EEE (1) : prendre du recul et hiérarchiser pour mieux agir
Espaces naturels n°48 - octobre 2014
Benjamin Sirot, chargé de projet au Conservatoire d’espaces naturels
du Languedoc-Roussillon
Vous avez travaillé sur le projet Life+ LAG’Nature (2) dont l’un des volets concernait les plantes invasives. Comment avez-vous abordé cette thématique et quels en sont les enseignements ?
Ce programme s’est déroulé de 2009 à 2013 sur 5 sites Natura 2000 du littoral du Languedoc-Roussillon. Nous avons tout d’abord mené des inventaires sur un grand nombre d’espèces végétales, 68 au total. Cela a débouché sur de nombreux travaux, portant sur 15 sites et 10 espèces (baccharis, figuiers de barbarie, faux-indigo, tabac glauque, etc.). Mais je voudrais surtout partager ici la nécessaire prise de recul vis-à-vis de cette thématique : tout comme l’écologie est une science globale, la gestion des invasives ne peut se résumer aux seules espèces.
Vous avez élaboré une méthode pour hiérarchiser les actions à mener à l’échelle d’un territoire donné, quel en est le principe ?
Effectivement, il nous est apparu indispensable de donner un ordre de priorité aux actions devant le grand nombre d’espèces et de situations. Nous avons donc élaboré une méthode multicritères qui se veut adaptable et en aucun cas une recette miracle. De manière générale, une méthodologie en écologie doit avant tout s’attacher, selon moi, à ce que les utilisateurs s’approprient les concepts puis les adaptent.
Pouvez-vous nous citer quelques-uns de ces critères ?
Notre stratégie repose sur des critères de dangerosité de l’espèce (en lien avec le Conservatoire botanique et l’Agence nationale de sécurité sanitaire), d’enjeu de biodiversité impactée et de faisabilité de l’action. Sur ce dernier point, nous donnons par exemple du poids aux actions précoces ciblant des populations ayant encore peu colonisé le territoire car elles ont plus de chances de réussir. Dans bien des cas, on finit par s’essouffler en travaillant sur des sites où l’espèce est déjà trop installée et où il est en fait trop tard. Une comparaison ? 8 journées/homme ont été nécessaires pour préserver 35 ha de dunes de l’invasion des griffes de sorcières (quelques stations seulement) contre 900 pour restaurer 45 ha de dunes largement envahies.
Avez-vous pris en compte l’efficacité des techniques connues pour déloger les espèces exotiques envahissantes ?
Oui, nous privilégions les interventions pour lesquelles une technique efficace est connue. C’était le cas sur la griffe de sorcière où l’arrachage manuel permet de restaurer la typicité floristique en trois ans. Le travail en réseau est ici essentiel et pas uniquement à propos des invasives ! C’est très enrichissant de mettre en commun nos idées et connaissances tant sur le plan humain qu’écologique ! On ne peut qu’en être plus efficaces.
On a l’impression que vous cherchez à relativiser la problématique des envahissantes…
Oui et non. Oui, car pour bien des espèces, on se rend compte en étudiant leurs impacts sur la biodiversité que ceux-ci sont très relatifs. Et non, car certaines espèces engendrent des impacts forts et c’est indéniable. Il convient simplement de ne pas généraliser et d’étudier objectivement leurs impacts. En fait, le phénomène a été amplifié car il a connu un effet de mode. Nous cherchons souvent des boucs émissaires et les invasives, bien visibles, jouent parfaitement ce rôle. Or, c’est à nous, écologues, d’analyser le lien entre leur prolifération et des paramètres physiques ou biologiques. On se rend alors compte que le potentiel invasif de beaucoup d’espèces est décuplé du fait de perturbations, de dysfonctionnements écologiques – sol à nu, remblais, eutrophisation de l’eau... Un exemple ? Le séneçon du Cap ne constitue jamais spontanément de colonies monospécifiques impactant le cortège faune-flore. Si c’est le cas, cherchez du côté d’un déséquilibre du milieu (surpâturage par ex.), vous trouverez ! Une solution simple mais efficace consiste donc en une bonne gestion respectant les équilibres écologiques, qui sera défavorable aux invasions et profitable à bien d’autres éléments.
Propos recueillis par MMB
(1) Espèces exotiques envahissantes
(2) Les acquis du Life+ LAG’Nature sont consultables sous forme de fiches téléchargeables sur www.lifelagnature.fr