Boutiques de site, vendre sans trahir

 
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Joël Le Cam
Consultant

 

Pourquoi de plus en plus de sites naturels protégés implantent-ils des boutiques sur leur site ? Cèdent-ils aux sirènes de la société marchande ou bien, comme d’aucuns le prétendent, est-ce une manière intelligente et sensible de prolonger l’expérience vécue au sein du naturel ? Quoi qu’il en soit, l’implantation de ces lieux de vente répond à certaines règles.

Longtemps absentes des sites culturels, muséaux ou naturels, les librairies boutiques accompagnent maintenant maints projets structurants. Elles participent de notre ordre marchand qui incite à la consommation. Ainsi, l’envie de « mieux vivre » amène les objets culturels sur les lieux de médiation des sites.
Le souhait d’aller plus loin, d’assouvir une connaissance, de renouveler une découverte esthétique, de prolonger une émotion… se concrétise par le passage en boutique. Boutique qui permet ainsi de poursuivre le cheminement du visiteur et d’accentuer les futurs possibles ou le message des bonnes pratiques.
En fait, la boutique de site naturel exerce trois fonctions différentes selon sa localisation :
- porte d’accès avant la visite, elle offre les clés du parcours ;
- point enclavé, elle nourrit un service de dépannage en confort et réconfort durant la promenade afin de permettre de rester plus longtemps ;
- porte de sortie, elle assure la synthèse des découvertes du visiteur : géologiques, botaniques, faunistiques, ethnographiques, esthétiques ou imaginaires.
L’implantation du lieu de vente impose donc partiellement la sélection de l’offre. La boutique de sortie favorise la vocation la plus culturelle. Le visiteur, éveillé par les expériences de son cheminement, sollicite un désir d’appropriation de connaissances ou une envie d’identification plus affirmée.
Média de cohérence
Y aurait-il une urgence à généraliser les boutiques sur les sites de nature ? Lorsqu’un million de visiteurs se présentent sur un Grand site, les commerces s’installent d’office. La concurrence s’attise alors très facilement dans une offre qui ne propose aucune réelle valorisation du site. L’objet bas de gamme installe une caricature culturelle. Les exemples, ici ou là, de concession de boutique vérifient la tendance d’une certaine déculturation de l’offre vers l’objet facile venu d’ateliers du monde entier sans liens immédiats ni messages appropriés. Pourtant, la boutique peut être un outil stratégique pour la défense des valeurs du site. Certains organismes ouvrent d’ailleurs des comptoirs de vente pour contrer « les marchands du temple ». Le Grand site de la pointe du Raz repart ainsi à la reconquête de valeurs dilapidées pour réoccuper le terrain et faire barrage aux bibelots généralisés sur le parvis des boutiques privées. Dans une optique de valorisation de son identité, le Grand site du pont du Gard s’engage dans un partenariat avec les acteurs locaux pour intensifier l’offre des artisans de la région. Ces deux grands aînés montrent l’exemple à poursuivre pour éviter la banalisation et renforcer le message du développement durable.
En effet, ouvrir une boutique est une démarche singulière. Vitrine de communication, l’espace marchand fonctionne à deux niveaux : par son cadre physique, il est vecteur de valeurs ; par son offre marchande, il est le révélateur d’une conscience citoyenne.
Un lieu porteur de sens
Le local marchand dégage une première impression du site. Selon son aspect, il entre en alliance ou en dissonance avec l’esprit des lieux. Il doit donc rester simple et s’immerger dans le paysage.
La maison de pays constitue une solution car celle-ci s’insère dans le site sans impact visuel. L’architecture du local est alors fondamentale car il met en valeur le patrimoine construit.
Comme une chapelle érigée à la mémoire des lieux, le style de la boutique constitue une réponse à la demande du visiteur qui recherche des codes et un rite de consommation. Ainsi, elle n’a pas de vitrine : un échalas de façade fait appel. Par le bois, la pierre, les matériaux locaux, elle s’intègre à la géographie. La création d’une atmosphère en phase avec l’identité locale assure d’ailleurs 20 % de sa réussite.
