Colombie

« Vue de France, l’étude entomologique semblait plus simple à mettre en œuvre »

 

Espaces naturels n°29 - janvier 2010

Vu ailleurs

Thierry Noblecourt
ONF

 

Responsable du Pôle national d’entomologie forestière de l’ONF, l’auteur a mené plusieurs études entomologiques en Colombie. Non sans humour, il narre le décalage entre l’étude vue de France et sa mise en œuvre sur le terrain colombien.

2007. Ainsi, je suis chargé de mener une étude entomologique en Colombie. Finalité ? Compter des coléoptères afin d’évaluer les retombées du programme de reforestation commercial du point de vue de la biodiversité. Responsable du pôle national d’entomologie forestière de l’ONF, je prépare donc, depuis la France, le protocole de travail avant de me rendre sur place. Maikov Dumas m’aide dans cette tâche. Volontaire international en entreprise, il réside en Colombie et, via internet, m’envoie photos et informations nécessaires pour cerner l’environnement. Les choses se présentent bien et c’est « classiquement » que je bâtis mon protocole d’échantillonnage par pièges Malaise et pièges chromo-attractifs jaunes ; seules techniques permettant des récoltes espacées (15 jours) et une polyvalence, aussi bien en milieu boisé qu’en milieu de pâturage. Puisque dans l’avion le poids des bagages en soute est limité à 20 kg par personne, le maximum de matériel sera acheté sur place. Seuls les pièges Malaise seront spécialement commandés à Bogota. J’emmène aussi deux loupes binoculaires dans mes bagages.

Arrivée en Colombie. Les choses se compliquent un peu dès l’arrivée à Barranquilla. J’explique aux forestiers colombiens qu’il me faut 30 litres d’éthanol à 95°, 30 kg de sel, 250 mètres de corde nylon, 50 sacs plastiques à fermeture étanche style sacs à congélation et surtout 25 récipients en plastique de couleur jaune-orangé et d’une contenance de 3 à 5 litres, lesquels serviront de pièges chromo-attractifs.
Le malaise est palpable, il est doublé d’un certain scepticisme. Mes hôtes me conduisent néanmoins vers un petit bazar, dans lequel nous ne trouvons rien. Idem dans un deuxième magasin. Dans le troisième, nous réunissons difficilement deux petites bouteilles de 0,25 litre d’alcool à 70° et 2 kg de sel… Je réalise alors : la partie n’est pas gagnée !
Effectivement, il nous faudra deux jours et demi pour rassembler, objet par objet, le matériel nécessaire avant de partir en 4 x 4 vers la ferme de la Gloria (à quelques heures de piste de Plato).
Là, je fais la connaissance du propriétaire et des éleveurs. Avec pour handicap la barrière de la langue, je tente malgré tout d’expliquer les objectifs et le bien-fondé de l’étude. Dialogue de sourds ! Pour les employés de la ferme, ces plantations sont une source de revenus complémentaires permettant, par exemple, d’envoyer leurs enfants à l’école. Alors, l’impact des plantations sur les insectes… !
Quant au propriétaire, sa seule préoccupation est d’essayer d’obtenir des conseils pour éliminer tous ces nuisibles qui mangent les feuilles de ses arbres ou font des trous dans les branches. Je lui parle « équilibre prédateurs-ravageurs », il répond « efficacité des insecticides ». Insoluble !

Action. S’il faut plusieurs jours pour installer les différents pièges, quelques heures suffiront pour découvrir « l’averse tropicale du début d’après-midi ».
Les pièges chromo-attractifs sont des récipients remplis d’eau saturée en sel, lequel joue le rôle de conservateur. Un peu de détergent vise à rendre l’eau plus mouillante pour capturer les insectes attirés par la couleur jaune-orangée du piège. « Normalement » la solution permet de conserver les insectes entre deux récoltes espacées de deux semaines. Or, là, les récipients débordent dès le premier orage et la solution est totalement diluée (et dire que je craignais l’évaporation dûe à la chaleur !). Changement de cap. Nous convenons d’abandonner cette technique pour ne conserver que les pièges Malaise dont nous devons tout de même renforcer le haubanage car les averses sont souvent accompagnées de « petits » coups de vent.

Panique. La solution est trouvée mais le temps a passé. Il est 16h et le 4x4 s’est enlisé. Un petit ennui mineur qui, en d’autres temps, ferait presque partie du folklore mais il prend ici des allures inquiétantes. La nuit tombe à 18h15, au-delà il n’est plus autorisé de circuler du fait de la présence de la guérilla des Farc (Forces armées révolutionnaires colombiennes). Ça sent le problème !
Il fait noir depuis plus d’une demi-heure, quand nous remettons le véhicule en piste vers notre camp de base. Au détour d’un virage, panique… nous tombons sur un barrage ! Après la sueur froide, nous réalisons qu’il s’agit de l’armée régulière. Nous sommes simplement sommés de dormir chez l’habitant dans un village tout proche.

Les jours passent… Nous avons commencé les identifications des échantillons à l’aide des deux binoculaires apportées de France. Mais, si j’ai bien pensé à acheter des adaptateurs pour les prises de courant différentes des nôtres, je n’ai pas imaginé que le pays est encore en 110 volts. Du coup, l’éclairage incorporé n’est d’aucune utilité et nous devons improviser avec les lampes frontales jusqu’à épuisement des piles.

Bilan. Quatre missions successives dans la Plaine des Caraïbes m’amèneront bien sûr à corriger ces « ratés » du départ. Je n’ai qu’un seul regret : malgré les demandes officielles, il n’a pas été possible d’apporter en France ne serait-ce qu’une partie des insectes récoltés. Les chercheurs, pourtant, auraient pu se pencher sur les nombreuses espèces nouvelles.