Dispositifs participatifs

Apprendre en faisant

 

Espaces naturels n°60 - octobre 2017

Pédagogie - Animation

Laura Seguin, post-doctorante Irstea Montpellier, laura.seguin@irstea.fr

Il n'y a pas que dans le cadre éducatif qu'on apprend. La participation à des dispositifs collaboratifs ou des mouvements citoyens permet, par ricochet, d'en apprendre beaucoup.

Mobilisation contre le gaz de schiste en Ardèche.

Mobilisation contre le gaz de schiste en Ardèche. © Olivier Sébart

Il existe de nombreux moments où les citoyens se réapproprient l'activité politique au sein de leur territoire et acquièrent, dans le même temps, de nouveaux savoirs ou de nouvelles compétences. Mobilisés pour contester un projet d’aménagement ou d’exploitation de ressources naturelles, ou bien invités à une procédure participative comme une consultation d'usagers (voir ci-dessous), ils entrent alors en situation d’enquête, au cours de laquelle ils compilent des informations, construisent un savoir sur un enjeu, débattent, entrent en conflit, argumentent, tentent de s’accorder... Mais ils ne sont pas les seuls à apprendre : c’est également le cas des élus et des professionnels des politiques concernées, ainsi que des acteurs associatifs engagés dans ces expériences participatives. C’est ce qui ressort d’une recherche sur la participation entendue au sens large (décrite ci-contre).

CONTEXTE DE LA RECHERCHE

Une thèse menée à l’université de Tours compare deux expériences participatives très différentes. La première est une conférence de citoyens sur l’enjeu particulièrement conflictuel de la gestion de l’eau en Poitou-Charentes. Le conflit oppose les tenants d’une agriculture intensive basée sur l’irrigation (principalement la maïsiculture)à d’autres usagers dépendants de la ressource et aux défenseurs de pratiques agricoles plus respectueuses de l’environnement. En 2011, l’Établissement public territorial du bassin (EPTB) de la Charente et l’Institut de formation et de recherche en éducation à l’environnement (Ifrée) expérimentent ce format original de participation reposant sur le tirage au sort des participants, leur formation préalable et la délibération collective.

La deuxième expérience étudiée est celle de la mobilisation contre le gaz de schiste en Ardèche, au sein d’un collectif mobilisé depuis 2011, ayant également initié un important débat local sur les alternatives énergétiques. Il regroupe des élus, associations, syndicats et partis politiques, mais aussi des habitants initialement non organisés ni politisés, pour qui cette mobilisation est parfois une première expérience d’engagement. On y trouve également des acteurs de l’éducation populaire, jouant un rôle d’animation du mouvement. À travers ces deux expériences, l’objectif est de répondre à une même question : qu’apprennent ces différents acteurs en participant ? Pour cela, les méthodes de l’enquête ethnographique ont été mobilisées, conjuguant observation participante et entretiens répétés dans le temps.

FAIRE ET PENSER ENSEMBLE

Au cours de ces expériences, les élus et professionnels de la gestion de l’environnement (ingénieurs, techniciens, animateurs) sont engagés dans des formats originaux de participation. Ils sont amenés à repérer les limites d’outils plus classiques tels que la consultation par questionnaires. Ils prennent conscience de l’importance des cadres, outils, méthodes d’animation de débat, ce qui peut ensuite les conduire à revisiter leurs pratiques. Pour les professionnels et experts des politiques concernées, ces moments sont l’occasion de se confronter à d’autres types de savoirs, remettant parfois profondément en question leurs habitudes de communication et d’information auprès des citoyens, inadaptées aux questions que ces derniers se posent réellement.

C’est par exemple ce dont témoigne un technicien de l’EPTB Charente engagé dans la mise en oeuvre de la conférence de citoyens : « Moi ça m’a aidé aussi dans ma vie privée, à mieux écouter les gens de mon entourage, la manière dont ils voient les choses ». Il est possible de tirer de ce constat de riches enseignements dans la conduite des projets d’aménagement ou dans la gestion des espaces naturels, où la participation du public est encore trop souvent pensée comme un outil de « pédagogie » à sens unique : vers les citoyens. Les dispositifs de participation et les situations de conflit sont en réalité également des moments d’apprentissage pour les acteurs publics, pouvant jouer un rôle crucial dans les changements de pratiques et de représentations.

ANIMER UN DÉBAT

Les acteurs associatifs et les militants politiques tirent également de riches enseignements de ces expériences. Dans les deux cas, ils voient leur posture reconfigurée en passant d'une posture de leader à celle plus neutre d'animateur de débat, malgré leurs engagements spécifiques sur les enjeux débattus. Afin de faciliter l’implication de tous, y compris les moins politisés initialement, ils apprennent à se faire davantage « tiers médiateurs », « passeurs » ou « facilitateurs » de débat.

Certains acteurs parmi les plus politisés acquièrent des compétences et attitudes coopératives qui contrastent fortement avec les attitudes d'opposition traditionnellement propres au militantisme. C’est un apprentissage particulièrement visible chez les mobilisés ardéchois, pour qui cette expérience a pu avoir un effet « pacificateur », comme l’évoque par exemple Clément, militant écologiste : « Je me trouvais un peu emporté, nerveux, et c’est vrai qu’il a fallu faire des efforts parfois pour prendre sur soi, et donc forcément on acquiert plus de maturité, de diplomatie ».

APPRENTISSAGES ET POURSUITES DE L’ENGAGEMENT

Les citoyens initialement non - ou faiblement - politisés connaissent deux types d’apprentissage à travers ces expériences participatives. Tout d’abord des apprentissages cognitifs, en s’appropriant divers types de savoirs liés aux enjeux environnementaux : des savoirs scientifiques et techniques (sur l’eau, l’énergie), des connaissances sur les enjeux sociaux, économiques, politiques en lien avec leur territoire (acteurs, conflits d’usage, modes de gouvernance locale), et juridiques sur le cadre réglementaire de leur action. Ensuite, l’engagement est source d’apprentissages politiques : savoir-faire, capacités ou aptitudes à l'écoute active, à la participation à un débat public. Il s’agit de la maîtrise de codes et de pratiques peu habituels pour la plupart des citoyens : savoir parler en public, monter en généralité, argumenter, animer une discussion (parfois conflictuelle), délibérer collectivement, élaborer des propositions, etc. L’enquête montre que cette acquisition peut mener certains à donner suite à ces expériences par d’autres engagements, au sein d’associations ou de partis, mais aussi dans la vie politique locale.

Si la dimension pédagogique est particulièrement importante dans ces expériences, c’est qu’elles sont toutes deux accompagnées par des acteurs de l’éducation à l’environnement et de l’éducation populaire. En mobilisant des outils et techniques pédagogiques (jeu de rôle, débat mouvant, théâtre forum, etc.), ils facilitent les apprentissages collectifs et en font des espaces où se renouvellent les manières de débattre des questions environnementales.