Conservation

Vivent les mauvaises herbes

 

Espaces naturels n°55 - juillet 2016

Gestion patrimoniale

Jocelyne Cambecèdes, 
Fédération des conservatoires botaniques nationaux

Elles font partie de la biodiversité en régression, elles sont favorables aux pollinisateurs, quelle place peut-on donner aux messicoles ?

plantes messicoles

Cultures expérimentales de plantes messicoles pour la production de graines dans le Gers. © J. Garcia/CBN Pyrénées et Midi-Pyrénées

Bannies de leurs habitats que sont les moissons d’hiver sous la pression d’une agriculture plus intensive, les plantes messicoles se sont raréfiées jusqu’à disparaître totalement de certaines régions de France métropolitaine. Alors que les cultures sur sols maigres, vouées à la consommation par le bétail de l'exploitation agricole sont encore des milieux favorables pour elles, à l’autre extrême, les plaines de grande culture ont été désertées par ce groupe de plantes annuelles, noyé dans le vaste ensemble des « mauvaises herbes ». 

À l’inquiétude déjà ancienne des écologues face à la régression des plantes messicoles, s’ajoute maintenant le constat d’une mise en danger des populations de pollinisateurs sauvages et d’abeilles domestiques par la baisse des ressources florales. Les plantes messicoles, si elles ne constituent pas l’essentiel de la diversité floristique des champs et des paysages agricoles, y contribuent néanmoins fortement. Des études récentes (cf. En savoir plus) mettent en évidence l’apport de la communauté des plantes adventices, en particulier du coquelicot, dans la fourniture de pollen pour les abeilles domestiques dans des zones de grandes cultures. D’autres plantes messicoles participent à l’alimentation pollinique des abeilles, telles que l’Adonis goutte-de-sang, le bleuet ou le Miroir de Vénus.

Dans le Gers, des expérimentations menées par la Fédération départementale des chasseurs (FDC), en partenariat avec botanistes et entomologistes, ont mis en évidence l’intérêt de semer, dans les espaces délaissés, des mélanges de plantes messicoles pour favoriser la biodiversité. Comparées à des jachères fleuries horticoles, les bandes de plantes messicoles accueillent un plus grand nombre d’arthropodes, notamment de carabes auxiliaires des cultures. La flore sauvage y est plus diversifiée, et le développement de « mauvaises herbes » envahissantes est limité.

Les démarches visant à restaurer la biodiversité dans les paysages de culture prennent alors tout leur sens. Mais dans ces espaces, les projets doivent être acceptables et acceptés par les agriculteurs, premiers concernés. Ceux-ci demandent à être soutenus par une animation au plus près des acteurs du terrain, et au carrefour des préoccupations de tous les usagers de ces espaces. Alors, quelle place peut-on aujourd’hui réserver aux plantes messicoles lorsque les modes de culture ne sont pas favorables à l’accueil de la biodiversité dans les champs cultivés ?

Des jachères ou des bandes d’inter-cultures peuvent être propices. Les risques de dissémination des graines vers les parcelles seront aisément contrôlés par les pratiques de l’agriculture conventionnelle. Les jachères et les bordures de champs font partie des surfaces d’intérêt écologique (SIE) rendues obligatoires sur 5 % de la surface de terres arables par la Politique agricole commune, pour favoriser la biodiversité fonctionnelle sur l’exploitation agricole. Mais attention, les plantes messicoles ne font pas partie des couverts autorisés par le ministère de l’Agriculture ! Il est donc nécessaire que le projet soit porté par un animateur de territoire qui sollicitera une dérogation auprès de la Direction départementale des territoires (DDT). Dans le PNR du Vexin français, des jachères biodiversité en faveur des pollinisateurs ont été mises en place de cette façon.

Opération expérimentale, elle n’a pu couvrir que 12 ha, et fait l’objet de contrats annuels avec les agriculteurs. Dans l’Eure, le Département soutient par convention la mise en place de jachères apicoles et de jachères environnement faune sauvage (JEFS) en fournissant des graines locales à la FDC et au Syndicat d’apiculture qui conviennent en échange de promouvoir leur utilisation.

Mais mettre en culture le sauvage n’est pas si simple ! Le Conservatoire d’espaces naturels de l’Eure, soutenu par le département, expérimente, sur quatorze sites, différentes techniques de préparation du sol et de semis. Des parcs naturels régionaux (Caps et Marais d’Opale, Haut-Languedoc) ou des espaces naturels sensibles (causse de Gramat dans le Lot, combe de Vaux en Isère), sont des sites privilégiés pour faire des essais de semis de plantes messicoles à partir de graines récoltées sur le territoire, avec l’appui des conservatoires botaniques nationaux (CBN). C’est aussi une action du Conservatoire du littoral, propriétaire du domaine de Guidou en Haute-Savoie, où les plantes messicoles constituent le fleuron du patrimoine végétal du site. Tous partagent l’objectif d’apporter les meilleures préconisations lors de semis et culture.

Ailleurs, des friches péri-urbaines temporaires pourront accueillir ces couverts éphémères sur de vastes parcelles, en mélange ou non avec des céréales. En Midi-Pyrénées, l’expérience des villes de Gaillac dans le Tarn et de Saint-Orens en Haute-Garonne montrent tout l’intérêt d’accompagner ces opérations par des animations locales et une sensibilisation visant à les expliquer aux usagers. Pour des habitants plus familiers des espaces verts ordonnés, le foisonnement de la biodiversité soudain placée à leur porte peut être déroutant. C’est ce type de démarche globale qu’a choisi récemment la commune de Forcalquier (PNR du Luberon) pour fleurir ses rondspoints. Le PNR propose par ailleurs aux communes de son territoire, dans le cadre du plan Ecophyto, d’utiliser des plantes messicoles dans les espaces verts : mieux adaptées aux sols et aux conditions climatiques, elles demanderont moins de traitements phytosanitaires… et moins d’arrosage.

Pour semer, il faut disposer de graines locales. Les CBN accompagnent pour cela de nombreuses démarches. Le label « Vraies messicoles » (voir ci-contre) a pour objectif de favoriser l’émergence de filières de production de graines d’origine locale, développées parfois dans le cadre de plans d’actions en faveur des plantes messicoles : en Provence-Alpes- Côte-d’Azur, dans le département de l’Eure, en Midi-Pyrénées.

Préserver la ressource dans les champs permettra de garantir l’approvisionnement de ces filières. Des nombreuses initiatives en ce sens ont vu le jour ces dernières années, pour mieux comprendre les pratiques agricoles favorables et les promouvoir. Signalons l’action du PNR des Pyrénées catalanes qui a instauré, en 2014, un concours moissons fleuries destiné à valoriser les agriculteurs ayant des pratiques compatibles avec le maintien de la diversité floristique dans leurs champs.