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Rangers du monde : une même famille, des formations variées

 

Espaces naturels n°49 - janvier 2015

Management - Métiers

Marie-Mélaine Berthelot

Les membres de l’association Gardes nature de France sont amenés, dans le cadre d’échanges internationaux entre rangers, à découvrir les différences entre les pays. En matière de formation comme dans d’autres secteurs, le sentiment le plus fort est celui d’une grande solidarité malgré la très grande diversité des situations.

© Gardes nature de France

Ce qui frappe, quand on interroge les rangers de différents pays sur leur formation, c’est la disparité. C’est en tout cas ce qu’ont pu constater les membres de Gardes nature de France, l’association française affiliée à la fédération internationale des gardes. « Des formations para-militaires pour certains afin de lutter contre le braconnage et pour sauver sa propre peau au quotidien (pays soumis au grand braconnage ou en situation de conflit) ; ou bien des formations plutôt académiques basées sur un cursus en biologie/écologie complétée (ou non !) par une formation au moment de la prise de poste, » a pu constater Laurent Domergue, garde-conservateur de la RNN du Grand Ventron. Dans de nombreux pays, il est exigé un haut niveau universitaire. En Argentine par exemple, où la formation des Guardaparques – niveau et durée – a été réformée en 2009 : après un cursus universitaire (ou une validation des acquis de l’expérience) et une sélection draconienne, les aspirants-gardes suivent deux semestres de formation avant de pouvoir intégrer le corps des Guardaparques nacionales. La formation alterne théorie et pratique. Une demi- douzaine d’universités argentines propose des formations préparatoires, et il existe même un cursus international de guardaparques.
« De nombreux pays exigent une formation extrêmement large : des connaissances en matière de mécanique (la réparation d’un 4x4), du droit administratif et pénal, de la pédagogie à l’environnement, des stages de survie en milieu hostile (Argentine), sur l’armement et le tir (Tanzanie), la discipline para-militaire, la zoologie, la botanique, l’ornithologie, la géolocalisation, la lutte contre les feux de forêt…, » énumère Hervé Bergère, chef de secteur au PN de Port-Cros. « Finalement, les formations et les missions peuvent être très différentes d’un territoire à l’autre, mais ce qui est frappant, conclue Julien Cordier, écogarde au PNR Scarpe-Escaut , c’est d’être aussi proche sur l’état d’esprit et les motivations de chacun. »

UNE PHILOSOPHIE QUI SE TRANSMET PAR L’ÉCHANGE

En France, compte tenu de la diversité des structures dans lesquelles travaillent les gardes, il n’y a pas de cursus uniforme de formation. C’est d’ailleurs peut-être une des forces du système que de brasser des profils. Mais les rencontres avec les rangers d’autres pays peuvent être source d’inspiration. « En Argentine, explique Emmanuel Icardo, technicien au PN du Mercantour , les gardes expérimentés contribuent à former leurs jeunes futurs collègues au cours de leur cursus de formation initiale. Cela implique que les établissements gestionnaires d’espaces protégés dégagent du temps à leurs agents pour remplir cette mission, mais cette valorisation de leur expérience s’avère profitable pour les deux parties, certaines compétences ne s’acquérant qu’avec la pratique du terrain. »
Les programmes d’échanges sont aussi développés utilement, en Australie par exemple, ou bien entre Ecosse et Islande : « Pendant un ou deux mois, un ranger écossais et un islandais échangent leurs places dans leurs structures respectives. Cela permet de s’ouvrir à d’autres cultures, de découvrir de nouveaux milieux naturels, de nouvelles espèces, de nouveaux modes de fonctionnement. C’est un moyen original de découvrir et d’apprendre tout en créant des liens de solidarité », raconte Julien Cordier. Autre idée, venue de Tanzanie, ou de Californie, les rangers participent à la formation de « scouts rangers », des habitants volontaires qui participent aux missions d’information, de prévention du braconnage auprès des populations vivant en bordure des parcs nationaux. Dans ce même esprit citoyen, le Danemark dispose d’une organisation très particulière, mise en place en 1987 suite au constat que les Danois, très majoritairement citadins, étaient de plus en plus déconnectés de la nature. Pas de rangers à proprement parler, mais un réseau d’environ 360 « interprètes de la nature » (naturvejleder) dont la mission est uniquement axée sur la pédagogie de l’environnement. « Ils ont des profils extrêmement variés (enseignants, juristes, administratifs...) et sont employés par l’État, des municipalités, des musées ou des associations environnementales, précise Emmanuel Icardo . C’est à l’issue d’une formation de deux années qu’ils sont autorisés à porter l’emblème des naturvejleder (le hibou), pour effectuer des animations d’éducation à l’environnement... souvent en plus de leur métier initial, qu’ils continuent à exercer. » Et de poser la question : « Avec un peu plus de civisme à la scandinave, l’éducation à l’environnement suffirait-elle pour protéger les espaces naturels ? »

