Comment la préoccupation environnementale apparaît dans les Églises

 

Espaces naturels n°52 - octobre 2015

Vu ailleurs

Marie-Mélaine Berthelot

Le monde de l'écologie et celui de la foi semblent assez étrangers l'un à l'autre, en particulier en France. Pourtant, des mouvements se constituent ces dernières années : une dynamique concrétisée par la publication en juin dernier de l'encyclique du pape François Laudato si.

© Vanessa Chambard - Le monastère orthodoxe de Solan, dans le Gard, pratique l'agro­écologie depuis la rencontre des religieuses avec Pierre Rabhi. 60 hectares, 17 sœurs. Le vignoble est cultivé en agriculture bio­ logique. Une petite  parcelle de zone humide a même été clas­sée N2000 en 2009. La présence d'écrevisses à pattes blanches y est le signe de la bonne gestion du domaine. Un article de juin dernier leur est consacré dans National géographic.

L'encyclique du pape François ne tombe pas par hasard. Si l'église prend position en 2015 sur le thème de l'écologie en enjoignant les fidèles à agir, c'est que la prise de conscience est maintenant suffisamment importante. Dominique Lang, assomptionniste et journaliste à l'hebdomadaire Pèlerin, explique : « Il y a une prise de conscience depuis les années 70. Les dialogues sur le sujet remontent à Paul VI qui a quand même dit qu'on risquait la mort biologique de la planète si on ne faisait rien. C'est fort. Jean-Paul II a ensuite abordé le sujet en nommant de grands chantiers comme la déforestation, la désertification, la disparition des populations indigènes. Benoît XVI l'a traduit de façon plus intellectuelle, en liant l'écologie à la charité. Finalement, François sort de la réflexion fondamentale théologique pour inviter désormais à passer aux actes.

On comprend, en écoutant cet observateur, à la fois prêtre et biologiste, que les Églises, et les croyants, ont fait le même chemin que le reste de la société : il a fallu du temps pour accepter les constats et entendre les alertes, il est temps maintenant de passer à l’action. « Historiquement, depuis l'après-guerre, les milieux catholiques ont été beaucoup dans la reconstruction, avec une visée positiviste. » Une énergie que salue le prêtre, même s'il constate le manque de lucidité de ces mouvements pour qui la croissance était la panacée universelle. Comme le reste de la société finalement, chez les croyants comme chez d'autres, la priorité était de s'occuper des hommes, de combattre la pauvreté. Le reste on verrait après. « À part le CCFD-Terre solidaire, effectivement, les grandes ONG comme le Secours catholique ou Emmaüs commencent seulement à dire qu'on ne peut pas s'occuper de l'humain sans parler d'environnement. » Pourtant si on y pense, ce sont des messages que l'Abbé Pierre ou soeur Emmanuelle, des religieux très médiatiques, ont fait passer par leur manière de redonner de la dignité aux personnes en recyclant les déchets sur lesquels ils vivaient.

Il existe encore très peu d’initiatives de protection de la nature ou même de développement durable qui soient étiquetées « catholique » ou « chrétien ». Une spécificité de la France laïque ? Il semblerait que dans d'autres pays, notamment aux États-Unis, les cercles de fidèles fassent plus facilement le pas vers le militantisme. « En France, quand on milite pour l'écologie, on ne revendique pas une étiquette de croyant. Et souvent ces militants regrettent que l'église ne dise rien sur le sujet. » Dominique Lang constate un certain manque de dialogue entre les catholiques et les écologistes avec regret. « Les mots de l’écologie sont ceux du religieux. Quand on dit il faut sauver la planète, on parle de salut. C’est bien un de nos thèmes ! » Pour les croyants actifs dans le domaine de l'écologie, il était temps de recevoir ce soutien moral de la part de l'église, et en particulier du souverain pontife.

