On a échangé nos vies !
Espaces naturels n°18 - avril 2007
Dominique Langlois
Réserve naturelle nationale du ravin de Valbois
C’est en revenant de cinq semaines en Finlande que le projet est né. Comment mieux communiquer en anglais, comment permettre à nos enfants d’être à l’aise dans les pays anglophones ? Tout simplement en allant passer une année en Angleterre ! Et pourquoi pas échanger mon travail de conservateur de Réserve naturelle avec un collègue britannique ? Et, tant qu’à faire, échangeons également nos maisons. Quand nous avons imaginé le projet fin 2004 avec ma femme et mes enfants, je n’y croyais pas trop. Et pourtant, beaucoup de portes se sont ouvertes facilement et très peu ont grincé.
Janvier 2004. Ma première démarche s’est tournée vers mon collègue, il était d’accord pour prendre le risque de travailler un an avec un « inconnu » venu d’Angleterre. Les profs d’anglais des enfants sont emballés et nous encouragent, se proposant pour corriger mes courriers.
Février 2004. J’envoie 150 méls à des structures œuvrant pour la conservation des espaces naturels remarquables (English Nature1, National Trust, Scottish Heritage…), proposant un échange de postes. Deux jours plus tard, je reçois une réponse de Ben Le Bas, enthousiaste et gérant lui aussi des ravins calcaires en Réserve naturelle. Le projet devient dès lors plus professionnel, je vais pouvoir disposer d’un regard averti sur mes douze années de gestion du ravin de Valbois et vais aller à la pêche aux idées outre-Manche.
Mai 2004. Ben vient en Franche-Comté, découvre la Réserve naturelle (RN) et sa future maison ; il est emballé. Le courant passe bien entre nous, c’est décidé, on monte le projet pour de bon.
Mai-novembre 2004. Je contacte officiellement la Diren, le chargé de mission RN et le directeur soutiennent le projet. Quant au ministère de l’Écologie (Medd), Valérie Lasek, chargée des affaires européennes, se propose d’intégrer ce projet dans un ensemble d’échanges de postes lié aux cent ans de l’Entente cordiale. Mais en septembre, il s’avère que nous sommes les seuls à vouloir réellement nous expatrier une année (!). Le Medd garde pourtant confiance et rédige une lettre de mission m’envoyant douze mois en Angleterre. Il s’y engage à maintenir le financement de mon poste, reprend et enrichit mes propositions de rapport écrit et de communication sur cette expérience. De son côté, English Nature finance un juriste pour rédiger une convention avec mon employeur (une association). Le texte s’intéresse avant tout aux questions de droit du travail, j’y ajoute ce que j’attends de Ben durant douze mois sur le ravin de Valbois et demande le même type de document de sa part.
Novembre 2004. Je monte dans les Peak District visiter la RN des Vallons du Derbyshire. Le cadre de travail me plaît fortement, je m’interroge déjà sur certains choix de gestion et souhaite creuser le sujet. Ma femme et mon fils sont du voyage pour rencontrer la directrice du collège qui nous réserve un très bon accueil. Les enfants y feront leurs 6e et 3e, l’échange est calé sur l’année scolaire 2005-2006. La maison est sympa, nous rentrons motivés à bloc et achetons cassettes et CD-Rom pour nous mettre sérieusement à l’anglais. Dorénavant, tout trajet en voiture sera ponctué d’une leçon d’anglais.
Printemps 2005. Les choses se compliquent dès que l’on contacte l’Inspection académique qui ne validera la scolarité de nos enfants que s’ils sont inscrits dans une école française, ou s’ils suivent l’intégralité des cours du Cned. L’Europe en marche ! Il faut contourner certains bureaux et discuter directement avec les proviseurs. C’est en fait eux qui ont le pouvoir d’accueillir ou de refuser un élève. Côté anglais, ce n’est pas plus facile : le County Council nous refuse l’accès de Manon en 6e, arguant qu’elle n’a pas d’adresse au Royaume Uni ! Nous réexpliquons notre projet, ils n’en démordent pas. La directrice nous promet par écrit qu’elle passera outre et accueillera nos enfants pendant une année. Les horaires seront aménagés pour qu’ils travaillent leurs cours du Cned, en français pour Manon, en français et en maths pour Pierre.
