Délinquance environnementale

Punir ou éduquer ?

 

Espaces naturels n°44 - octobre 2013

Droit - Police de la nature

Marie Mélaine Berthelot
Aten
Sophie Heyd
Aten

En matière d’infractions, d’autres réponses sont possibles que la répression. Certains parquets, s’appuyant sur des associations de protection de l’environnement et gestionnaires d’espaces naturels, mettent en place des mesures de sensibilisation, alternative aux poursuites devant les tribunaux.

Il y a bien des stages de sensibilisation à la sécurité routière… Pour éduquer, plutôt que simplement punir, des alternatives aux poursuites judiciaires se mettent également en place en matière d’environnement. Des accords entre parquets et acteurs de la protection de la nature permettent de proposer des stages d’éducation à l’écologie à certains délinquants « verts ».
En règle générale, le champ d’action est limité à des personnes ayant commis des infractions à faible impact environnemental, par manque apparent d’information : usage de véhicules à moteur, feu de forêt, non-respect des arrêtés de sécheresse, détention de faune sauvage. Sont donc, bien sûr, exclus les récidivistes ou les personnes qui profitent économiquement de ces infractions. Ces stages sont payants, une partie joue le rôle d’amende, une autre partie sert à rémunérer les animateurs, intervenants et prix des repas.

Points de vue. Pour le procureur, ces alternatives permettent de contourner les poursuites judiciaires, procédures longues et chronophages. Elles assurent également que même les « petites » infractions trouveront une réponse pénale. « Nous visons à changer les mentalités », témoigne Franck Alzingre, vice-procureur à Privas (Ardèche), qui a mis en place une politique pénale incluant ces stages de citoyenneté.
Les structures en charge de l’organisation des stages (administrations, associations, gestionnaires d’espaces naturels) y voient l’occasion de parler d’écologie à des publics nouveaux, généralement peu convaincus d’avance.
Et ça marche ? Oui, indique Franck Roncuzzi, garde de la réserve naturelle de Saint-Martin. « Pour les adolescents que nous accueillons, ce type de stage est responsabilisant, contrairement à une amende qui sera payée par les parents. » Franck Alzingre, confirme : « Les personnes disent qu’elles ont appris des choses nouvelles. »
Lors de leur arrivée, les contrevenants campent généralement sur leur position : on va leur servir une « messe écolo », ils en sont sûrs. Or, « ils sont surpris du caractère concret de l’apprentissage et de l’absence de propos moralisateurs, explique Billy Fernandez, animateur des sessions de la Fédération Rhône-Alpes de protection de la nature (Frapna) Ardèche. Nous savons que nous ne prêchons pas des convaincus, aussi prenons-nous soin d’avancer des faits scientifiquement étayés.
Nous faisons surtout attention à ne pas nous laisser prendre par les provocations qui tentent de glisser vers la controverse politique. Une session est réussie quand le débat
s’installe entre stagiaires et qu’on sort de l’échange unilatéral avec l’animateur ».
Pour y parvenir, les formations rassemblent des groupes composites de contrevenants. En effet, en diversifiant les infractions représentées, la discussion finit toujours par s’ouvrir entre participants. Chacun a forcément un point de vue plus critique sur une autre infraction que la sienne.
Sur la forme, tout est fait pour cultiver un caractère solennel afin de montrer qu’il ne s’agit pas de contourner la justice, mais bien de prendre conscience de son erreur. Ainsi le délégué du procureur est présent lors de chaque séance pour rappeler les fondamentaux du stage : il n’est pas question de remettre la loi en cause ou de tergiverser sur sa culpabilité.
Le manque de recul ne permet pas de dire si l’expérience conduit à une baisse des infractions, mais en revanche une chose est sûre : pour les militants de la cause écologique, ces stages ont des vertus insoupçonnées. « Nous n’avons pas l’habitude de côtoyer ces publics, témoigne Olivier Gourbinot, juriste à la Frapna Ardèche. Nous découvrons d’autres modes de pensée, nous nous rendons compte de réalités diverses. »

Cadrer la démarche. Les formules sont variées : stages d’une journée alternant présentation en salle et sortie de terrain ou session de travaux de plusieurs jours dans une réserve naturelle.
Dans tous les cas, l’accord du procureur est indispensable. La Frapna Ardèche a ainsi effectué une démarche à son égard pour le convaincre. Le dispositif s’est mis en place au vu des résultats de stages du même genre, initiés par l’ONCFS et appliqués aux infractions de chasse (formule qui a d’ailleurs fait école au niveau national). « Le procureur décide s’il souhaite mettre en place ces alternatives de sensibilisation, précise Franck Roncuzzi de Saint-Martin. Ensuite, nous passons des conventions avec le parquet et les autres administrations (dont la Brigade de prévention de la délinquance juvénile), afin que les rôles et les responsabilités de chacun soient clairement cadrés. » L’accord avec le parquet définit ainsi les infractions concernées, les modalités d’organisation et le contenu des stages, ainsi que le public visé. « Nous accueillons exclusivement des contrevenants mineurs, ajoute le garde. Nous considérons que la prévention n’est pas une bonne alternative pour des braconniers récidivistes, qui ont des idées bien arrêtées, et avec lesquels le quotidien est déjà tendu. »

Des limites ? Le vice-procureur de Privas, souligne que la clé du succès réside dans la bonne communication entre administrations. Ainsi, le cadrage en amont permet-il au parquet de mettre à profit les compétences techniques de ses partenaires : la direction départementale des territoires (DDT), notamment, pallie les manques de technicité
des agents du tribunal en matière
d’environnement.
Les gestionnaires d’espaces naturels s’interrogent : ce type de missions entre-il dans leurs objectifs prioritaires ? Quelle pertinence auraient de tels stages dès lors qu’ils seraient banalisés ? La question est d’autant plus prégnante que peut s’y ajouter la volonté de la justice de « dégonfler » les piles de ses dossiers. À Saint-Martin, le gestionnaire de la réserve reste attentif à ce que la structure ne soit pas utilisée pour des travaux d’intérêt général qui ne concernent pas l’environnement.
La seule parade est de bien cadrer en amont le rôle de chacun et d’avoir clarifié les objectifs du dispositif dans une politique pénale formalisée.
L’encadrement de tels stages par les espaces naturels mérite donc préparation et réflexion. Se plier à l’exercice peut valoir le coup… •