le vératre

L’ambiguïté d’une « mauvaise herbe »

 
Études - Recherches

Thomas Spiegelberger
Cabi Bioscience Switzerland - Cemagref de Grenoble

 

Faut-il lutter contre le vératre ? Bien que catalogué « mauvaise herbe », l’impact du vératre sur la biodiversité diffère grandement selon la situation. En milieu montagnard par exemple, le type de pâturage a une incidence déterminante. Ainsi, la présence de vératre n’a pas de répercussion sur la richesse floristique quand la gestion s’opère en mode traditionnel. À l’inverse, en gestion intensive, l’espèce semble même protéger la biodiversité.

Plante toxique, les agriculteurs tentaient autrefois d’éliminer le vératre. En effet, cette espèce cataloguée « mauvaise herbe » peut vite devenir dominante, notamment lors du changement de pratiques agricoles. Il en est ainsi quand un pâturage montagnard est abandonné ou quand un pâturage est brouté plus intensivement. Dans le premier cas, des plantes plus compétitives, notamment des arbustes, remplacent la végétation herbacée ; dans le second, les plantes fourragères sont progressivement remplacées par des plantes moins appétantes pour le bétail. Quoi qu’il en soit, le vératre peut se développer rapidement.
Mais quel est l’impact
du vératre ?
Une étude effectuée entre 2003 et 2004 s’est intéressée aux impacts des changements agricoles sur la biodiversité en zone de montagne. Elle a porté sur le rôle du vératre. Menée sur quinze sites dans cinq régions des Alpes suisses et françaises, notamment dans le Parc naturel régional des Bauges, la recherche traite de la corrélation entre l’abondance du vératre et la richesse floristique sur plusieurs échelles spatiales. L’observation a été conduite sur trois contextes de gestion : pâturage traditionnel non fertilisé, pâturage abandonné, pâturage intensif avec apport d’engrais-purin.
Les premières conclusions de l’étude, menée à une échelle spatiale de 1 000 m2, mettent en évidence un lien entre le type de gestion et la richesse floristique. À cette échelle en effet, on observe que la végétation est plus riche en espèces quand la gestion est assurée en pâturage traditionnel. L’hypothèse avancée (et qui donnera lieu à la suite de l’étude avec changement d’échelle) est que le nombre de micro-habitats est plus élevé quand l’exploitation est assurée en pâturage traditionnel que dans les deux autres types de gestion.
Mais l’étude cherchait également à établir une corrélation entre l’abondance du vératre et la pauvreté floristique. Or, à l’échelle de 1 000 m2, cela ne s’est pas révélé possible. Au contraire, certains pâturages riches en espèces étaient parfois fortement recouverts par le vératre.
Afin d’affiner l’étude et d’obtenir réponse à une échelle plus fine, l’observation a alors porté sur cent cinquante placettes de 1 m2 (cinquante pour chaque mode d’exploitation). À cette échelle en effet, la concurrence entre espèces (notamment la compétition pour la lumière et les nutriments) est plus déterminante.
Sur chacune des placettes, le nombre d’espèces végétales a été comptabilisé, de même que le pourcentage de recouvrement par le vératre.
Pour mettre en lumière la corrélation entre les deux variables, un calcul statistique a donné lieu à l’établissement d’une droite de corrélation. Il s’agit d’un modèle mathématique qui établit la relation entre deux ou plusieurs variables.
Les résultats (qui apparaissent sur le schéma p. 25) se sont révélés troublants puisque variables en fonction des situations :
- en pâturages traditionnels, la richesse floristique n’est pas liée au recouvrement par le vératre (on voit sur le schéma qu’il n’a pas été possible d’établir de droite de corrélation) ;
- en pâturages abandonnés, la richesse floristique est liée au recouvrement par le vératre. Autrement dit : une forte présence du vératre s’accompagne d’une faible richesse floristique ;
- mais, à l’inverse, en pâturages intensifs, la richesse floristique est positivement liée à la présence du vératre.
Les observations pourraient s’expliquer par le fait que le vératre protège des plantes moins tolérantes au broutage et au piétinement intensif. Il est d’ailleurs possible que d’autres plantes, qui ressemblent au vératre par leur système racinaire ou défensif tel le cirse laineux ou la gentiane jaune (également étiquetée « mauvaise herbe »), aient un effet similaire sur la richesse floristique : une hypothèse qui reste encore à démontrer.
Que faut-il retenir ?
Que la gestion traditionnelle d’un pâturage est le meilleur garant de la biodiversité : on y trouve la richesse floristique la plus élevée et le vératre n’a pas d’influence.
Que sur des pâturages intensifs, la biodiversité peut être augmentée ou du moins maintenue, en laissant quelques îlots de vératre ou d’autres plantes non-appétantes. Celles-ci servent de protection pour des plantes qui ne peuvent guère survivre quand la pression du bétail est importante. Notons qu’en pareil cas, la dénomination du vératre comme plante indésirable ne peut être liée qu’à sa valeur nutritionnelle et qu’elle n’est pas écologiquement adaptée.
Ambigu le vératre ? Oui. D’autant qu’il ne faut pas occulter que sa forte présence diminue la valeur économique d’un pâturage. Elle risque alors de causer son abandon progressif et, par suite, une perte de biodiversité.