Mai 2005. Ben revient une seconde fois pour clarifier nos plans de travail sur la Réserve naturelle hôte. Nous ne nous permettrons pas de modifier le plan de gestion, nous chercherons à en comprendre la cohérence et rédigerons un rapport d’audit construit sur un même sommaire. Le premier mois, pour faciliter l’immersion, nous travaillerons dans un domaine que nous maîtrisons bien. Ben encadrera un chantier de défrichement et je démarrerai une étude entomologique. Côté maison, nous rédigeons chacun un guide de fonctionnement. Pour plus de facilité, nous continuerons à payer nos propres factures et tiendrons un tableau de bord des consommations (électricité, chauffage…) de chaque famille que nous solderons en fin d’échange.
Juin 2005. Le Medd est d’accord pour financer le projet à hauteur de 8 600 euros, équivalant à l’indemnité touchée par un fonctionnaire qui s’expatrie une année. Mais cet argent doit transiter par mon employeur et devient soumis à cotisations sociales… Après moult discussions, je trouve un accord écrit avec l’Urssaf qui accepte de ne pas taxer les dépenses qui sont directement liées à l’expatriation (voyages, Cned…). Un tiers de la dotation viendra abonder le budget de fonctionnement de la RN afin de mieux accueillir Ben (matériel informatique…), deux tiers couvriront mes frais. Ma femme prenant une année sabbatique, nous perdons un salaire et sommes financièrement en souci. Inch’Allah.
Juillet 2005. Je mets de l’ordre dans mes dossiers, Ben et mes collègues doivent pouvoir s’y retrouver en mon absence. C’est contraignant mais très positif. De même à la maison, on passe deux mois à tout ranger, nettoyer, de la cave au grenier. Le grand tri entre ce que l’on jette, ce qui part chez Emmaüs, ce que l’on garde dans le grenier des voisins pour faire de la place aux Le Bas, ce que l’on emmène…
Août 2005. Nous passons trois jours chez nous avec les Le Bas avant de partir. Nous sommes en confiance et le 5 août, nous arrivons dans le Derbyshire. Les premiers pas au Royaume Uni sont mitigés. Les Peak District nous ravissent et nous partons à leur découverte avec nos quatre VTT. Mais il faut faire nos marques dans ce nouvel univers, se familiariser avec une nouvelle maison froide et mal isolée qu’il faudrait chauffer. Nous craignons de ne pas pouvoir suivre financièrement. Les enfants restent entre eux, commencent à s’ennuyer. Vivement la rentrée ! Nous sommes peut-être arrivés deux semaines trop tôt. Côté professionnel, je commence dès le 10 août. L’accueil est très chaleureux, l’intégration plutôt facile.
Douze mois au Royaume-Uni. L’expérience est très riche. Via internet, je garde un œil sur Valbois, continue à gérer la partie financière, quelques dossiers. J’interroge Ben quand des décisions sont à prendre dans le Derbyshire. En cherchant à comprendre la cohérence de son plan de gestion, je m’interroge fortement sur mes choix de gestion en France. La langue reste une barrière et, par moments, je ressens cette impression d’être étranger, ce sentiment de frustration de ne pas pouvoir dire réellement ce que je pense. C’est socialement très formateur. Nous ne rentrerons pas bilingue, mais emballés par l’Angleterre, sa tolérance, avec l’envie de revenir, de pérenniser les liens avec nos nouveaux amis. La scolarité des enfants est une réussite, ils ont relevé le défi avec brio et intégreront une 5e et une 2de européenne à leur retour.
Le retour. Nous avions pensé à beaucoup de choses pour préparer cet échange, sauf au retour. Après douze mois sur un nuage, avec un statut privilégié, chouchoutés par l’école, les collègues, amis et journalistes, la reprise du train-train quotidien est lourde. Je retrouve les mêmes blocages sur la RN qu’il faudra des années à dépasser, des budgets dérisoires, le tout fin juillet en période de canicule. Il me faudra un mois pour retrouver la « pêche » et rebondir sur de nouvelles perspectives.
1. English nature : organisme public anglais chargé de la conservation de la faune et de la flore sauvages. Il a fusionné fin 2006 avec deux autres structures pour former Natural England.