Un dessin animé

 
Le cinéma fait l’école sur l’île de Porquerolles

Espaces naturels n°16 - octobre 2006

Pédagogie - Animation

Jean-Pierre Daniel
Réalisateur, directeur de l’Alhambra.

 

L’Alhambra est un centre culturel cinématographique de la ville de Marseille, engagé depuis plus de dix ans dans un travail pédagogique d’éducation artistique avec les élèves des écoles et lycées du nord de la ville. Le centre privilégie la rencontre avec des œuvres de l’art du cinéma. Mais il développe aussi des situations éducatives qui favorisent une découverte du processus de création pour produire des sons et des images animées ; puis les monter, les diffuser… Ainsi est née l’aventure « École et cinéma sur l’île de Porquerolles ». Cheville ouvrière pédagogue et passionnée, Jean-Pierre Daniel raconte…

Partir en voyage pendant cinq jours avec une classe, s’éloigner de la ville et s’immerger dans un territoire regroupant, sur un petit périmètre, une nature flamboyante et des espaces naturels d’une grande diversité, provoquant, par leurs beautés, l’imaginaire des jeunes élèves. Un territoire où se construit une relation complexe entre la nature, les
animaux et les Hommes.
Partir avec, dans nos bagages, quelques outils légers de prise de vues et de sons pour faire du cinéma. Tel était notre projet. Il s’agit pour moi non d’enseigner “ le ” cinéma, mais de faire découvrir et expérimenter le rapport de chacun au cinéma, conçu non comme un fait culturel mais comme un outil de lecture du monde contemporain » disait Jean-Louis Comolli, cinéaste et critique de cinéma !
Eh bien, ce territoire, nous l’avons trouvé, sur l’île de Porquerolles !
Nous avons fait ce voyage plus d’une vingtaine de fois en dix ans. Au printemps, à l’automne sous le soleil, la pluie et dans le vent, parfois fou, quand le mistral se lève.
Hébergés confortablement dans le village de vacances de l’Igesa1, nous partions chaque jour à l’aventure, sans scénario, sans plan de tournage, prêt à raconter, avec des images et des sons, nos milles et unes rencontres. Travail d’enregistrement improvisé, de visionnage collectif et de retour sur le terrain, travail de montage et de lente élaboration de petites formes, dans le temps même du séjour.
Pendant dix ans, ces ateliers précaires ont produit de très nombreux petits films. Vous parlerais-je du Poulpe, où l’on voit l’apprivoisement d’un poulpe sur la plage de Notre-Dame ; du Crocodile, ou comment un petit bout de bois devient crocodile ; des Gabians, qui sont filmés au plus près.
Ces films, nous les avons souvent montrés pour parler de notre recherche pédagogique. Nous avons alors pu mesurer la force de ces très courts récits, au-delà de leur qualité de témoin d’un moment privilégié d’éducation artistique cinématographique. Tous nous disent quelque chose des enfants qui les ont faits, mais aussi du territoire où ils ont été élaborés.
Car, au-delà de sa richesse scientifique, l’importance d’un territoire se mesure à sa capacité à provoquer une émotion esthétique. Un « grand » territoire a la force d’une œuvre d’art. Sa rencontre déplie en nous une multitude de pensées qui nous interpellent, sur nous-même et hors de nous-même.
L’important dans ces petits récits improvisés par ces jeunes enfants, c’est ce qu’ils révèlent : la complexité des émotions ressenties au cours de leurs marches dans l’île. Ils ne s’arrêtent pas à la simple description des paysages, ils ne font pas des inventaires systématiques, ils ne plaquent pas sur l’île toutes les narrations qui surgissent au quotidien de leurs écrans de télévision, ils racontent la peur, l’angoisse, le lointain, l’amour. Ils interrogent les rapports de l’Homme et de l’animal. Ils participent à la construction de leur rapport symbolique au monde.
Quand le cinéma fait école, il participe au jeu de la nature et de la rencontre avec soi-même…

1. L’Institution de gestion sociale des armées.