La boutique véhicule les valeurs durables : panneaux solaires, économies d’énergies, bannissement du plastique… Pas de sophistication. Dans cette conception de valeurs stables, le paysage doit apparaître comme un ancrage.
À l’intérieur, la scénographie reste simple : éclairage naturel, couleurs régionales, supports ordinaires et pratiques. Face à l’homogénéisation des structures commerciales contemporaines, la boutique de site réclame un ré-enchantement. La théâtralisation est possible mais elle suppose une redécouverte d’un équilibre autour des goûts et des aspirations du génie du lieu.
La boutique est un spectacle
La boutique reste aussi son propre théâtre. Les objets sont placés par univers, dans un environnement recomposé, plus que par rangement façon libre-service. Comme un écho, une starisation du produit répond à une starisation des lieux pour une starisation du client. Celui qui regarde anoblit et est anobli en retour. La boutique se raisonne comme un lieu de vie qui crée des envies de partage. La boutique idéale raconte une histoire, celle du paysage. Pour y parvenir, la sélectivité des produits n’est que partiellement culturelle : tout ce qui est perceptible par les sens permet d’appréhender le paysage. L’offre marchande en boutique d’espace naturel s’ouvre à toutes les possibilités.
La signalétique des objets est fondamentale. Des cartouches sur lesquelles figurent des anecdotes, des explications, des coups de cœur… commentent le choix des produits et soulignent les valeurs défendues.
Afin de valider la sélection proposée, les prix affichés peuvent être accompagnés du logotype du site. Le recours aux marques reconnues, comme WWF, LPO ou Frapna, est utile pour donner des repères dans le respect du consommateur. La nécessité d’une saine gestion oblige à des procédures de contrôle.
Achalandage
La librairie représente 20 à 40 % des références, mais d’autres familles de produits existent :
- les produits gourmands à raison de 10 à 20 %,
- les jeux, jouets, peluches, entre 20 et 30 %,
- les objets de plein air, de jardin pour 5 à 10 %,
- les articles de décor pour 20 %,
- les senteurs et cosmétiques pour 10 %,
- les bijoux et la mode pour 10 %.
Concernant l’achalandage, le ratio moyen peut s’établir sur quinze références au m2. La superficie recouverte par le mobilier se rapproche de 40 % par rapport à la surface totale de la boutique. L’objet moyen varie de cinq à quarante euros. La dépense courante s’évalue entre douze et quinze euros. Mais la meilleure vente est constituée par la carte postale dont le prix varie de 0,35 à 0,80 euros. Le stock immobilisé coûte cher.
Les articles vendus dans les boutiques de sites se partagent entre produits griffés, objets de communication directe, produits dérivés (économiquement dévoreurs de budgets) et produits de prestige (issus de l’artisanat de proximité mais à rotation lente), les produits sous licences Monnaie de Paris, WWF, LPO nécessaires à l’image, les produits de revente rarement en exclusivité.
Le cahier des charges de la création d’une ligne éditoriale de produits dérivés nécessite une identité visuelle préalable. La démarche réclame une méthodologie précise fondée sur une approche marketing orientée client avant d’être une décision conceptuelle avec une définition précise des coûts. Il est préférable d’alimenter le développement d’une marque dérivée sur le long terme, avec un ou deux produits par an plutôt que d’installer une collection multiple dès le départ.
Les prix doivent également se justifier. Il est souhaitable de développer des labels éthiques ou écologiques (AB, Bio…), de prolonger l’action par une communication sur le respect du site, de renvoyer à des actions de partenariats associatifs ou pédagogiques ou de participation à des contributions citoyennes.
Un apport de sens
La boutique de site représente un acte de foi. Sa mission de sensibilisation s’insère dans un mouvement d’ensemble qui réunit les maisons de la nature, du Conservatoire du littoral, comme les écomusées vivants, le réseau des Grands sites, le réseau des Parcs naturels. La mise en réseau des savoir-faire et des bonnes pratiques favorise la professionnalisation des équipes. La formation est un passage apprécié. La confrontation des outils, des résultats et des performances par la création d’observatoires de veille économique (régionale ou thématique) peut devenir un levier de développement et d’économie d’échelle.