S'émerveiller, émerveiller

 

Espaces naturels n°55 - juillet 2016

Autrement dit

Le point de vue de Luc Jacquet
cinéaste

On devrait tous avoir le droit à une belle nature. Luc Jacquet confie à ses histoires le soin de retisser des liens parfois distendus.

Luc Jacquet nous a emmenés en Antarctique, découvrir les Manchots empereur, ou dans la forêt tropicale avec Francis Hallé. La nature, il la partage avec de très belles images. « Je suis un hybride. Une partie de moi se consacre à l'art de raconter des histoires, l'autre, liée à mes études, est tournée vers la biologie et les phénomènes de la nature. Tous mes projets, "Il était une forêt, La glace et le ciel", comme ceux à venir, ont pour objectif de raconter au grand public. » Raconter quoi ?

Qu'on est tous connectés les uns aux autres sur la planète. Que nous sommes responsables les uns des autres. « Moi-même j'ai besoin de nature pour exister. Je veux que les gens qui me ressemblent aient de quoi assouvir ce besoin. Je ne peux pas imaginer que des enfants ne puissent pas profiter d'une forêt primaire, dont moi j'ai pu profiter. » Son travail peut alors se faire plus politique, comme pendant la COP21, quand il est allé en Antarctique pour évoquer les changements climatiques. Les internautes pouvaient suivre en direct l'expédition. Une exposition s'en suit au musée de Confluences à Lyon (voir ci-dessous). Là encore, les outils sont au point, la technique se laisse oublier, pour laisser faire la magie de la découverte. C'est ce qui fascine dans le travail du cinéaste : l'apparente simplicité, qui contraste avec l'énorme rigueur qu'on lui prête volontiers.

Même s'il a le goût de la science, il pense que la rationalité n'est pas forcément le bon vecteur pour convaincre de l'intérêt de protéger les espaces et les espèces, et de changer nos comportements. Les alertes ne passent plus, les gens les ont trop entendues. Pour lui, le bon vecteur, c'est l'émotion. C'est par ce moyen que nous pourrons reconnecter les urbains avec la nature, retisser des liens. « Rapprocher l'homme de la nature par le langage sensible des images, des sons, des mots, » peut-on lire dans la note d'intention de l'association Wild-touch. Cela paraît calculé, mais au fond, c'est surtout le reflet de la façon dont il fonctionne lui-même. « Mon côté artiste ne peut pas s'empêcher de partager ce qui me passionne et ce qui m'émeut. J'aime être dans la nature pour moi, mais je n'aime rien tant que de le partager. J'ai de la chance d'aller dans les plus beaux endroits du monde. On ne sensibilise les gens qu'à cette condition. Ça ne sert à rien d'alarmer. Au contraire, il faut donner l'occasion d'apprécier, prendre le temps de s'émouvoir. Pendant très longtemps les sciences se sont interdites de dire que c'était beau. C'est une hérésie, on ne peut pas détacher les deux. »

Wild-touch a développé un savoir-faire important en matière de pédagogie, en proposant des outils, en adaptant ses formats. « Pour moi, l'important est que les supports soient bien faits, le son, l'image. On ne regarde pas ce qui est laid. Étonner, émerveiller, ça fait partie du boulot. » Et pour s'en donner les moyens, le nerf de la guerre, c'est l'argent. Comme beaucoup d'associations, Wild-touch peine à trouver des financements pour tous ses projets. « Je m'estime bien loti avec mes partenaires, mais ce n'est pas si évident que ça de trouver des financements. Les gens sont convaincus, mais ils n'investissent pas d'argent sur des projets de communication. Les États-Unis ont davantage une tradition de la philanthropie. » La difficulté s'accentue ces dernières années, mais il se refuse à réduire la qualité de ses productions.

Le souci esthétique, le goût du travail bien fait, habitent Luc Jacquet. Cela va de pair avec l'émerveillement qu'il a ressenti, et qu'il souhaite transmettre. « Proposer une belle image, c'est normal. Si l'image n'est pas belle, ça ne me va pas. C'est la moindre des choses. Ça ne se discute pas. »

L'esthétique fait partie du vecteur de l'émotion. Cela permet aussi d'amener le débat sur un terrain moins conflictuel. Il se rappelle une projection au Gabon (où il a tourné en partie « Il était une forêt ») avec des forestiers : « les uniformes ont été mis de côté le temps du film. Il se passe quelque chose. Le cinéma a cette vertu-là. »