TIC : une écoresponsabilité à trouver
Le numérique fait souvent partie des argumentaires de développement durable. Est-ce que c'est toujours fondé ?
C'est vrai que l'on a souvent tendance à penser que ce qui est dématérialisé est propre. Alors que c'est beaucoup d'énergie pour l'usage comme pour la fabrication. Dans certains domaines comme les sources d'énergie une prise de conscience est en train de se faire, y compris dans les grandes entreprises du net comme Google ou Facebook. Si leurs datacentres les plus anciens sont alimentés avec des centrales au charbon, ils se tournent maintenant vers la Finlande ou le Canada avec des projets mieux pensés : l'énergie utilisée est renouvelable et la chaleur produite par les datacentres sert à chauffer des bâtiments par exemple. Les critères financiers incitent clairement les grands du Web à réduire leur consommation en phase d'usage. De plus, l'efficacité énergétique des composants électroniques suit plus ou moins la loi de Moore (tous les 18 mois, le puissance des composants est doublée). Mais cette avancée technologique n'est même pas suffisante pour stabiliser, voire diminuer la consommation des datacentres. Ces derniers sont toujours plus puissants, et toujours plus énergivores ! Mais la pollution liée à internet n'est pas due qu'à la consommation énergétique des datacentres, même si elle est très importante. Il faut aussi penser au coût environnemental et humain de la fabrication des serveurs et de leur recyclage. Ils sont faits en Chine, où la principale source d'énergie est le charbon, avec un impact CO2 très important.
Comment faire pour agir et éviter de contribuer à cette pollution mondiale inquiétante ?
Il faut d'abord bien avoir en tête qu'il y a trois phases à prendre en compte si on veut agir : la conception, l'usage, mais aussi le recyclage. En Europe seulement un tiers des déchets électroniques sont collectés. Et seulement 5 usines dans le monde savent récupérer les métaux rares mis en oeuvre. Seuls ceux qui sont vraiment rentables, typiquement l'or, font l'objet d'efforts de récupération. Cela engendre d'énormes pollutions et des trafics : les déchets sont parfois transportés dans des pays en voie de développement (par exemple le Ghana), où ils seront brûlés en plein air pour récupérer l'or qu'ils contiennent. Le coût sanitaire, social et environnemental est énorme. Une des premières choses à faire est donc de s'assurer du bon recyclage de nos déchets électroniques par exemple en les faisant reprendre par l'entreprise qui les a fournis.
Les gestionnaires peuvent-ils réellement agir à leur échelle ?
Il y a une chose importante qu'on peut faire et qui permet de réduire les impacts à la fois sur la fabrication et le recyclage : allonger la durée de vie du matériel. L'argument avancé pour le renouvellement du matériel est souvent que le nouveau matériel consomme moins. C'est vrai, mais cela ne prend pas en compte l'effet rebond engendré par les nouveaux « besoins ». Par exemple on avait un écran cathodique, et maintenant on a de multiples écrans d'ordinateur, de tablette, de téléphone, de télévision. Ils consomment chacun moins, mais qu'en est-il au total ? C'est une fuite en avant qui nous pousse aussi à remplacer sans arrêt notre matériel. Il nous semble toujours plus rapidement obsolète alors qu'en fait il remplit toujours ses fonctions de départ. C'est juste qu'on veut ajouter de nouvelles fonctionnalités sans cesse ! Il faut aussi penser à la localisation de vos données. L'idée paraît bonne de mettre en place des cloud et d'avoir ses informations disponibles tout le temps. Mais cela veut aussi dire que chaque connexion sollicite un serveur à l'autre bout du monde. Quand vous envoyez un SMS, il reste dans votre téléphone. Quand vous envoyez un mail, il y a un serveur qui le garde disponible tout le temps pour le cas où vous voudriez le consulter sur votre téléphone ou autre ! Je vous mets au défi de savoir où sont stockées vos données. Même si on profite, en un sens, du gratuit, il est nécessaire que la pression vienne des consommateurs pour exiger des hébergeurs un niveau de propreté.
(*) Laboratoire de physique subatomique et de cosmologie de Grenoble, qui participe à la recherche auprès du LHC au Cern qui a conduit à la découverte du Boson de Higgs.