Milieux

Intérêts de la fauche exportatrice

 

Espaces naturels n°60 - octobre 2017

Le Dossier

Marie-Mélaine Berthelot

Pourquoi et comment exporter les produits issus des actions de gestion ou de restauration ? La phytosociologue Françoise Duhamel plaide pour l'export dans bien des cas, mais invite à réfléchir au cas par cas.

Frantz Veillé technicien forestier Littoral Flandre Artois, ONF : « Avec le Conservatoire botanique, je travaille depuis quinze ans à ces questions de fauchage sur les prairies humides. Mon conseil, c'est de voir ces travaux comme évolutifs. Pendant deux ou trois ans, on utilise des engins mécaniques type ensileuse (ci-dessus Tarr-up) pour restaurer la structure herbacée prairiale. Mais ce n'est qu'une étape. Nous passons par la suite avec une barre de coupe pour valoriser les produits en foin et prendre en

Frantz Veillé technicien forestier Littoral Flandre Artois, ONF : « Avec le Conservatoire botanique, je travaille depuis quinze ans à ces questions de fauchage sur les prairies humides. Mon conseil, c'est de voir ces travaux comme évolutifs. Pendant deux ou trois ans, on utilise des engins mécaniques type ensileuse (ci-dessus Tarr-up) pour restaurer la structure herbacée prairiale. Mais ce n'est qu'une étape. Nous passons par la suite avec une barre de coupe pour valoriser les produits en foin et prendre en considération les enjeux faune (entomofaune, batracofaune…) ».

POURQUOI FAUCHER ?

La fauche est un outil de restauration ou de gestion à privilégier pour de nombreux milieux dont la pauvreté des sols conditionne la diversité et la richesse des communautés et des espèces végétales. Elle peut être utilisée seule, ou en complément d’autres actions (débroussaillage, étrépage ou pâturage extensif par exemple), selon la nature ou l’état de ces milieux.

Le principal objectif de cette fauche est donc de maintenir ou de retrouver la pauvreté naturelle de certains types de milieux tels que les pelouses dunaires, les pelouses acidiphiles, les prairies naturelles, les pelouses et les prairies maigres hygrophiles des bas-marais et tourbières, certains ourlets préforestiers, etc. C’est aussi, par définition, le moyen de gestion ancestral permettant la conservation des prairies de fauche « traditionnelles », très fleuries. Les végétations et les espèces qui sont associées à ces milieux pauvres, que l’on qualifie d’oligotrophiles ou de mésotrophiles, sont souvent en plus ou moins grande régression suivant les régions. Elles font de ce fait l'objet de diverses mesures de protection (espèces protégées, habitats inscrits à la directive européenne Habitats-Faune-Flore).

Pour servir ces mesures, et compenser les équilibres perdus du fait de la déprise agricole ou de l’évolution naturelle de certains milieux (dynamique forestière accentuée avec la disparition des populations de lapins notamment), des actions d'entretien, voire de restauration, sont nécessaires. « Exporter la matière fauchée est important car l'objectif est vraiment d'amaigrir les sols de manière significative et pérenne » , explique Françoise Duhamel, du Conservatoire botanique national de Bailleul. « Laisser la matière organique sur place, c'est favoriser l’enrichissement des sols, et donc, avec le temps, ne plus permettre que la nature particulière de certains sols s'exprime (par exemple sol sableux, sol argileux ou sol tourbeux,
qu’il soit acide ou au contraire riche en bases). Or, de nombreuses espèces et végétations, parfois en grand déclin, sont caractéristiques de chacun de ces biotopes alors que, par évolution vers des milieux aux sols enrichis en substances nutritives, ces espèces et végétations peu compétitives et peu exigentes vont disparaître au profit d’espèces et de communautés végétales beaucoup plus communes, dites eutrophiles, car elles recherchent des sols riches amendés (notion de convergence trophique). On aboutit donc à une uniformisation des habitats et de leurs composantes floristiques et phytosociologiques. »

