Faire vivre le patrimoine
À l'échelle d'un territoire aussi on peut faire appel aux artistes pour révéler le patrimoine : la dynamique se mue en innovation, les habitants deviennent acteurs du développement local.
Que la nature inspire les artistes, c'est une évidence. Mais quelle est la particularité de la création liée à un territoire ? Le festival Les Arts Foreztiers (www.lesartsforeztiers.eu), à Chavaniac- Lafayette (Haute-Loire), montre la fécondité d'un lieu. Sylvie Dallet, qui en est l’initiatrice et qui est, par ailleurs, professeur des universités et directrice de recherches (Institut Charles Cros et Université de Versailles Saint-Quentin-en- Yvelines), en est convaincue : la dynamique vient du territoire, dans l’entrecroisement sensible des formes, des forces et des ressources du terrain. Pour ces raisons, elle est également vice-présidente du conseil scientifique du PNR des Ballons des Vosges.
« Ici tout serpente, se hisse, se dévoile, se croise et se complémente. Les sapinières côtoient les pommiers sauvages, les essences américaines et les chemins tapissés de violettes. Au Conservatoire botanique national du Massif central, on préserve farouchement une flore originelle, associée à la faune par le Conservatoire des espaces naturels d’Auvergne. Aux portes de ces deux institutions patrimoniales, le parc du Château de Lafayette s’enorgueillit d’une végétation importée, offerte par des donateurs américains. » Cet étonnant contraste est source d'inspiration pour les artistes comme pour les habitants, qu'ils en soient conscients ou non. Le festival révèle une créativité territoriale, trop longtemps figée dans le passé du Préventorium.
Le principe du festival, créé en 2010, est effectivement de refaire du lien entre la mémoire, l'environnement et la création, au travers des apports de chacun, artistes, équipes vertes, scientifiques ou promeneurs. « Nous avons réalisé des tableaux collectifs tout à fait étonnants, » raconte la présidente. Autour du sujet « arbre de vie», des propositions sont venues petit à petit, de groupes de personnes telles que les personnes âgées du village, les enfants de la communauté de communes, les ateliers « handicap » de la ville proche : des photos anciennes mises en scène, des tuiles romaines revisitées par les passants et peintres amateurs, ou encore les buissons de mains d'enfants, découpées dans du papier.
La question de la réception des oeuvres reste cependant posée. « Souvent l'art contemporain est assimilé à de la provocation. Ce n'est pas le cas pour nous. Aux côtés d’installations audacieuses (sons, images, danse, photos) qui accompagnent le paysage, nous accueillons des modes d'expression très classiques, telles des peintures et des gravures réalisées sur le papier traditionnel du Moulin Richard de Bas. Les choses se développent très prudemment. » Chaque année, on assiste à des dialogues qui se nouent, des artistes locaux et internationaux qui s'entraident et qui, la saison froide revenue, continuent à travailler ensemble dans la qualité des rencontres du festival.
L'événement a beau être réussi, Sylvie Dallet remarque quand même des réticences. Le milieu rural a du mal à accueillir ce qu'il perçoit comme étranger. Il a fallu réanimer le passé d'accueil du village pour trouver à loger les participants. Il y a un manque d'infrastructures d'hébergement, alors que dans le même temps, les édiles voudraient que les touristes soient plus nombreux. L'ouverture, l'innovation, le respect du travail et le développement rural ne sont pas des évidences partagées. La fragilisation des campagnes suscite des rancoeurs dont on ne perçoit pas toujours la cause.
« Le refus de la création, c'est le refus de l'État en même temps. Les stéréotypes sont encore tenaces. En particulier dans des populations qui sont arrivées en Auvergne il y a trente ou quarante ans, quand il y avait du travail. Les gens peuvent se sentir coincés là. Ils sont nostalgiques d'un avant qui n'a jamais existé. » Pour la directrice, le refus de la créativité traduit un refus de la vie dans ses métamorphoses. « On ne peut pas vouloir vivre que des apports de l'extérieur. Il faut trouver nos propres ressources. Si on veut que les gens viennent, si on veut être reconnus dans une plénitude d’expression, il faut accepter la diversité humaine, comme un équivalent de la biodiversité de l’environnement. Je peux le dire à Chavaniac, parce que je suis de chez eux. » Elle aimerait que les jeunes, ou les nouveaux arrivants, soient perçus comme une richesse, car ceux-ci réhabilitent maintenant des fermes abandonnées, sont actifs sur les territoires et la beauté de la nature fait partie de leur programme de vie.
Associer tous les publics, encourager ce qui vient du territoire, c'est également la posture de Raoul Lherminier, sur un autre territoire. En Ardèche, où il est conseiller départemental, il entend aussi des « c'était mieux avant ». « Il faut prendre en compte tout le monde. Même la valeur patrimoniale de ce que pointent ceux qui regrettent ce passé. » Pour lui, le patrimoine, c'est le bien commun, ce que chacun peut apporter. On parle du patrimoine culturel comme du patrimoine naturel. « L'espace naturel est un espace social. Les gestionnaires peuvent nous dire qu'il y a des espèces remarquables, la vraie question, c'est ce qu'il reste dans l'esprit des gens, ce qu'ils en retiennent, ce qu'ils ressentent de la richesse de ce patrimoine. » L'élu regrette qu'on ait parfois une vision passéiste du patrimoine. Lui qui est vice-président du PNR des monts d'Ardèche et qui participe à la commission culture de la Fédération des PNR, considère que l'art est là pour ne pas être consensuel, pour valoriser le dissensus. « L'artiste, on ne sait pas ce qu'il vient chercher, et c'est tant mieux. On fait justement appel à lui parce qu'il est en décalage. » Il nous permet de voir l'invisible, de même que le scientifique, l'artiste, le philosophe… « Finalement, c'est le gestionnaire le pire des guides ! Les autres disciplines nous tapent sur l'épaule et disent "tiens, prends mes lunettes". L'artiste a des lunettes plein les poches. »
Il prend l'exemple d'une commande publique du PNR des Monts d'Ardèche, pour travailler autour de la ligne de partage des eaux. Il a été fait appel au célèbre paysagiste Gilles Clément. Il y aura un banquet gigantesque sur la ligne le 7 juillet 2017. Là encore, le but est de faire parler, « pas de décorer ». Changer de lunettes, ça permet de regarder son chez-soi d'une nouvelle manière, et de se dire « tiens, on s'intéresse à moi ». C'est une façon de donner de la valeur à un environnement auquel on ne prête parfois pas attention.
Raoul Lherminier ne craint pas la réception du public, qu'on peut penser frileux à l'art contemporain. « C'est plutôt une source de dialogue. Les gens s'écharpent parfois, et quand on enlève l'oeuvre, ils disent "mais pourquoi vous l'avez enlevée !?" L'artiste nous accompagne pour accepter les différences ».
De son point de vue, la ruralité est une terre promise pour les créateurs. « Les villes sont assez contraintes, bloquent l'innovation. Les campagnes sont le lieu de l'innovation : il y a de la place, des réseaux faciles à monter. »