Se constituer partie civile pour défendre nos joyaux

 

Espaces naturels n°47 - juillet 2014

Droit - Police de la nature

Propos recueillis par Marie-Mélaine Berthelot

Les gestionnaires d’espaces naturels, quelle que soit la forme juridique de leur structure, ont de plus en plus souvent recours à la constitution de partie civile pour défendre leurs intérêts. Avec ou sans avocat, la démarche n’est pas si technique qu’on pourrait le penser, et se justifie même parfaitement juridiquement. La principale difficulté réside dans l’identification des chefs de préjudice et dans leur évaluation

Le Parc national des écrins s’est constitué s'est constitué partie civile dans une affaire de cristaux

Me Gilles J. Martin, avocat au barreau de Nice a eu l’occasion de défendre plusieurs dossiers pour des espaces protégés. Il a publié avec Laurent Neyret Nomenclature des préjudices environnementaux aux éditions LGDJ en 2012.

Dans quels cas conseillez-vous à votre client de se constituer partie civile ?

Quasiment dans tous les cas où il y a un préjudice. D’abord parce que les sanctions pénales sont tellement faibles que si l’on ne demande pas réparation, l’acte infractionnel ne coûte rien ou presque à son auteur. Ensuite parce que cela permet à la voix du gestionnaire d’être entendue lors de l’audience. Pour éviter un classement sans suite, il peut être utile pour le gestionnaire de faire un courrier au parquet, notamment pour insister sur le caractère gravement dommageable de l’infraction ; cela éveillera son attention sur le sujet. Côté médiatique, en revanche, la couverture dépend de l’affaire, mais je regrette que les juges refusent la plupart du temps de condamner le responsable à prendre en charge le coût d’une publication du jugement dans la presse à titre de mesure de réparation. Cela aurait souvent une vertu pédagogique.

Sur quelle logique vous basez-vous pour réclamer des réparations ?

Effectivement, contrairement au pénal, dont la cohérence est basée sur un code, le calcul des réparations à demander reste du cas par cas. Par exemple dans une affaire de fouilles sans autorisation dans un parc national, pour trouver des vestiges militaires (casques, boucle de ceinturons, armes, etc.), un site de patrimoine à la fois naturel et historique de grande valeur avait été dégradé. Comment évaluer sa valeur de façon monétaire ? Notre raisonnement a été de rechercher le prix de fouilles archéologiques offi cielles similaires, en arguant que les budgets engagés traduisent le prix que la société est prête à payer pour avoir accès à un patrimoine archéologique de ce type. Il est alors possible de soutenir que le coût du préjudice archéologique du fait de l’infraction est égal à la somme que la société est prête à payer pour y avoir accès. Quant au patrimoine naturel, il peut être notamment évalué par référence aux éléments détruits et aux services que ces éléments rendaient (pollinisation, protection contre l’érosion, etc.) C’est justement pour identifi er les différents chefs de préjudice que Laurent Neyret et moi avons travaillé pour élaborer une nomenclature qui permet d’avoir une certaine cohérence.

L’intérêt est-il fi nancier ou moral ?

En février dernier, dans une affaire de rejet d’acide sulfurique très important, la cour d’appel de Nouméa a utilisé la nomenclature que nous proposons (c’est une première) et a condamné à 1 million d’euros de dommages et intérêts. Ce qui est important, d’abord, c’est que la justice ait dit que porter atteinte à un milieu naturel, c’est un préjudice. Ensuite, la somme sera vraiment utile pour tenter de remettre en état ou pour tenter de reconstituer les équilibres qui ont été détruits. On peut objecter que la nature est inestimable. C’est un discours qui arrange bien les pollueurs ! En tout état de cause, tenter de rétablir les équilibres mis à mal a un coût et il faut associer ce coût aux dommages, cela donne une idée de la valeur des services perdus. J’ajoute que sur le terrain moral, je ne suis pas choqué, bien au contraire, par le fait que le pollueur supporte un certain coût pour les dommages qu’il a causés.