POURQUOI L'ENCYCLIQUE ARRIVE AU BON MOMENT

Il y avait donc logiquement une grosse attente autour de ce texte. Est-ce que ce serait un texte consensuel de plus ? Certains le craignaient. Le résultat, tout le monde semble s'accorder pour le dire, est au contraire habile, et sans concession.
L'encyclique s'ouvre par un long chapitre d'état des lieux, qui mentionne clairement tous les grands chantiers : dérèglement climatique, perte de la biodiversité, dégradation des océans, artificialisation des zones humides...

Toutes ces détériorations sont associées à une dégradation de la qualité de la vie humaine et de la vie sociale, en particulier dans les grandes métropoles. « François arrive à se positionner sans être clivant. Par exemple sur les OGM, il n'y a pas de position pour ou contre. Par contre, il évoque les conséquences sociales dramatiques d'une agriculture basée sur les OGM. Les militants actifs se sentent soutenus par cet argument, et c'est l'essentiel. »

De même pour les scientifiques et l'économie. Hommage leur est rendu pour les services apportés. Mais la science des grands groupes ou l'économie libérale sans contrôle, non. « C'est dit de manière très directe: nous devons lutter contre ça ; la crise bancaire de 2008, c'est un signe. Ce message, on ne l'avait pas beaucoup entendu avant. » Le pape parle d'ailleurs d’écologie intégrale, une synthèse du développement intégral de Jean-Paul II et de l'écologie humaine de Benoît XVI : le respect de l'homme, mais aussi du milieu dans lequel il vit.

DANS LES TEXTES DE RÉFÉRENCE…

Dans l'ancien testament par exemple, les peuples cherchent à honorer la Terre, dont ils sont dépendants. Il y a de l'émerveillement mais aussi de la peur. « Une ambivalence très profonde en nous : révérence et inquiétude à l'égard de la nature. » D'ailleurs le lieu de la rencontre des hommes avec Dieu, c'est le buisson ardent au sommet de la montagne. Une part mystérieuse de la nature, très forte aussi dans le judaïsme. Dans le nouveau testament, il est dit qu'il y a une sagesse à apprendre de la nature. Jésus ne parle pas de nature directement, mais il utilise beaucoup des images qui y sont liées : le grain de blé, l'arbre, le levain... À partir de là, 2000 ans de christianisme sont passés.

Il y a toujours une tradition de l'émerveillement, mais ces racines écologiques ont parfois été oubliées. « La tradition est un mille feuille. On y trouve François d'Assises, qui rappelle que les créatures créées par Dieu doivent être respectées pour ça. Mais il y a aussi une grosse influence de la philosophie cartésienne qui les assimile plutôt à des machines. Pour autant, j'ai rarement entendu de références directes au verset de la Genèse (« multipliez-vous et soumettez les autres espèces ») pour justifier des pratiques tyranniques sur la nature. Il reste que nous devons encore travailler sur la manière dont nous prenons soin des autres créatures de ce monde. Nos racines écologiques sont encore à réveiller. »

Des Églises en train de s’éveiller aux thématiques écologiques ? La revue Terre Sauvage avait senti le sujet en 2012 et avait sorti un hors-série en partenariat avec Bayard sur les lieux de spiritualité en France. Dominique Lang y a collaboré. Dire que les monastères, couvents et prieurés sont des réserves de nature est une évidence. Les terrains possédés sont assez importants et souvent bien préservés. Mais de là à dire que les religieux sont sensibles à la biodiversité, et qu’ils « gèrent » leurs terrains au sens où les espaces naturels l’entendent, il faudra encore du temps. Des lieux de silence et de beauté, certes. Mais pas de stratégie concernant la biodiversité, ni même la plupart du temps de réflexion sur la provenance des produits achetés au quotidien. Des lieux sortent du lot, pourtant : par exemple des soeurs dominicaines dans la Drôme, ou bien monastère de Solan, dans le Gard (voir photo ci-contre), qui pratiquent l'agroécologie. « Quand tous ces lieux s’y mettront, conclut Dominique Lang, ce sera magnifique. »