Un compteur averti en vaut deux

 
Se fier aux comptages pour établir des stratégies conservatoires ?

Espaces naturels n°25 - janvier 2009

Études - Recherches

Élodie Sanchez
Tour du Valat
Michel Gauthier-Clerc
Tour du Valat
Philippe Vandewalle
Réserve nationale de Camargue

Une étude réalisée en 2007 soulignait d’importantes marges d’erreurs dans le dénombrement de populations animales. Réalisée avec l’aide d’un logiciel, elle simulait la présence d’animaux en Camargue. Une grande prudence s’impose quant à l’interprétation des tendances d’évolution des effectifs.

Pour mettre en place leurs stratégies conservatoires et en évaluer les effets, les gestionnaires ont besoin d’obtenir des informations régulières sur la dynamique des populations des espèces animales présentes sur leur site. Pour cela, ils utilisent diverses méthodes de dénombrement. Certaines reposent sur de l’échantillonnage, d’autres consistent à faire des recensements exhaustifs. Cependant, même si l’usage veut que l’on emploie le mot exhaustif, le chiffre réel d’individus ne pourra jamais être obtenu car il ne s’agit que d’estimations, soumises à des marges d’erreur.

L’étude. Afin de connaître ces marges d’erreur et leurs variabilités, quarante-huit personnes se sont prêtées à une étude expérimentale devant ordinateur. Un logiciel
de simulation de comptages d’animaux (Wildlife Counts, version 2.0) générait des effectifs de populations animales résidant en Camargue. Les observateurs devaient comptabiliser le nombre d’animaux qu’ils voyaient et rentrer ces effectifs dans le logiciel. La marge d’erreur peut ainsi être calculée par un rapport entre les effectifs observés et les effectifs réels produits par le logiciel1.
Une moitié de ces compteurs était des professionnels des espaces naturels protégés de Camargue, impliqués dans les dénombrements d’oiseaux. L’autre moitié était novice. Chaque compteur a réalisé une série de cent vingt tests identiques.

Marges d’erreur. Les résultats de l’étude montrent que les compteurs expérimentés sont plus précis et moins variables dans leurs estimations que les compteurs novices. Toutefois, malgré cette meilleure performance attendue, l’erreur d’estimation est plus grande entre les expérimentés et la réalité, qu’entre les expérimentés et les novices (figure 1).
En moyenne, les compteurs expérimentés ont sous-estimé les effectifs de 13 % par rapport au réel. On note par ailleurs une difficulté croissante pour le compteur puisque la tendance à la sous-estimation est plus forte lorsque les effectifs à compter augmentent. Les erreurs d’estimation sont très variables d’un compteur professionnel à l’autre. En plus de cette variabilité interindividuelle, il existe une importante variabilité dans les estimations de chacun des compteurs expérimentés (figure 2). Ainsi pour un même effectif, un compteur peut sous-estimer ou surestimer d’un compte à l’autre.
Les conséquences de ces variabilités dans les comptages sont importantes et elles doivent être prises en compte pour interpréter des tendances observées.

Sur le long terme. Des simulations montrent que, malgré ces variabilités très notables (d’un compteur à l’autre et pour un même compteur), les marges d’erreur permettent tout de même de détecter une augmentation ou une diminution des effectifs de 5 % par an sur une période de vingt ans, et ceci même si les observateurs impliqués dans les comptages sont différents.
La détection de tendances fonctionne toutefois mieux lors d’une diminution d’effectifs car l’écart à la réalité est plus faible pour les petits effectifs. Dans le cas d’une augmentation réelle d’effectifs, les compteurs présentent une plus forte sous-estimation, ce qui retarde la détection de tendance.

Le cas des périodes courtes. Sur des périodes plus courtes, la variabilité des comptages rend les interprétations beaucoup moins fiables. Par ailleurs, si pendant quelques années les effectifs réels ne varient pas, il est néanmoins possible que les compteurs obtiennent des tendances d’augmentation ou de diminution. Celles-ci correspondent au manque de précision de leurs comptages.
La plus grande prudence est donc de mise quant à l’interprétation des faibles tendances d’effectifs sur des périodes courtes de quelques années. En conséquence, cette prudence doit aussi être appliquée par les gestionnaires lorsqu’ils décident de changer les modes de gestion de leurs territoires.

1. Calcul de la marge d’erreur : (effectif observé – effectif réel) / effectif réel

En savoir plus
Fiabilité des dénombrements d’espèces exploitées, conséquences sur l’interprétation des tendances - Cas des canards et foulques hivernant en Camargue. Élodie Sanchez, rapport de stage master 1 « Ingénierie en écologie et en gestion de la biodiversité », université de Montpellier 2, 2007.