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Dix ans de surveillance participative

 
Le Parc national du banc d’Arguin organise la surveillance maritime avec la population

Espaces naturels n°27 - juillet 2009

Vu ailleurs

Marion Broquère
Assistante technique de projet Fondation internationale du banc d’Arguin au Parc national du banc d’Arguin

 

Une population de pêcheurs traditionnels habite là, en Mauritanie, sur le territoire du Parc national du banc d’Arguin (PNBA) dont le littoral s’étend sur plus de 200 km. Les Imraguen qui résident au sein de huit villages bénéficient d’un droit ancestral et aujourd’hui exclusif d’accès à la ressource halieutique dans le cadre de leur pêche traditionnelle. Ce droit permet notamment de sauvegarder la seule culture maritime du pays et une des dernières flottilles de pêche à la voile au monde.
L’aire est d’importance mondiale sur le plan écologique. Le parc est une zone de nourricerie et de reproduction pour plusieurs espèces de poissons et d’oiseaux marins. C’est également un site d’accueil pour d’énormes concentrations d’échassiers migrateurs. En effet, l’ancien estuaire, avec ses herbiers de phanérogames et les hauts fonds de différents substrats, constitue un refuge irremplaçable pour plusieurs espèces menacées (tortues, dauphins, requins et raies) ainsi que pour d’autres populations (crevettes, mulets, courbines, daurades…).
Très convoité. Si le Parc national du banc d’Arguin contribue au maintien des ressources halieutiques, il est très convoité par la pêche artisanale comme par la flottille industrielle internationale qui sillonne en permanence ses eaux limitrophes.
La protection de la zone est donc essentielle. Certes en termes de biodiversité, mais également pour contribuer au maintien de la pêche : activité économique majeure pour la Mauritanie. C’est pourquoi, le Parc national du banc d’Arguin, avec l’aide de ses partenaires nationaux et internationaux, a mis en place un système de surveillance maritime. Efficace, il est également respectueux des populations locales : la navigation d’embarcations motorisées est interdite ; la surveillance maritime est assurée par des contrôles en mer. Ce contrôle, exercé de manière permanente sur la zone marine du parc, garantit aux pêcheurs imraguen un accès exclusif à la ressource.
Les cent quatorze lanches1 autorisées à pêcher sur le banc d’Arguin sont, elles aussi, soumises à un contrôle. Des accords régissent leurs conditions d’accès à la ressource ; ils sont régulièrement négociés avec les populations locales, dans le cadre d’un processus de gestion participative.
Une surveillance participative. Le système de surveillance mis en place en 1998 par les autorités, en collaboration avec la Fondation internationale du banc d’Arguin (avec l’appui financier du WWF, de l’Union européenne puis de la Coopération espagnole), a la particularité d’être participatif. C’est une collaboration étroite entre le parc, la délégation à la surveillance des pêches et au contrôle en mer (DSPCM) et les populations résidentes qui donne tout son sens à cet adjectif.
Dans le cadre de ces accords, les équipages des vedettes de surveillance comprennent un agent du parc, un guide imraguen et deux agents de la DSPCM, dont le chef de bord. Les intérêts des différentes parties prenantes sont représentés. Cette mixité à bord garantit une efficacité accrue de la surveillance et une transparence optimale. Leur rôle vise en effet à la fois le contrôle et la coercition.
Aujourd’hui, le système de surveillance maritime repose sur trois radars et six vedettes d’intervention rapide dont au moins trois actives en permanence. Une embarcation supplémentaire est destinée presque exclusivement au ramassage des filets posés illégalement et abandonnés à la dérive dans les eaux du parc. Le fonctionnement de ces équipements induit, bien sûr, l’existence de moyens à terre, mobilisés pour la continuité de la surveillance maritime, la gestion du personnel ainsi que sa formation.
Toute une logistique a été mise en place permettant le ravitaillement en carburant, l’entretien des vedettes et des moyens de communication.
Effet dissuasif. Le fonctionnement de la surveillance est évalué mensuellement et les missions en mer font l’objet de rapports journaliers. Les missions logistiques sont organisées en fonction de besoins exprimés via des messages radios lancés par les responsables du terrain, au moins une fois par mois.
Les contrevenants arraisonnés (issus en grande majorité de la pêche artisanale piroguière) voient leur embarcation immobilisée sur le rivage. Leur dossier est transféré à Nouadhibou devant la Commission restreinte de transaction pour la pêche artisanale, une juridiction qui statue sur les infractions commises dans le cadre de la pêche artisanale en Mauritanie. Une fois les amendes payées au Trésor et la situation régularisée, les propriétaires peuvent récupérer leurs embarcations.
L’ampleur des enjeux et les moyens mis en œuvre impliquent nécessairement une formation adaptée des personnels embarqués. C’est pourquoi des cycles de formation dispensés par l’Office national de la chasse et de la faune sauvage ont lieu annuellement, sur des thèmes comme la navigation, l’utilisation du matériel de positionnement ou l’interpellation des contrevenants.
Le coût de la surveillance, environ 150 000 € par an, est encore entièrement à la charge des partenaires du parc, dont la Fondation internationale du banc d’Arguin et le WWF dans le cadre du Programme régional marin et côtier (PRMC). Cependant, le parc est aujourd’hui techniquement autonome en ce qui concerne l’organisation et la gestion de cette activité.
Quelques chiffres sont nécessaires pour avoir une idée de l’effort de surveillance annuel dans le parc : en 2008, 390 missions ont été réalisées pour 2 250 heures en mer et 172 embarcations arraisonnées. Soit en moyenne une mission par jour équivalente à six heures de surveillance en mer pour l’arraisonnement d’une embarcation tous les deux jours.
Ces chiffres ont beaucoup évolué depuis 1998 : l’effort de surveillance a augmenté et, parallèlement, le nombre d’arraisonnements ne cesse de diminuer depuis la création du système de surveillance.
Malgré la situation de plus en plus dramatique de la pêche artisanale côtière en Afrique de l’Ouest qui fait face à l’effondrement des ressources, la surveillance sur le PNBA semble avoir un effet dissuasif remarquable.
À ce titre, on peut également souligner que les positions géographiques des points d’arraisonnement ont reculé au large du parc, contre sa limite. L’analyse des cartes de la surveillance montre que ces points sont désormais loin des zones littorales les plus sensibles (voir cartes). On pourrait même en déduire que les pêcheurs reconnaissent et acceptent l’existence de cette zone interdite à la pêche motorisée. Il n’y a d’ailleurs jamais eu de conflits majeurs entre les brigades de surveillance et les pêcheurs de l’extérieur du parc.
Dix ans d’expérience. Malgré son coût élevé et les interrogations qui se posent sur sa durabilité, cette surveillance maritime capitalise plus de dix ans d’expérience. Face aux menaces d’intrusions venant de l’extérieur, on peut affirmer qu’elle a fait ses preuves. Quant à l’intérieur du parc, le contrôle de la pêcherie des populations résidentes continue d’évoluer pour intégrer au mieux les enjeux écologiques.
Ce système de surveillance est aujourd’hui un modèle reproduit au sein du réseau des aires marines protégées d’Afrique de l’Ouest. Le Parc national du banc d’Arguin renforce ainsi son rôle de zone d’expérimentation au profit de la conservation et du développement durable dans cette région.

1. Embarcation de pêche, non motorisée. Dotée d’une voile latine (sans baume), il s’agit d’une construction très simple en bois. Le mât est maintenu en place grâce à des cales. La voile est manœuvrée à l’aide de palans.