PLUS QU’UN MÉTIER, UNE VOCATION

À l’inverse de ces conditions pacifiques, nos rangers français ont été frappés par les conditions de travail de certains de leurs collègues africains ou asiatiques. « Ils n’ont quasiment pas de matériel ni d’armes. Ils sont censés patrouiller dans la jungle, sous une pluie diluvienne, sans matériel de pluie, en dormant à même le sol. Ils sont censés affronter des braconniers armés jusqu’aux dents alors qu’ils n’ont pour se défendre qu’une machette ou un vieux revolver. Des efforts sont faits mais la lutte est souvent déséquilibrée », déplore Julien Cordier. « Leurs conditions de travail sont particulièrement rudes (missions de plusieurs jours et nuits sans repos, équipements de sécurité insuffisants, exposition permanente au danger), leur salaire est particulièrement faible et pour couronner le tout, ils ne bénéficient d’aucune reconnaissance de la part de la population locale qui les voit comme des censeurs, les empêchant de chasser de la viande de brousse ou de coloniser de nouvelles parcelles à cultiver… » complète Laurent Domergue. Alors qu’en Europe, sous l’effet de la crise, les états se désengagent souvent, il semble que dans certains pays en développement, avec l’aide de fonds étrangers, la formation tende à s’améliorer, ainsi que les moyens en général (équipement, recrutements). Ces pays, la Tanzanie notamment, ont bien compris l’importance d’espaces protégés bien préservés pour attirer les touristes, le tourisme étant parfois la première ressource économique du pays. Bien qu’ils manquent cruellement de moyens face au grignotage des espaces naturels par l’agriculture et l’urbanisation, ils prévoient de développer le recrutement et la formation des gardes, c’est une question de survie économique. « Malheureusement, il y a des manques et des rangers perdent régulièrement la vie dans l’exercice de leurs fonctions », rappelle Julien Cordier. Cependant des efforts sont faits pour procurer du matériel et des formations adéquates notamment par le biais de la fondation de l’International Ranger Federation : The Thin Green Line(*).

Finalement, tous les rangers sont des passionnés, mais souvent précaires autant par le statut que par le salaire. Ce qui n’empêche pas (voire favorise) une grande solidarité et le sentiment d’appartenance à une grande famille. « Même si le métier peut revêtir des aspects très différents, nous sommes conscients de tous travailler pour une cause noble et difficile, la protection de la nature. Et malgré la barrière de la langue, souvent handicapante, la compréhension mutuelle est quasi- immédiate », affirme Emmanuel Icardo. Laurent Domergue renchérit : « j’ai été surpris lors du Congrès mondial des gardes de voir à quel point les rangers de la planète entière forment une communauté soudée et fière de défendre une cause universelle. Plus qu’un métier, c’est une vocation et un engagement de tous les jours. »

 

(*) la fondation The Thin Green Line soutient les familles des rangers morts en service, et oeuvre pour éviter que de nouveaux gardes soient tués sur le front de la conservation de la nature dans le monde.