Zones humides méditerranéennes

Suivre les services récréatifs et éducatifs

 

Espaces naturels n°59 - juillet 2017

Vu ailleurs

Laurent Chazee, Fondation Tour du Valat, chazee@tourduvalat.org,
Mélanie Réquier-Desjardins, Institut agronomique méditerranéen de Montpellier,
Wided Khechimi, Institut agronomique méditerranéen de Montpellier

Que cherche le visiteur d'une zone humide ? Pour le gestionnaire, le savoir permet d'adapter sa gestion et d'apporter les bons arguments aux décideurs sur l'impact humain et social de la visite de ces écosystèmes.

Les hamams, lieux traditionnels de bien-être, à proximité d'une zone humide. Ichkeul, Tunisie.

Confort de visite, proximité, intégrité esthétique sont autant de points forts pour les zones humides méditerranéennes auprès du grand public. On s'en doutait, mais un indicateur le dit de façon plus précise et plus argumentée. C'est le projet de l'Observatoire des zones humides méditerranéennes (OZHM) du réseau MedWet (voir encadré) que de suivre les services récréatifs et éducatifs de ces sites. L'indicateur a été lancé en début d'année, mais le travail préliminaire a déjà permis de tirer quelques enseignements.

UNE AIDE À LA DÉCISION ET À L'AMÉNAGEMENT TERRITORIAL

L'objectif de cet indicateur à l'échelle des vingt-sept pays de la Méditerranée est de développer un argumentaire additionnel à celui portant sur l'écologie, qui cible les décideurs et planificateurs impliqués dans le développement et l'aménagement territorial. Cet indicateur doit aussi aider les gestionnaires de sites à adapter leurs services aux visiteurs récréatifs et éducatifs. Concrètement, il vise à mesurer la traduction des valeurs et fonctions biophysiques de ces écosystèmes en avantages pour la société.

Il a été conçu de façon à pouvoir être exploité à différentes échelles géographiques. Il permet au gestionnaire de site de connaître ses forces et ses faiblesses et d'adapter sa stratégie de gestion. Il permet également de faciliter le dialogue territorial. Il peut constituer une véritable aide à la décision en rendant visibles des services souvent sous-estimés.

S'ADAPTER À LA DEMANDE

Les premiers travaux permettent déjà de dégager quelques recommandations aux gestionnaires de site. Tout d'abord, l'étude confirme que c'est bien le capital naturel qui est la voie d'entrée pour les visiteurs récréatifs et éducatifs d'une zone humide. Mais elle montre aussi l'importance de mettre à disposition des visiteurs des structures et services pour encourager la fréquentation, mais aussi pour favoriser une visite plus riche en termes d'acquis.

Pour le grand public, représentant environ 90 % des visiteurs des zones humides, la nature en général, l'esthétique paysagère et le calme font partie de la décision de visite et de la recherche de bien-être. Au Maghreb, si ce concept est surtout recherché comme toile de fond à des activités récréatives et éducatives proposées aux visiteurs, en France, la nature et en particulier la faune sont recherchées pour elles-mêmes. Il est donc important, pour motiver la fréquentation, de maintenir, préserver et améliorer ces éléments clés de décision de visite, considérés comme les valeurs ajoutées de ces sites.

L'intégrité et l'esthétique paysagers dépassent l'échelle territoriale des sites (en particulier les lacs algériens de Mezaia et Reghaia, et le lac marocain Sidi Boughaba). Il est donc utile que le gestionnaire, ou son institution, participe officiellement aux instances décisionnelles de planification et de développement local et national pour en défendre le capital naturel ou seminaturel.

La diversité et la qualité des services et des structures d'accès et d'accueil, ainsi que la sécurité, sont des éléments discriminants qui influent sur le profil des visiteurs. Selon la stratégie d'accueil du gestionnaire et ses capacités de gestion, l'adéquation entre l'offre et la demande des visiteurs est importante à considérer, pour que la zone humide joue pleinement son rôle auprès du grand public. Cela demande à ce que les gestionnaires connaissent mieux leurs publics et leurs attentes, car ce ne sont pas systématiquement des ornithologues ou autres naturalistes passionnés, qui se contentent du minimum !

Quand les structures et services de confort (accueil, toilettes, aire de repos, buvette) manquent ou ne sont pas opérationnelles, l'insatisfaction limite l'intérêt pour le capital naturel et pour les structures et services d'aménagement qui permettent de le valoriser, comme les sentiers, les pontons et les observatoires. Il est donc recommandé, lorsque le grand public fait partie de la stratégie de visite du gestionnaire, d'assurer la disponibilité et la gestion de ces structures et services de confort.

Sidi Boughaba, Tunisie. © Laurent Chazee

DÉFENDRE LE SITE SUR LE TERRITOIRE

L'étude qui a abouti à l'indicateur permet également de dégager quelques arguments forts à porter auprès des décideurs. En premier lieu, ressort l'idée que les sites naturels constituent un capital naturel de proximité : un rayon d'attractivité moyen de 35 km, et une distance optimale inférieure à 25 km. Le capital naturel est un investissement local pour l'avenir du développement durable et du bien-être des territoires communaux et régionaux.

Ensemble, l'eau, l'oiseau et la verdure représentent l'identité paysagère « de la zone humide » attendue. Pour maintenir et développer cette attractivité, facteurs naturels essentiels de visite, il est utile d'intégrer l'étude d'impact paysager dans les décisions d'aménagement et de planification et d'y associer les gestionnaires de site, institutions et universités travaillant sur ce thème. La grande majorité des visiteurs adopte un concept multi-critères de visite, le capital naturel et son accès étant le socle des bénéfices recherchés. L'impact social et humain, y compris en termes de santé et de sensibilisation environnementale, touchent environ 60 % des visiteurs. Ces bénéfices, non visibles, et régulièrement sous-estimés, constituent pourtant une demande grandissante des citoyens, à laquelle devraient répondre des financements publics.

La majorité des centres de visiteurs des zones humides organisent des évènementiels lors des journées mondiales, des calendriers locaux culturels, gastronomiques et autres, qui ne sont pas toujours suffisamment promus et appuyés par le secteur public, en particulier au Maghreb. Les zones humides protégées peuvent être le vecteur de la mise en valeur des territoires et savoir-faire locaux, touchant par exemple à l'environnement, aux produits de terroir, aux circuits courts de distribution, aux pratiques économiques durables, etc.