Zones humides

Faire avec les peupleraies

 

Espaces naturels n°60 - octobre 2017

Gestion patrimoniale

Marie-Mélaine Berthelot

Comment faire au mieux quand une culture de peupliers est en place et que sa conversion n'est pas envisageable pour des raisons socio-économiques, ou qu'elle n'est pas pertinente pour des raisons écologiques ? Dans le Vexin français et en Scarpe-Escaut, des expériences de gestion écologique ont été menées.

Débardage à cheval dans le marais de Frocourt en vallée de l'Epte (évacuation des broussailles).

L'arrachage des peupliers est souvent nécessaire pour restaurer des zones humides. On peut citer la vallée de la Loire, qui, comme d'autres, ne peut concilier plantations et intérêts de la biodiversité. Dans les basses vallées angevines, un programme Life pour la restauration du Râle des genêts (lire Espaces naturels n° 51, p. 51) a nécessité le déssouchage de la peupleraie. Une pratique légitimée par la loi Biodiversité de 20061.

Mais certains professionnels des espaces naturels peuvent, à l'analyse des enjeux de leur territoire, considérer qu'il est possible de s’accommoder de ces plantations, à certaines conditions de gestion. En effet, il peut parfois être intéressant de favoriser le développement durable sur un territoire par le biais de cette culture locale, en assurant un revenu complémentaire aux petits propriétaires forestiers. Sur le plan environnemental, le peuplier peut aussi contribuer à certaines liaisons écologiques. Toutefois, l’installation et le maintien des peupleraies, comme l’installation de tout boisement, doivent être réfléchis afin de ne pas mettre en péril les écosystèmes.

PRENDRE EN COMPTE LES INTÉRÊTS DES PROPRIÉTAIRES

Que ce soit dans le Vexin français ou dans la région Hauts-de-France, les peupleraies sont apparues dans un contexte de déprise agricole. La populiculture a pris une ampleur considérable dans les fonds de vallée, en parallèle de l’abandon progressif des pratiques d’élevage qui occupaient autrefois les prairies humides. La reconquête de ces espaces par l'arrachage n'est pas acceptée par les propriétaires dans ce contexte socio-économique. Même si la « mode » de la populiculture semble se tasser, ses inconvénients sont toujours bien présents :
assoiffé en périodes de végétation (printemps, été), le peuplier pompe à ce moment les réserves en eau du milieu humide, qui perd son rôle de réservoir,
ne supportant pas de conserver les pieds dans l’eau trop abondante en périodes de repos (automne, hiver), les arbres plantés nécessitent un système de drainage. Enlevant à la zone humide son rôle fonctionnel, le drainage modifie la structure des sols (les tourbes, par exemple, se minéralisent irrémédiablement).

La première des recommandations est donc d’éviter de planter des peupliers dans les zones tourbeuses et riches en biodiversité.

JOUER SUR LA DENSITÉ

Le système cultural traditionnel (rotation des coupes rases tous les vingt cinq à trente ans) provoque une modification considérable des structures paysagères d’un territoire. Ainsi, il serait souhaitable d’inciter les propriétaires privés à réaliser des plantations de peupliers à grand écartement, ce qui consiste à planter des peupliers à intervalle de seize mètres, mais également des feuillus précieux (chênes, aulnes glutineux, érable sycomore, etc.) entre les lignes de peupliers afin d’obtenir un état boisé diversifié et d'éviter les coupes rases à chaque exploitation des peupliers. Ce type de gestion peut être appliqué sur deux ou trois générations de peupliers. Le but est de tendre à long terme sur une conversion totale de la peupleraie en feuillus diversifiés.

Ces actions sur le maintien des structures paysagères peuvent être renforcées également par l’installation de lisières étagées en feuillus diversifiés, maintenues à chaque exploitation. La création de clairières est aussi une option intéressante si la superficie le permet. De même, sur une grande superficie, une diversification des classes d’âge par parcelles avec un système de rotation favorisera des hauteurs de strates herbacées différentes.

Certaines espèces d’oiseaux comme le Loriot d’Europe ou certains pics peuvent trouver, dans ces plantations, des milieux de substitution à leur habitat naturel de forêt alluviale quand celui-ci a disparu.

VARIER LES ESSENCES

Le Peuplier tremble (Populus tremula) est le seul peuplier « spontané » des régions de plaine du bassin parisien, mais il n’est jamais utilisé par les sylviculteurs, qui favorisent des essences exotiques hybrides (pour des raisons de productivité), exigeantes en eau et nécessitant plus d’entretien que le peuplier local. Les aléas climatiques doivent conduire à choisir des essences capables de supporter des événements météorologiques violents. Par ailleurs, diversifier les essences plantées réduit le risque de propagation de maladies parasitaires.

On peut recommander de s'assurer de la présence d’au moins deux essences au sein d’une même plantation, dès lors que sa superficie est supérieure à 3 ha. L’aulne, essence la plus propice pour un niveau d’eau restant élevé, peut être une bonne alternative2. Pour chaque station pédoclimatique, il est primordial de choisir la bonne variété, en prenant en compte la valorisation économique possible.

QUELQUES PRÉCAUTIONS...

L’absence d’utilisation d’engrais et de produits chimiques permet d’éviter l’envahissement d’espèces nitrophiles comme l’ortie ou le Gaillet gratteron. De même, l’évacuation des rémanents est bénéfique car elle évite l’étouffement de la strate herbacée et l’enrichissement du sol favorable aux nitrophiles.
La période de réalisation et les modalités des travaux d’entretien (ou de coupe) : d’une manière générale, les interventions sont à éviter entre mi-mars et fin août pour respecter les périodes de floraison et de nidification, et doivent se situer plutôt en période sèche (fin d’été) pour éviter trop de tassement et de déstructuration des sols si des engins mécaniques interviennent.

Sur ces milieux sensibles, le débardage des fûts ou des branches peut être réalisé en utilisant le cheval. La gestion par broyage de la strate herbacée ne doit pas être pratiquée trop près du sol. Certains espaces sous peupleraies peuvent aussi être pâturés en extensif, ce qui peut amener une diversification de la composition végétale.
Ne pas planter à moins de six mètres des cours d’eau, afin d’éviter tout risque de chablis et d’embâcles pouvant provoquer la dégradation des berges. Cette recommandation est d'autant plus valable en région à castor, les plantations proches des berges étant fragilisées lors des crues.
Afin de préserver au mieux la biodiversité, il est préférable de laisser évoluer le sous-étage sauf dans les milieux ouverts particuliers qui seraient à préserver.
Dans un milieu à enjeu écologique, une gestion particulière peut être appliquée par le biais d’une contractualisation, pour favoriser la présence d’espèces patrimoniales (maintien d’une mégaphorbiaie, des bois morts, etc.).
Si la peupleraie se trouve en zone Natura 2000, des préconisations de gestion sont indiquées au travers des documents d’objectifs et peuvent faire l’objet de contractualisations.

Ainsi, si certaines espèces protégées sont présentes avant la coupe de la peupleraie mature, des mesures de préservations peuvent être mises en place.

(1) La loi Biodiversité de 2016 modifie l'art. 167 du code forestier. Il consiste, entre autres, à supprimer la nécessité de compensation écologique lors du défrichement de peuplier, quand il est fait pour la restauration de la biodiversité.
(2) Paludiculture.unigreifswald.de