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Cartographie des végétations : outil scientifique ou d’aménagement du territoire ?

 

Espaces naturels n°52 - octobre 2015

Aménagement - Gouvernance

Thierry Mougey (Fédération PNR de France), Sandrine Gardet (PNR du Pilat), Jean-Pierre Geib (PNR Caps et marais d’Opale), et Jérôme Millet (FCBN).

Avant que le réseau Natura 2000 ne se mette en marche et que le programme CarHAB ne fasse sont appartion, deux PRN ont fait l'objet d'un travail de cartographie des végétations au 1/25 000 e à grande échelle.

Carte des végétations du Pilat.

Carte des végétations du Pilat. © H. Mouret 

Les deux territoires de parcs naturels régionaux (PNR) concernés par ce travail expérimental sont les PNR des Caps et marais d'Opale (CMO) et du Pilat. Réalisé par des conservatoires botaniques nationaux (CBN Bailleul et CBN Massif central), ce travail se distingue par l'échelle choisie : ensemble du territoire pour le Pilat soit 70 000 ha, territoire du Boulonnais pour CMO soit 60 000 ha. Le portage du programme était assuré par le PNR en CMO et par le CBN Massif central pour le Pilat.
La méthodologie utilisée était celle de la phytosociologie, avec une équivalence avec la typologie CORINE Biotopes. Des cartes simplifiées d’occupation du sol (CORINE Land Cover) ont également été réalisées. Natura 2000 a popularisé la notion de cartographie des végétations sous l’angle « habitats* ».

L’expérience a duré entre 3 et 4 ans et s’est déroulée en trois phases : 

1re phase : analyse bibliographique et réflexion méthodologique (typologie des végétations, protocoles de recueil des données, cartographie, constitution des bases de données…) 
2e phase : application sur des secteurs tests, élaboration de la base de données et établissement d’un catalogue des végétations
3e phase : mise en oeuvre sur l’ensemble du territoire. 450 jours de prospection pour le Pilat et 231 pour le Boulonnais (de 100 ha parcourus par jour en milieu dunaire à 500 ha en openfield, relevés de terrain au 1/10 000e). Surface minimale cartographiable : 0,3 ha.

Du fait du haut niveau scientifique nécessaire, la participation des acteurs locaux aux prospections n'est pas possible. La loi exige d’obtenir l’accord des propriétaires pour pouvoir pénétrer sur leurs terrains. Le sujet a été éludé dans le Pilat. Dans le Boulonnais, le PNR a mis en oeuvre une importante campagne d’information en amont, en direction des agriculteurs, forestiers, chasseurs, etc. (réunions, courriers et articles dans des bulletins). Au final, 6 % seulement du territoire apparaît en « zone blanche » car non prospecté du fait du refus des propriétaires ou gestionnaires. Un arrêté préfectoral aurait pu être sollicité (voir article n°45 de la revue), mais c’est évidemment mal perçu…

La base d’informations géographiques constituée est un véritable outil d’aide à la décision en matière d’aménagement du territoire et de gestion de l’espace. Dans le Pilat, les informations ont intégré l’INPN (libre accès). Le site www.pilat-patrimoines.fr permet une recherche par commune. En CMO, des « livrets nature intercommunaux » valorisent le travail réalisé, complété de cartographies faune/flore, d’analyses du patrimoine naturel, d’informations sur la réglementation et de propositions d’actions concrètes pour prendre en compte la biodiversité.

Le programme a permis d’améliorer les connaissances sur les végétations et de découvrir de nouveaux espaces d’intérêt écologique. L’échelle choisie ne permet cependant pas la localisation de petits écosystèmes (mares…) ou de groupes floristiques comme les plantes messicoles. Les données collectées constituent un état de référence du territoire. Toutefois, la question de la mise à jour se pose (financement, comparaisons difficiles du fait de l’évolution méthodologique). Elles permettent de hiérarchiser des enjeux en termes de biodiversité (plan de parc de la charte PNR), d'orienter les inventaires spécifiques sur des groupes d'espèces et de cibler les actions.

Elles pourraient contribuer à la connaissance des effets du dérèglement climatique sur les végétations (les modèles actuels ne prennent pas en compte l’évolution de la végétation). Elles contribuent à différentes politiques publiques : Trame verte et bleue (compléments nécessaires : inventaires des espèces faunistiques déterminantes TVB et localisation de « points noirs »), projets agri-environnementaux, ZNIEFF (actualisation), charte forestière de territoire… Pour le Pilat, les cartes ont servi à la délimitation des sites Natura 2000 et sont utilisées pour les études d’incidence. L’utilisation est faible en CMO car le territoire comprend de nombreux petits sites de surfaces limitées, l’échelle demandée pour la cartographie des habitats est le 1/5000e et, contrairement au Pilat, peu d’informations sur l’état de conservation des habitats figuraient dans la cartographie des végétations.

Les données collectées permettent aux communes et intercommunalités de se situer en termes de patrimoine naturel, aux acteurs ruraux de prendre conscience de la richesse de leur patrimoine naturel. Elles contribuent quotidiennement au porter à connaissance réalisé par le PNR, à destination des acteurs du territoire et des bureaux d’études et pour les nombreux avis que le PNR émet : études d’impact, documents d’urbanisme, plans d’aménagement des forêts publiques, catalogue de stations forestières…
 

Parmi les conditions de réussite de l’action, on retiendra l’importance d’un comité de suivi, réuni dès l’amont, présidé par un élu et composé de représentants des futurs utilisateurs (collectivités territoriales, services de l’État, propriétaires et gestionnaires de l’espace rural, chambres de commerce et d’industrie, associations naturalistes, scientifiques…). Une animation du programme doit être prévue en amont (communication), pendant (réponses aux questions des acteurs) et après (diffusion des résultats). Ceci pose question hors PNR. Faut-il s’appuyer sur les intercommunalités, les pôles d’équilibre territoriaux et ruraux… ? Mais ces structures ont-elles l’ingénierie en capacité de lancer ce type d’actions et de jouer le rôle d’« interprète » pour rendre compréhensibles les données par les acteurs ?

*Habitats : communauté d’espèces végétales définie dans des conditions biotiques et abiotiques données. La typologie des végétations est décrite dans le prodrome des végétations de France en cours de construction. Habitat naturel : entité écologique où cohabitent des espèces animales et végétales. Habitat d’espèces : milieu de vie d’une espèce ou de plusieurs espèces (guilde) donnée(s).