Cahier des charges

La bonne posture pour passer commande

 
Le Dossier

MMB

Comment s'y prendre quand on veut entamer une collaboration avec un artiste ? Lui laisser une totale liberté ou bien poser tout de suite les limites ? Faire appel à une pointure internationale ou à un local de l'étape ? Réponses de différents commanditaires proches de l'écologie.

Centre international d'art et du paysage de l'île de Vassivière.

Centre international d'art et du paysage de l'île de Vassivière. ©
Marguerite Despature

QUELLE LIBERTÉ ?

« Ne pas mettre trop de barrières aux artistes, trop de contraintes. Certes ils ont une grande capacité d'adaptation, mais on peut passer à côté de belles choses si on ne laisse pas leur âme créatrice s'exprimer. » Aude Vigier, du CPIE Gâtine poitevine résume ainsi sa posture en tant que commanditaire. Dans le cadre de l'opération « Bienvenue dans mon jardin au naturel », des jardiniers ouvrent leur portes à des artistes. « Nous avons pris le parti de laisser toutes les libertés, dans la mesure où il n'y a pas de dégradation des habitats » explique l'organisatrice, qui rappelle que l'objectif de la manifestation est de valoriser des jardiniers qui n'utilisent pas de produits de synthèse.

Donner carte blanche, c'est aussi la philosophie de Sébastien Carlier du PNR des Landes de Gascogne. « Il faut être vigilant à ne pas utiliser l'artiste pour porter une bonne parole. » Pour lui, le spectacle vivant, dans un milieu rural, doit casser les codes de la salle culturelle classique. « On fait corps avec le territoire ». Il est donc indispensable de laisser les artistes s'exprimer en fonction de ce qu'ils vont trouver : par exemple laisser les chanteurs chanter dans les arbres ou sur des barques pour explorer le son du lieu (voir photo).

Marianne Lanavère, directrice du Centre d'art de Vassivière, confirme : « La création artistique est libre. » C'est même écrit dans le premier article de la loi de 20161. L'artiste peut tout utiliser, y compris des polluants. « Le droit d'auteur et la propriété intellectuelle sont plus forts que d'autres réglementations. » Dans le contexte de ce centre international où des artistes du monde entier viennent créer, on comprend que la directrice recommande de la diplomatie, et une sensibilisation en douceur des artistes.

QUELLES CONTRAINTES ?

Que le lieu soit prestigieux ou non, on note souvent un grand respect de la part des artistes. À Séné par exemple (Homo algus, photo de couverture), le projet nécessitait de recevoir l'accord des services de l'État. Dès le départ, le projet a été bâti par l'équipe de la Réserve et l'artiste, sur le postulat de ne générer aucun dérangement des milieux et des espèces. L'installation de sculptures dans des lagunes où nichent Échasses blanches et Chevaliers gambette a obéi à un cahier de contraintes : implantation en retrait des sites de nidification, sans intervention au niveau du sol ou de la végétation, intégration visuelle... Estelle Rouquette, chargée de mission patrimoine culturel au PNR de Camargue et conservtarice du musée de la Camargue constate : « Il faut un bon équilibre de cadrage entre le fond et la forme. Je recommanderais de faire appel aux Nouveaux commanditaires de la Fondation de France. Ce sont des experts en art et en montage de projet. Nous avons eu une très bonne collaboration en étant chacun dans notre domaine de compétence. »

Hors de l'espace protégé à strictement parler, dans le PNR des Landes de Gascogne par exemple, Sébastien Carlier est partisan d'un travail conjoint en amont. D'une part avec des techniciens : « pour un événement autour des "rivières sauvages" nous avons passé une journée à longer les rives pour cibler des lieux. Mais une fois décidé, c'était carte blanche pour la troupe de théâtre. » D'autre part, il recommande d'associer les habitants, les élus… « Nous faisons des itinéraires à vélo en groupe jalonnés d'interventions artistiques. C'est assez connu comme dispositif. Mais cela prend toute sa valeur quand c'est co-construit avec les locaux. » Une contrainte, pour l'artiste, mais qui peut s'avérer source d'innovation. Car la contrainte, qu'elle soit sur un sujet ou un thème, liée à un espace naturel fragile ou à des moyens techniques ou financiers, fait aussi naître la créativité. L'histoire de l'art est d'ailleurs riche d’oeuvres reconnues nées de commandes ou contraintes par des codes en vigueur.

AVEC QUI TRAVAILLER ?

La spécificité du lieu, c'est aussi ce que viennent chercher les artistes internationaux au centre d'art de Vassivière. Au-delà du paysage, qui paraît naturel, Marianne Lanavère leur vante une configuration unique, source d'inspiration : tout paraît naturel et pourtant le lac est artificiel, la forêt a été plantée, le sous-sol est exploité… « Le paradoxe de ce territoire est très inspirant. C'est également un lieu isolé, peu peuplé. La possibilité du silence, du vide, est quelque chose de précieux. » En tant que centre d'art contemporain, reconnu par le ministère de la Culture, elle se montre très exigeante en termes de qualité et de renom des artistes invités. « J'essaie de trouver des artistes originaux et très professionnels. Il faut que leur travail soit riche, qu'il soit porteur de questionnement intellectuel, et formellement innovant. »

En faisant venir en Camargue Tadashi Kawamata, Estelle Rouquette a eu la même démarche. « Il faut trouver les mots justes pour convaincre localement, car ce n'est pas toujours compris. Mais ce sont des retombées à long terme, et pas seulement sur le plan économique. Un artiste international impulse un regard, une dynamique. »

Sébastien Carlier serait plutôt d'accord. « Si on reste local, on peut vite tourner en rond, c'est bien de faire venir de nouveaux langages. » L'idéal serait un juste milieu entre le local et les stars. Pour le type de manifestation défendue par Aude Vigier, les artistes locaux sont plus appropriés. « Nous ne voulions pas faire trop "cultureux" trop "intellectuels". Nous ne voulions pas faire venir une star internationale pour assurer une forte fréquentation. Le but était plutôt de privilégier les artistes locaux. »

MAIS ALORS COMMENT CHOISIR ?

Sébastien Carlier recommande de faire appel à un commissaire. Il travaille lui-même dans le cadre de la Forêt d'art contemporain de cette façon et les rôles se partagent bien. « Je connais le terrain ; j'ai la connaissance fine des lieux, de la fréquentation. Lui est garant de la cohérence, de la ligne, de la signature artistique. On ne s'improvise pas commissaire. » Que ce soit en accord avec une charte ou avec un plan de gestion, identifier des objectifs et une stratégie cohérents pour collaborer avec les artistes paraît une bonne chose pour le gestionnaire qui veut s'engager sur le long terme.

(1) Loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine.