Les bonnes questions à se poser

Avant de lancer un programme de sciences participatives...

 

Espaces naturels n°44 - octobre 2013

Pédagogie - Animation

Annie Bauer
Chargée de mission à l’Ifrée
 

Les sciences participatives proposent aux citoyens de produire des données intéressant la science. À initier sous conditions.

A côté de programmes mobilisant les réseaux d’amateurs éclairés réunis au sein des associations naturalistes, les sciences participatives proposent aux citoyens, même novices, de produire des données intéressant la science dans le domaine de la biodiversité.
Cette dynamique, arrivée en France au milieu des années 2000, soulève un grand enthousiasme et de nombreux acteurs, dont les gestionnaires d’espaces naturels, réfléchissent à se doter de tels programmes.
Mais derrière une appellation unique se cachent des réalités diverses, et la première chose à faire avant de s’engager dans un tel projet est de définir quel type de programme on souhaite mettre en place ou intégrer. Selon que la finalité soit de « bancariser » des données, de répondre à une question scientifique ou d’impliquer le public dans la connaissance ou la conservation de la biodiversité, on s’inscrira dans l’un des trois types de programmes suivants.

Bases de données collaboratives. Il s’agit de programmes mis en place par des naturalistes qui souhaitent mutualiser leurs données à travers une base de données en ligne. Elles sont légion dans les associations de protection de la nature. La facilité offerte par les outils en ligne favorise la tendance actuelle à l’ouverture à un large public. En réalité, ces programmes touchent essentiellement des personnes déjà sensibles à la question : un grand nombre d’amateurs éclairés et quelques novices motivés.
En 2006, la LPO de Haute-Savoie a développé un programme de ce type pour la faune en général, il est aujourd’hui repris sur 70 % du territoire national, sous l’appellation Visionature. Le pendant pour la flore est la base de données Flora Data développée par Tela Botanica, qui prône une philosophie très ouverte du travail collaboratif en ligne. Si elles permettent de cumuler un grand nombre de données de présence, la grande hétérogénéité de ces bases pose beaucoup de questions pour leur exploitation. Et notamment de celle des traitements statistiques très lourds (sur lesquels des recherches sont en cours).

Projet de recherche. Les programmes basés sur des projets de recherche sont mis en place par des chercheurs qui sollicitent les citoyens pour démultiplier leurs forces d’observation. Ils visent à tester une hypothèse scientifique. Ils sont souvent nationaux.
Tel est le cas de l’Observatoire des papillons de jardins (OPJ), mis en place par le Muséum national d’histoire naturelle et Noé conservation, qui cherche si des différences existent entre les populations de papillons du milieu rural et du milieu urbain. Ce sont, a priori, souvent des personnes sensibles à l’environnement, qui y participent. De tels programmes peuvent être accompagnés d’un volet pédagogique, souvent à destination des scolaires. C’est le cas de l’Observatoire des saisons et de Phénoclim (pour les milieux montagnards), qui s’intéressent à l’impact des changements climatiques sur la phénologie des végétaux.

Programmes à visée éducative ou de gestion/conservation. Ces programmes sont basés sur une implication forte des participants. Ils portent une dynamique éducative, qu’il s’agisse d’impliquer les personnes dans la construction de leur connaissance ou encore de les associer à la production des outils de suivi.
Ainsi, l’Observatoire de la flore patrimoniale du Parc naturel régional du Pilat propose d’assurer le suivi d’une station de plante rare ou menacée, se dotant ainsi d’un outil de suivi de sa flore patrimoniale. Quand Naturama, association du Grand Lyon, propose aux jardiniers des jardins familiaux de découvrir leur espace autrement que comme un espace de production en les associant à l’inventaire du patrimoine naturel qu’il recèle, la production de données naturalistes devient un moyen de prise de conscience de la richesse écologique de leur espace.

Recruter. Une fois le type de programme défini, il faut envisager la façon de recruter les participants.
L’effort à fournir dépend à la fois de la volonté, ou non, de toucher un public très éloigné du thème (c’est le cas des programmes à visée éducative) et du taux de participation souhaité. S’il est important, il peut nécessiter d’aller au-delà des volontaires de la première heure pour attirer des personnes qui ne se seraient pas mobilisées d’elles-mêmes. L’OPJ par exemple a un taux de participation aux environs de 0,005 % de la population nationale. Un appel au peuple à travers une importante campagne de presse a suffi à obtenir cette participation.
Des nichoirs dans la plaine, autre programme, basé sur un projet de recherche et développé à l’échelle de vingt-sept communes, doit envisager une participation beaucoup plus dense. Il s’agit en effet d’installer trois mille nichoirs dans les jardins des villages pour tester l’hypothèse qu’un manque de cavités pour nicher est un facteur limitant pour les populations de trois oiseaux cavernicoles des villages (1).
Au-delà de l’information par voie de presse, les membres du programme ont travaillé avec un grand nombre de relais (écoles, bibliothèques, mairies pour les réunions publiques et animations) afin de multiplier les contacts directs, plus à même de permettre à des personnes éloignées du thème de s’investir. Au final, 4,2 % de la population des communes a participé au programme, soit un taux 1 000 fois supérieur à celui de l’OPJ.

Faciliter l’engagement. Il faut ensuite s’interroger sur la façon de faciliter leur engagement dans le programme et leur participation active.
Pour les bases de données naturalistes collaboratives, c’est l’ergonomie de l’outil de saisie en ligne et les dispositifs favorisant l’échange entre participants (forums, listes de diffusion…) qu’il faut travailler.
Pour les programmes basés sur un projet de recherche, c’est l’adaptation du protocole au public et la mise à disposition de ressources et d’outils permettant l’auto-formation.
L’OPJ a adapté son protocole en proposant une liste limitée de papillons à identifier et en proposant des fiches d’aide à l’identification en ligne.
Pour les programmes à visée éducative ou de gestion/conservation, c’est l’accompagnement individualisé des participants qui sera à développer : un animateur est là pour orienter, guider les participants dans leur découverte du programme, apporter les informations techniques et scientifiques nécessaires, voire pour encadrer l’activité proposée par le programme ; c’est encore un accueil téléphonique pour renseigner sur la participation et lever les difficultés, des courriers, mèls de rappel quand la période de recueil de données arrive…
Quand l’Observatoire des papillons de jardin se décline en Protocole papillons pour les gestionnaires d’espaces verts (Propage), il entre directement dans cette catégorie. D’ailleurs, les moyens développés ne se cantonnent pas à la mise à disposition d’outils en ligne. Une séance d’information et de formation à la réalisation de transects est organisée pour les futurs participants.

Dans la durée, il faut se poser la question de la fidélisation des participants : est-elle importante pour le programme, ou remplaçable par le nombre ? Devient-elle nécessaire si le nombre de participants potentiels n’est pas extensible ? Il s’agira alors de valoriser les participants et leur travail, notamment en leur faisant un retour sur les résultats du programme. Il faudra aussi les rassurer sur leur utilité, les remercier de leur participation ou renouveler l’intérêt par des petites enquêtes supplémentaires. Le fait de permettre un investissement à différents niveaux dans le programme (simple saisie de ses données, participation à des enquêtes plus poussées, devenir vérificateur…) permet aux plus motivés de trouver leur place et de pouvoir évoluer sans se lasser.
Enfin, faire vivre un programme de sciences participatives sollicite des moyens humains importants, et ce d’autant plus qu’ils cherchent à impliquer des publics éloignés de ces préoccupations a priori.
Une belle occasion de co-construire le projet entre service éducatif et gestionnaires ? •
 

1. Huppe fasciée, hibou petit duc et chouette chevêche. • En savoir plus : http://www.ifree.asso.fr/papyrus.php?menu=80