La fauche exportatrice permet aussi de lutter contre l’enrichissement des milieux en azote, en lien avec la pollution atmosphérique, particulièrement marquée dans les pays du nord de l’Europe (Pays-Bas, sud de la Grande-Bretagne, Belgique, etc.), et dans le nord de la France en particulier. Pas de généralisation toutefois, il existe des cas où laisser la matière sur place pose moins de problèmes, car la minéralisation est ralentie ou bloquée par les conditions écologiques stationnelles : par exemple, dans une zone humide inondée régulièrement pendant cinq ou six mois, voire plus, on peut même dire que cela participe à la formation de matière organique, voire de tourbe, donc à une évolution des sols qui sera favorable aux espèces et aux communautés plus frugales que l’on veut conserver.

METTRE EN OEUVRE AU CAS PAR CAS

Françoise Duhamel insiste sur le rôle stratégique du gestionnaire. Il est important de bien prendre conscience des différents enjeux écologiques et biologiques du site, et de son contexte, pour faire les choix adaptés aux objectifs de conservation ou de restauration : fauche exportatrice, pâturage extensif, ou association des deux, notamment lorsqu’il y a de nombreux refus, des zones sous pâturées, ou encore développement de certaines espèces indésirables. « C’est la façon dont le pâturage est mené qui sera décisive (charges, périodes et type de cheptel utilisé), ceci au regard de l’état et de la sensibilité de la végétation. » Il convient donc, pour suivre les conseils de la phytosociologue, de se poser les bonnes questions : quel est le type de végétation à privilégier ? S'agit-il de conserver cet habitat ou de le restaurer ? Est-ce transitoire ou est-ce une modalité principale de gestion ?

S'il s'agit d’une fauche agricole pour l'alimentation animale, ou au contraire d’un fauchage pour le paillage ou d'autres usages, d'autres paramètres doivent être pris en compte (qualité du foin notamment).

Les enjeux patrimoniaux méritent d'être étudiés à différentes échelles géographiques (niveau européen, niveau national, niveau régional). « Par exemple, en système alluvial, les prairies de fauche d'intérêt communautaire ou rares au niveau national sont trop souvent négligées ou considérées de manière secondaire, par prédominance de la prise en compte des enjeux avifaunes. De même, de mon point de vue, certains travaux (reprofilage de berges, creusement de mares ou de plans d'eau en particulier) ont parfois été faits sans prise en compte de l’originalité des végétations en place ou de la présence d’espèces végétales menacées ou protégées. Mais les choses évoluent, et le partenariat entre des structures comme les conservatoires botaniques nationaux et de nombreux gestionnaires d’espaces naturels ou ruraux permet aujourd’hui une approche plus globale et partagée des enjeux de conservation ».

La période et la fréquence des travaux sont aussi à penser au cas par cas. Pour la conservation ou la restauration des prairies de fauche traditionnelles très fleuries, les fauches doivent s’échelonner de mi-mai à mi-juillet selon la région et le type de milieu (du Pays basque à la frontière belge pour les prairies atlantiques par exemple).

Enfin, Françoise Duhamel encourage au partage d'expériences et à l'expérimentation.

« Le cycle de vie des espèces végétales découle d'une adaptation à des pratiques de gestion ancestrales. Ainsi, pour une même espèce, la floraison sera beaucoup plus précoce en prairie de fauche qu'en layon forestier et cette pratique ne lui nuit pas. » Les échanges entre les experts des réseaux de gestionnaires et les spécialistes de la végétation ou de divers groupes faunistiques sont importants pour partager les résultats et orienter certaines recherches appliquées. « Il y a des exemples de résultats exceptionnels sur différents sites littoraux appartenant au réseau Natura 2000, et à enjeux majeurs de niveau européen. Mais ce n’est pas le cas partout et des efforts restent à faire ou des solutions à trouver sur les sites à enjeux multiples.»