Albanie

Vraiment efficaces ?  Les plans de gestion des zones protégées

 

Espaces naturels n°35 - juillet 2011

Vu ailleurs

Laurent Chazee
Tour du Valat

 

À Liqenas (Albanie), aucun acteur de la conservation n’a participé à l’élaboration du plan de développement local. Il est illusoire de croire qu’un plan de gestion d’une zone protégée, prenant peu en compte les besoins des populations, puisse peser dans la balance des décisions.

Les jeunes populations quittent leur territoire qui ne leur permet pas de subvenir à leurs besoins. Naguère contrée de subsistance, le Parc national de Prespa (Albanie) comprend environ 20 % de lacs et autres zones humides. Lieu d'élevage, d'agriculture, de pêche, de chasse, mais aussi de braconnage et de coupe illégale de bois, le parc fut créé pour sa sauvegarde en 2001. Découpé en trois types de zones (strictement protégées, gérées, de développement), il a fait l’objet de plusieurs plans : gestion forestière (2000), plan stratégique transfrontalier (2005), plans environnementaux communaux (2007).
Dix ans plus tard, on constate que la notion de bassin de subsistance a disparu et que les populations locales survivent grâce à des revenus extérieurs. Que s’est-il passé ? Est-ce à dire que les plans mis en œuvre se sont révélés inefficaces ?
En réalité, les divers plans successifs ne cherchaient pas directement à créer de dynamisme économique. Aussi, sans développement, même touristique, la main-d’œuvre locale a accentué sa migration vers la Grèce et la Macédoine. Les forces du marché mis en place suite à la chute du communisme ont contribué à renforcer cette tendance.

Ils quittent le territoire. Certes, la pression démographique sur les ressources a diminué mais, avec elle également, le contrôle social exercé contre le braconnage et la coupe de bois illégal. Et il n’est pas certain que cette migration économique des jeunes permette la transmission et la valorisation des atouts culturels que présente la région.
Ce constat interroge alors sur les protocoles de travail suivi par
les acteurs de la conservation. Pourquoi, alors que sur ce même territoire, un plan de développement local était préparé avec les communautés de Liqenas en 2008, aucun acteur de la conservation n’y a contribué ?
Guidé par le Fonds albanais de développement, il intègre les plans forestiers, environnementaux, touristiques et économiques. C’est également par le biais de ce plan que passent toutes les demandes locales et sectorielles de développement.
L’insuffisance de travail commun joue en défaveur de la conservation et de la réelle adoption du concept de zone protégée par les communautés locales. Il est illusoire de croire qu’un plan de gestion d’une zone protégée, prenant peu ou pas en compte les besoins des populations, puisse peser dans la balance des décisions. Ceci d’autant que les bénéfices liés au statut de parc, tels que perçus par la population, sont davantage issus des subventions nationales que de la valorisation des services des écosystèmes.

Au mieux, une annexe. Des situations similaires sont observées dans les autres pays des Balkans et dans les pays nord-africains. Si la désignation en zone protégée a, dans le cas de zones humides, permis de mieux gérer un réseau d’espaces naturels, l’efficacité des plans de gestion reste faible, principalement dans les pays en voie de développement. Pourquoi ?
Il aurait été simple d’incriminer l’insuffisance des ressources humaines ou financières. En réalité, il faut pointer du doigt l’absence de synergie avec les autres systèmes de planification1 qui, au-delà des espaces protégés, concernent, eux, la quasi-totalité des territoires nationaux (planification sectorielle des ministères, planifications communales ou locales, programmes éco-géographiques – désert, plateaux, littoral… –, programmes spéciaux tels les plans de lutte contre la pauvreté, le logement…).
Non-intégré à ces plans issus d’administrations centrales et locales, le plan de gestion d’une zone humide demeure, au mieux, une annexe des grandes décisions de planification et de financement ; au pire, il ne concerne que le ministère en charge des zones protégées et des parcs, à savoir 1 à 3 % du budget national.
Faire le lien entre les plans de gestion des zones humides et l’ensemble des planifications nationales relève d’une pure logique d’efficience. Car, sans une approche de développement socio-économique, l’intérêt des communautés vis-à-vis du plan de gestion de la partie protégée de leur territoire reste faible. On les comprend !

Un artifice. Le découpage territorial des stratégies d’actions est perçu comme un artifice générant conflit et contraintes (accès interdit, prélèvement des ressources limité) sans contrepartie. Et, même si le plan de conservation apporte des bénéfices économiques et sociaux (subventions, redistribution locale des taxes, tourisme, reconnaissance internationale…), les communautés voient d’un meilleur œil les planifications globales dont elles ont le sentiment qu’elles les concernent plus directement : santé, éducation, eau, développement agricole, accès aux crédits… Or, les acteurs de la conservation restent absents des processus de planification sectorielle en dehors des zones protégées, laissant alors le champ libre aux tentatives de développement non durable.

1. Ce manque d'intégration des planifications a d’ailleurs été reconnu par les États en 2010 à Nagoya : ils ont posé l'intégration de la biodiversité dans les plans nationaux et locaux comme étant un résultat prioritaire.