaires, de plusieurs Etats annonçant la création d’aires protégées. Parallèlement et paradoxalement, les tendances régressives de la biodiversité n’ont jamais fléchi. En cause, notamment, l’aggravation des menaces d’origine anthropique que sont le braconnage, la fragmentation des écosystèmes, la sur-exploitation des ressources naturelles, les pollutions, l’artificialisation des sols, mais également les problèmes de conception et de fonctionnement internes aux systèmes d’aires protégées eux-mêmes. Souvent trop petites, isolées, insuffisamment représentatives, sous-dotées en moyens humains et financiers, les aires protégées ne parviennent pas toujours à atteindre leurs objectifs, loin s’en faut. Le congrès mondial des parcs, qui inscrivait ses réflexions dans le post- Aichi (plan stratégique 2011-2020 de la Convention sur la diversité biologique) a donc appelé à fixer des objectifs plus ambitieux, particulièrement en haute mer. Certains panelistes ont ainsi recommandé de mettre en réserve 30% des habitats marins et le paradigme « la moitié pour la nature » a fait florès dans plusieurs ateliers. Au-delà de cette préoccupation quantitative, les discussions ont porté sur la nécessité d’améliorer l’efficacité de la gestion, de renforcer la connectivité et l’inscription des aires protégées dans les paysages terrestres et marins. En appui à ces propositions, l’UICN a présenté de nouveaux outils de connaissance, parmi lesquels les « zones clefs pour la biodiversité » pour renforcer la représentativité écologique des aires protégées, le « rapport Planète protégée » pour assurer un suivi périodique de la mise en oeuvre de l’objectif n°11 d’Aichi, la « liste verte des aires protégées » pour certifier la qualité de gestion et de gouvernance, le « panorama des solutions inspirantes » pour mutualiser les bonnes pratiques de gestion, les « perspectives du patrimoine mondial » pour évaluer l’état de conservation des sites naturels inscrits par l’Unesco.

Les aires protégées doivent devenir les espaces exemplaires d’une gouvernance équitable de la nature.
Le congrès mondial des parcs a entériné une évolution initiée avec le Sommet de la Terre à Rio, en reconnaissant le rôle des communautés autochtones et locales dans la conservation de la biodiversité, et en appelant à diversifier les systèmes de gouvernance. De tous les paramètres de la conservation, la gouvernance est celui qui présente le plus grand potentiel d’innovation et constitue le principal levier pour poursuivre le développement des aires protégées.

Les aires protégées constituent des solutions naturelles efficaces aux défis du développement et aux changements globaux. Les changements climatiques ont été largement évoqués, à la fois pour anticiper les effets des modifications environnementales dans les plans de gestion, et pour reconnaître les aires protégées comme des outils efficaces, économiques et durables dans les stratégies d’adaptation et d’atténuation. À titre d’exemple, la restauration des écosystèmes à l’échelle mondiale pourrait aider à éviter 0,5 °C de réchauffement. Plus globalement, le congrès mondial des parcs s’est attaché à promouvoir les aires protégées comme des espaces préservant un capital naturel et fournissant des biens et des services écologiques. Cette vision issue des éthiques utilitaristes, qui emprunte ses concepts au champ de l'économie, est susceptible d‘orienter les priorités futures en matière de conservation, en direction des sites qui contribuent le plus directement à la production de ressources alimentaires, à la santé humaine, ainsi qu’à l’atténuation des risques naturels. Les messages issus du congrès mondial des parcs ont été formalisés dans un document appelé la « Promesse de Sydney », qui vise à promouvoir des approches innovantes en faveur de la conservation, et à démontrer que les aires protégées constituent un investissement profitable pour les sociétés humaines. Ce faisant, Sydney a dessiné les contours d’un nouveau pacte social avec la nature, sans pour autant abandonner le paradigme moderne centré sur la gestion, faute d’avoir pleinement accompli ses objectifs. Pour savoir si cette tendance de fond se confirme, rendez-vous en 2024 en Russie, date et lieu prévus du prochain congrès mondial des parcs.